Musicalement novateur et thématiquement audacieux, Tales from the Thousand Lakes a profondément marqué l'année 1994. Bénéficiant d'une distribution importante à l'échelle de l'underground, cet album culte a déchainé les passions, au point de faire apparaitre la Finlande sur la carte metallique et contribuer au développement de plusieurs labels. Vraiment? Oui, vraiment. De plus, Amorphis a confirmé ses bonnes dispositions grâce à une activité scénique soutenue
(y compris sur le continent américain) et la sortie en janvier 1995 de Black Winter Day, EP comprenant 3 inédits (voir ICI). La contrepartie d'un succès aussi foudroyant? Une attente énorme générant une pression qui n'a pas été sans conséquences. Si l'étape du 3ème album est souvent jugée décisive, voici un cas d'école. Les Finlandais ont-ils joué la carte de la prudence avec un Tales from... part II, ou celle de l'évolution, au risque de perdre l'adhésion d'un auditoire fraichement acquis à sa cause? Presque 20 ans après on connait évidemment la réponse, mais à l'époque spéculations et doutes allaient bon train.
Amorphis était confronté au plus important défi de sa carrière.
Passons d'abord les troupes en revue. Kasper Mårtenson quitte Amorphis peu après l'enregistrement de l'EP Black Winter Day, visiblement opposé à l'idée de tourner. Connaissant l'influence du claviériste sur Tales from..., cette perte n'est pas anodine. Privilégiant les registres prog et folk, Kasper Mårtenson va délaisser la scène metal pendant un temps, jusqu'à son retour en 2007 au sein de Barren Earth. Esa Holopainen nous présente son successeur: Kim Rantala. "Il ne s'est jamais produit aux côtés de groupes de death metal auparavant. Il jouait du jazz, du funk et de la soul dans les clubs." (Hard Force mag n°19 de janvier 1997) Autre départ, celui du membre fondateur Jan Rechberger. S'il semble avoir disparu des écrans jusqu'à sa réintégration en 2003, le batteur a développé des projets naviguant entre electro et space rock, comme Accu et surtout All Human Substitutes. Pekka Kasari le remplace. Membre de Stone, formation de speed/thrash dissoute en 1991, il a 4 albums studio et de multiples tournées à son actif. Est-ce tout? Ma foi non. Satisfaits par l'expérience du chant clair sur Tales from..., les Finlandais souhaitent développer cet aspect en intégrant un 6ème membre. Ceux qui attendaient Ville Tuomi (Kyyria) en auront été pour leurs frais, car c'est l'inconnu Pasi Koskinen (St. Mucus) qui est choisi.
En 1995, la moitié du line-up d'Amorphis est alors inédite.
Olli-Pekka Laine, Tomi Koivusaari, Pasi Koskinen, Pekka Kasari, Esa Holopainen, Kim Rantala
La découverte du visuel d'Elegy est édifiante. A l'instar de Moonspell et bien d'autres, exit le logo extrême au profit d'une typo privilégiant les arrondis, signe de la maturation du groupe. Au crépuscule étoilé de Tales from... succède un symbole mystique baignant dans la lumière du jour. Signé par l'incontournable Kristian Wåhlin, ce visuel dégage beaucoup de sérénité. Côté crédits, ambiance petits plats dans les grands. Les Finlandais ont bénéficié des services de quelques uns des meilleurs techniciens de l'époque. Partagé entre Stockholm et Helsinki, les sessions d'enregistrement se sont réparties entre 3 studios/producteurs: le Sunlight de Tomas Skogsberg (Mr swedish death), le MD de Kai Hiilesmaa (future référence) et le Finnvox de Mikko Karmila (déjà expérimenté, il flambera dans la décennie à venir). Pour le mixage, Amorphis a fait appel au Britannique Pete Coleman (Gorefest, Napalm Death, Paradise Lost). Quant au mastering, l'Américain Dave Shirk (Incantation) rempile pour la 3ème fois consécutive. Du très beau linge. Côté textes, Amorphis poursuit la démarche entreprise sur Tales from... à savoir la mise en musique des écrits d'Elias Lönnrot. Sur Elegy c'est le Kanteletar qui est à l'honneur. Paru en 1840, ce recueil de contes et poèmes issus de la tradition orale est un complément indissociable du Kalevala (1835-1836). Une évolution dans la continuité? Ça y ressemble. Reste à le vérifier.
Une fois de plus, les compositions sont à mettre au crédit d'Esa Holopainen et du bassiste Olli-Pekka Laine (futur meneur de Barren Earth). A noter, l'implication du claviériste Kim Rantala qui signe seul le morceau-titre.
"Nous écoutons encore du heavy metal, mais nous aimons aussi le folk et le progressif 70s. Nous essayons de garder l'esprit ouvert et perméable à d'autres genres. Tales from... était une recherche du son que nous avons finalement trouvé pour Elegy." Esa Holopainen (Hard Force mag n°19 de janvier 1997) Les premières écoutes confirment ce que l'on pressentait. Ce 3ème album va beaucoup plus loin que son prédécesseur, le metal cédant du terrain aux influences progressives et folk. Les claviers sont désormais omniprésents et les parties de guitares se font volontiers acoustiques. Dans le même ordre d'idée, les Finlandais ont inversé la tendance concernant le chant. Majoritaires sur Tales from... les growls du guitariste Tomi Koivusaari s'effacent au profit du chant clair de Pasi Koskinen. Authentique et courageuse, cette évolution n'a pas été du goût de tous. "Amorphis s'égare dans de multiples voies et semble vouloir jouer avec le feu" (catalogue Black Cat) "Ça manque d'énergie, de hargne, de puissance... J'espère que le groupe a juste traversé une période de manque d'inspiration et qu'il va rapidement rectifier le tir!" (3/6 dans le Metallian n°3 de mai/juin 1996) Alors qu'en est-il réellement?
Ecoutant du prog 70s (Pink Floyd, Genesis, Camel, Focus) en marge de la scène extrême, ces partis-pris assumés des Finlandais ne m'ont pas posé de problème. Plus subtiles et un brin plus complexes, les compositions d'Elegy regorgent de trouvailles comme l'emploi d'un sitar électrique par Esa Holopainen, d'un accordéon par Kim Rantala ou de percussions par Tomi Koivusaari. L'instrumentation est plus riche et variée, le groupe multipliant les pistes et les effets sans jamais perdre de vue l'intérêt des morceaux. Les progrès sont visibles à tous les niveaux et parfaitement mis en valeur par une production à la hauteur de l'enjeu. Le batteur Pekka Kasari surclasse Jan Rechberger avec un jeu plus fluide et technique. Le claviériste Kim Rantala ne fait pas de figuration et marque Elegy de son empreinte. Le bassiste Olli-Pekka Laine a accru son influence et gagné en visibilité. Quant aux 6-cordistes le boulot abattu est énorme et leur patte immédiatement reconnaissable, une qualité rare. Si je devais mettre un bémol? Le chant clair de Pasi Koskinen. Pas de faute de goût ou de problème de justesse, mais une signature vocale qui me branche moyennement (Tomi Joutsen répondra à mes attentes par la suite). Les growls sont aussi volontairement sous-mixés. En plein âge d'or de l'underground européen, Amorphis réussit le tour de force de se positionner en chef de file, le tout avec une moyenne d'âge inférieure à 25 ans. Wow.
L'intro hypnotisante au sitar de Better Unborn précède un riff typiquement Amorphis. Suis le single Against Widows, véritable cavalcade heavy metal avec d'ébouriffants passages de wah-wah. Uniquement en chant clair, l'intimiste The Orphan s'achève de la manière la plus épique possible. On Rich and Poor? Une démonstration de puissance qui met la misère à Against Widows. Cares remporte la palme du morceau le plus expérimental (comme Magic and Mayhem avant lui) avec 2 passages marquants: dansant (presque ska) vers 1mn20 puis electro (à la limite de la techno) vers 2mn20. Song of the Troubled One joue sur les mêmes codes que Drowned Maid sur Tales from... Une décharge d'adrénaline uniquement en growls, les claviers et les parties de wah-wah en sus. Weeper on the Shore ou la fusion des genres, de la facette lumineuse (acoustique, claviers, chant clair) et des ingrédients metal. Elegy ou LA grande fresque épique emmenée par les parties de piano de Kim Rantala. Quant à Relief, cet instrumental réussit l'exploit d'être un temps fort de l'album, avec une section rythmique volubile. On finit avec My Kantele.
Pour en apprendre plus sur cet instrument traditionnel finlandais, direction le paragraphe 2 de la chronique de Nest. La version électrique comprend intro growlée, soli de claviers et un final mélodique de toute beauté. Sa relecture acoustique bénéficie de l'utilisation judicieuse d'un accordéon et d'un final absolument sublime au sitar.
Anecdote perso: Jeune provincial à l'époque, je ne pouvais que rarement profiter d'un concert de metal donné par un groupe étranger de cette envergure. Après avoir vendangé plusieurs opportunités (Paradise Lost, Life of Agony), mon souhait a été exaucé le 13 février 1997 en assistant au show d'Amorphis au Bikini de Toulouse (avec les excellents Evereve en première partie, R.I.P. Tom Sedotschenko). J'en ai retenu le look krishna façon Shelter (Here we Go Again) de Pasi Koskinen et son énergie scénique débordante (à la limite de percuter Esa Holopainen
2 fois). Ce concert m'a laissé de bons souvenirs, ainsi que le médiator d'Olli-Pekka Laine et la playlist poliment demandée à un roadie. La voici:
Setlist: Cares / Better Unborn / Into Hiding / Against Widows / The Orphan / The Castaway / In the Beginning / Weeper on the Shore / And I Hear You Call / Elegy Rappel 1: Relief / My Kantele / Magic and Mayhem Rappel 2: On Rich and Poor / Black Winter Day
5 morceaux sur 10 de Tales from the Thousand Lakes ok, 9 morceaux d'Elegy sur 10 (pas de Song of the Troubled One, ouin) et... ah tiens kessecé ça And I Hear You Call? Une reprise qui nous emmène en mai 1997 soit 1 an après Elegy. Dans la grande lignée des EPs indispensables sortis au cours des années 90s, My Kantele comprend
5 morceaux enregistrés chez Kai Hiilesmaa et mixés par Pete Coleman. Au programme la version acoustique,
2 inédits et 2 reprises. The Brother Slayer est une compo signée Pasi Koskinen. The Lost Son (The Brother-Slayer Part II) est un instrumental qui marque le retour des guitares électriques et comprend un percussionniste en guest. Amorphis accentue sa facette progressive et se rapproche du space rock. Et puisqu'on en parle, la première reprise c'est Levitation un classique de Hawkwind, pionnier du genre actif depuis 1969 qui a vu défiler masse de musiciens dont Lemmy Kilmister (Motörhead). Après une entame de facture classique, la phase instrumentale débutant à 1mn50 est absolument FAN-TAS-TI-QUE. Riff mémorable, de super parties de grattes, de multiples arrangements et un Pekka Kasari démonstratif. Quant à And I Hear You Call, il s'agit d'une reprise de Kingston Wall, un groupe de rock progressif finlandais auteur de 3 albums avant sa dissolution en 1994. La version d'Amorphis met une claque à l'originale grâce à son énergie, son emphase et sa production. Certains se souviennent sans doute de leur reprise de Light my Fire des Doors disponible sur le digipack de Tales from... Une tentative plus proche de la parodie que de l'hommage, le groupe manquant encore d'expérience et de maitrise pour se frotter à pareil exercice. 2 ans plus tard les Finlandais ont muri et transformé l'essai. L'EP My Kantele en écoute intégrale ICI
Au sommet de sa créativité, Amorphis est sur la voie royale. Elegy marque une étape importante dans la quête d'identité des Finlandais. Classique incontournable, il a fortement conditionné la suite de leur carrière, bien plus que son encombrant prédécesseur. Une oeuvre charnière.
Rédigé par : forlorn | 1996 | Nb de lectures : 2865
Tres bonne maniere d attaquer un dimanche.
Super Chro pour 2 disques magnifiques
TarGhost Membre enregistré
Posté le: 20/12/2015 à 10h29 - (31818)
Superbe chronique mon cher forlorn ! A laquelle j'adhère sans réserve...comme en témoigne l'un des premiers TS manches longues que j'ai acquis à cette époque avec le visuel de l'album. Grosse claque prise sans façon donc, notamment liée à la direction prise par le groupe qui touche à tout ici, folk, heavy, electro (oui oui !) prog rock : bref AMORPHIS brasse avec une certaine réussite de nombreuses influences pour accoucher d'une petite merveille.
Ah pour sûr, le côté épique et instinctif de "A thousand lakes" n'est plus à l'ordre du jour quoique...mais "Elegy" fait partie des groupes à la réorientation post-death réussie, ce qui n'était pas toujours le cas de nombre de ses petits camarades de jeu qui ont changé leur fusil d'épaule au milieu des 90.
Esa IP:77.197.237.234 Invité
Posté le: 20/12/2015 à 10h34 - (31819)
Pour moi leur meilleur disque!
Moshimosher Membre enregistré
Posté le: 20/12/2015 à 12h03 - (31820)
Perso, ce que je trouve le plus marquant dans Amorphis (enfin, les débuts, vu que je n'ai plus suivi après Elegy) ce sont les mélodies... au point que, pour moi, le groupe est devenu une référence... Ainsi, en écoutant la démo d'un groupe de métal russe (Mirrorland de Mental Home), l'une de mes démos préférées, j'ai pensé direct à Amorphis... Une référence, donc...
Très bon album qu'Elegy ! Je regrette vraiment de ne plus accrocher autant à ce que j'entends du groupe aujourd'hui... :(
En tout cas, très bonne chronique... :)
damikachu Membre enregistré
Posté le: 20/12/2015 à 13h07 - (31821)
Je lisais cette excellente chronique et au fur et à mesure, je me sens pris d'un doute...
Je crois que je n'avais jamais entendu cet album ou bien j'étais passé à côté. Maintenant, ça sent l'achat !
Tout le monde le sait mais Tales est un put*** de classique aussi.
lolo IP:90.3.106.99 Invité
Posté le: 20/12/2015 à 14h46 - (31822)
fantastique chronique (bravo à Forlorn) pour une fantastique album.
En revanche,je ne connais pas l'EP et cette fameuse reprise, à corriger !
Et quelle setlist de concert : quelle chance tu as eu de les voir à cette époque (j'aime la période Joutsen, hein !) !
Morbid Tankard Membre enregistré
Posté le: 20/12/2015 à 19h44 - (31823)
Leur dernier bon album !!
Ivan Grozny Membre enregistré
Posté le: 21/12/2015 à 15h47 - (31824)
Superbe chronique ! Quelle fraîcheur créatrice ces années 90 quand même, quand on pense que ce groupe était sous contrat avec Relapse... un OVNI dans leurs signatures de l'époque.
hammerbattalion Membre enregistré
Posté le: 23/12/2015 à 02h47 - (31825)
Ouch!! Quelle kro exhaustive, j'ai appris plein de choses, rien à redire sur la qualité de cet album. Pour moi, leur dernier chef d'oeuvre même s'il y a du bon ensuite. L'équilibre parfait entre le metal et le prog. Je me le suis passé ce week-end, que du bonheur, pffff, ces années 90...
Je suis ce groupe depuis Karelian, dont j'ai encore le tee-shirt d'ailleurs, pourtant j'ai du attendre 2009 pour les voir live (Ubu de RENNES, salle médiocre), mais quelle claque!!! Merci Joutsen de faire vivre ces classiques.
Ils sortent encore de bons albums, malheureusement je trouve que la recette commence à s'épuiser et j'écoute plus volontiers Insomnium par exemple.
forlorn Membre enregistré
Posté le: 06/01/2016 à 19h29 - (31855)
Mise à jour de la kro avec:
- réduction de la taille de la photo du groupe
- ajout d'un lien vers le stream de l'EP
- intégration du player bandcamp pour l'album
L'occasion d'insister encore sur la qualité de l'EP My Kantele. Passé le single, il vous reste 19 minutes à découvrir, soit 2 compos inédites et 2 reprises. Je vous recommande particulièrement celle de Hawkwind (à partir de 14:10), la phase instrumentale est monstrueuse.
Sinon à l'instar de Moshi et hammer, j'ai aussi décroché après Tuonela, la musique d'Amorphis étant devenue trop lisse et formatée. L'arrivée de Tomi Joutsen a contribué à relancer mon intérêt, mais s'il y a du mieux depuis quelques années, je ne me suis jamais remis de l'enchainement Tales from/Elegy.
jean-francois Membre enregistré
Posté le: 10/01/2016 à 15h07 - (31858)
Superbe album que j'ai énormément écouté a sa sortie. Peut être un peu trop et laissé de côté trop d'années. Paradoxalement je ne suis guère allé plus loin avec ce groupe, un silent waters à sa sortie et une découverte (hélas) récente de a thousand lakes....
Très belle chro qui donne envie de se replonger dans cette merveille, merci
Blind Membre enregistré
Posté le: 16/02/2016 à 10h54 - (31916)
Comme mes collègues je suis enthousiaste vis-à-vis d'"Elegy". Je ne l'ai découvert que sur le tard, en 2015 pour être précis, jusqu'à alors je ne connaissais que les deux premiers albums et l'avant-dernier, "Circle". Car il faut bien le dire, si Amorphis est toujours un groupe de renom ce sont surtout les trois premiers albums qui sont assez indispensables à toute bonne discographie metallique qui se respecte.
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(y compris sur le continent américain) et la sortie en janvier 1995 de Black Winter Day, EP comprenant 3 inédits (voir ICI). La contrepartie d'un succès aussi foudroyant? Une attente énorme générant une pression qui n'a pas été sans conséquences. Si l'étape du 3ème album est souvent jugée décisive, voici un cas d'école. Les Finlandais ont-ils joué la carte de la prudence avec un Tales from... part II, ou celle de l'évolution, au risque de perdre l'adhésion d'un auditoire fraichement acquis à sa cause? Presque 20 ans après on connait évidemment la réponse, mais à l'époque spéculations et doutes allaient bon train.
Amorphis était confronté au plus important défi de sa carrière.
Passons d'abord les troupes en revue. Kasper Mårtenson quitte Amorphis peu après l'enregistrement de l'EP Black Winter Day, visiblement opposé à l'idée de tourner. Connaissant l'influence du claviériste sur Tales from..., cette perte n'est pas anodine. Privilégiant les registres prog et folk, Kasper Mårtenson va délaisser la scène metal pendant un temps, jusqu'à son retour en 2007 au sein de Barren Earth. Esa Holopainen nous présente son successeur: Kim Rantala. "Il ne s'est jamais produit aux côtés de groupes de death metal auparavant. Il jouait du jazz, du funk et de la soul dans les clubs." (Hard Force mag n°19 de janvier 1997) Autre départ, celui du membre fondateur Jan Rechberger. S'il semble avoir disparu des écrans jusqu'à sa réintégration en 2003, le batteur a développé des projets naviguant entre electro et space rock, comme Accu et surtout All Human Substitutes.
Pekka Kasari le remplace. Membre de Stone, formation de speed/thrash dissoute en 1991, il a 4 albums studio et de multiples tournées à son actif. Est-ce tout? Ma foi non. Satisfaits par l'expérience du chant clair sur Tales from..., les Finlandais souhaitent développer cet aspect en intégrant un 6ème membre. Ceux qui attendaient Ville Tuomi (Kyyria) en auront été pour leurs frais, car c'est l'inconnu Pasi Koskinen (St. Mucus) qui est choisi.
En 1995, la moitié du line-up d'Amorphis est alors inédite.
Olli-Pekka Laine, Tomi Koivusaari, Pasi Koskinen, Pekka Kasari, Esa Holopainen, Kim Rantala
La découverte du visuel d'Elegy est édifiante. A l'instar de Moonspell et bien d'autres, exit le logo extrême au profit d'une typo privilégiant les arrondis, signe de la maturation du groupe. Au crépuscule étoilé de Tales from... succède un symbole mystique baignant dans la lumière du jour. Signé par l'incontournable Kristian Wåhlin, ce visuel dégage beaucoup de sérénité. Côté crédits, ambiance petits plats dans les grands. Les Finlandais ont bénéficié des services de quelques uns des meilleurs techniciens de l'époque. Partagé entre Stockholm et Helsinki, les sessions d'enregistrement se sont réparties entre 3 studios/producteurs: le Sunlight de Tomas Skogsberg (Mr swedish death), le MD de Kai Hiilesmaa (future référence) et le Finnvox de Mikko Karmila (déjà expérimenté, il flambera dans la décennie à venir). Pour le mixage, Amorphis a fait appel au Britannique Pete Coleman (Gorefest, Napalm Death, Paradise Lost). Quant au mastering, l'Américain Dave Shirk (Incantation) rempile pour la 3ème fois consécutive. Du très beau linge. Côté textes, Amorphis poursuit la démarche entreprise sur Tales from... à savoir la mise en musique des écrits d'Elias Lönnrot. Sur Elegy c'est le Kanteletar qui est à l'honneur. Paru en 1840, ce recueil de contes et poèmes issus de la tradition orale est un complément indissociable du Kalevala (1835-1836). Une évolution dans la continuité? Ça y ressemble. Reste à le vérifier.
Une fois de plus, les compositions sont à mettre au crédit d'Esa Holopainen et du bassiste Olli-Pekka Laine (futur meneur de Barren Earth). A noter, l'implication du claviériste Kim Rantala qui signe seul le morceau-titre.
"Nous écoutons encore du heavy metal, mais nous aimons aussi le folk et le progressif 70s. Nous essayons de garder l'esprit ouvert et perméable à d'autres genres. Tales from... était une recherche du son que nous avons finalement trouvé pour Elegy." Esa Holopainen (Hard Force mag n°19 de janvier 1997) Les premières écoutes confirment ce que l'on pressentait. Ce 3ème album va beaucoup plus loin que son prédécesseur, le metal cédant du terrain aux influences progressives et folk. Les claviers sont désormais omniprésents et les parties de guitares se font volontiers acoustiques. Dans le même ordre d'idée, les Finlandais ont inversé la tendance concernant le chant. Majoritaires sur Tales from... les growls du guitariste Tomi Koivusaari s'effacent au profit du chant clair de Pasi Koskinen. Authentique et courageuse, cette évolution n'a pas été du goût de tous. "Amorphis s'égare dans de multiples voies et semble vouloir jouer avec le feu" (catalogue Black Cat) "Ça manque d'énergie, de hargne, de puissance... J'espère que le groupe a juste traversé une période de manque d'inspiration et qu'il va rapidement rectifier le tir!" (3/6 dans le Metallian n°3 de mai/juin 1996) Alors qu'en est-il réellement?
Ecoutant du prog 70s (Pink Floyd, Genesis, Camel, Focus) en marge de la scène extrême, ces partis-pris assumés des Finlandais ne m'ont pas posé de problème. Plus subtiles et un brin plus complexes, les compositions d'Elegy regorgent de trouvailles comme l'emploi d'un sitar électrique par Esa Holopainen, d'un accordéon par Kim Rantala ou de percussions par Tomi Koivusaari. L'instrumentation est plus riche et variée, le groupe multipliant les pistes et les effets sans jamais perdre de vue l'intérêt des morceaux. Les progrès sont visibles à tous les niveaux et parfaitement mis en valeur par une production à la hauteur de l'enjeu. Le batteur Pekka Kasari surclasse Jan Rechberger avec un jeu plus fluide et technique. Le claviériste Kim Rantala ne fait pas de figuration et marque Elegy de son empreinte. Le bassiste Olli-Pekka Laine a accru son influence et gagné en visibilité. Quant aux 6-cordistes le boulot abattu est énorme et leur patte immédiatement reconnaissable, une qualité rare. Si je devais mettre un bémol? Le chant clair de Pasi Koskinen. Pas de faute de goût ou de problème de justesse, mais une signature vocale qui me branche moyennement (Tomi Joutsen répondra à mes attentes par la suite). Les growls sont aussi volontairement sous-mixés. En plein âge d'or de l'underground européen, Amorphis réussit le tour de force de se positionner en chef de file, le tout avec une moyenne d'âge inférieure à 25 ans. Wow.
L'intro hypnotisante au sitar de Better Unborn précède un riff typiquement Amorphis. Suis le single Against Widows, véritable cavalcade heavy metal avec d'ébouriffants passages de wah-wah. Uniquement en chant clair, l'intimiste The Orphan s'achève de la manière la plus épique possible. On Rich and Poor? Une démonstration de puissance qui met la misère à Against Widows. Cares remporte la palme du morceau le plus expérimental (comme Magic and Mayhem avant lui) avec 2 passages marquants: dansant (presque ska) vers 1mn20 puis electro (à la limite de la techno) vers 2mn20. Song of the Troubled One joue sur les mêmes codes que Drowned Maid sur Tales from... Une décharge d'adrénaline uniquement en growls, les claviers et les parties de wah-wah en sus. Weeper on the Shore ou la fusion des genres, de la facette lumineuse (acoustique, claviers, chant clair) et des ingrédients metal. Elegy ou LA grande fresque épique emmenée par les parties de piano de Kim Rantala. Quant à Relief, cet instrumental réussit l'exploit d'être un temps fort de l'album, avec une section rythmique volubile. On finit avec My Kantele.
Pour en apprendre plus sur cet instrument traditionnel finlandais, direction le paragraphe 2 de la chronique de Nest. La version électrique comprend intro growlée, soli de claviers et un final mélodique de toute beauté. Sa relecture acoustique bénéficie de l'utilisation judicieuse d'un accordéon et d'un final absolument sublime au sitar.
Anecdote perso: Jeune provincial à l'époque, je ne pouvais que rarement profiter d'un concert de metal donné par un groupe étranger de cette envergure. Après avoir vendangé plusieurs opportunités (Paradise Lost, Life of Agony), mon souhait a été exaucé le 13 février 1997 en assistant au show d'Amorphis au Bikini de Toulouse (avec les excellents Evereve en première partie, R.I.P. Tom Sedotschenko). J'en ai retenu le look krishna façon Shelter (Here we Go Again) de Pasi Koskinen et son énergie scénique débordante (à la limite de percuter Esa Holopainen
2 fois). Ce concert m'a laissé de bons souvenirs, ainsi que le médiator d'Olli-Pekka Laine et la playlist poliment demandée à un roadie. La voici:
Setlist: Cares / Better Unborn / Into Hiding / Against Widows / The Orphan / The Castaway / In the Beginning / Weeper on the Shore / And I Hear You Call / Elegy
Rappel 1: Relief / My Kantele / Magic and Mayhem
Rappel 2: On Rich and Poor / Black Winter Day
5 morceaux sur 10 de Tales from the Thousand Lakes ok, 9 morceaux d'Elegy sur 10 (pas de Song of the Troubled One, ouin) et... ah tiens kessecé ça And I Hear You Call? Une reprise qui nous emmène en mai 1997 soit 1 an après Elegy. Dans la grande lignée des EPs indispensables sortis au cours des années 90s, My Kantele comprend
5 morceaux enregistrés chez Kai Hiilesmaa et mixés par Pete Coleman. Au programme la version acoustique,
2 inédits et 2 reprises. The Brother Slayer est une compo signée Pasi Koskinen. The Lost Son (The Brother-Slayer Part II) est un instrumental qui marque le retour des guitares électriques et comprend un percussionniste en guest. Amorphis accentue sa facette progressive et se rapproche du space rock. Et puisqu'on en parle, la première reprise c'est Levitation un classique de Hawkwind, pionnier du genre actif depuis 1969 qui a vu défiler masse de musiciens dont Lemmy Kilmister (Motörhead). Après une entame de facture classique, la phase instrumentale débutant à 1mn50 est absolument FAN-TAS-TI-QUE. Riff mémorable, de super parties de grattes, de multiples arrangements et un Pekka Kasari démonstratif. Quant à And I Hear You Call, il s'agit d'une reprise de Kingston Wall, un groupe de rock progressif finlandais auteur de 3 albums avant sa dissolution en 1994. La version d'Amorphis met une claque à l'originale grâce à son énergie, son emphase et sa production. Certains se souviennent sans doute de leur reprise de Light my Fire des Doors disponible sur le digipack de Tales from... Une tentative plus proche de la parodie que de l'hommage, le groupe manquant encore d'expérience et de maitrise pour se frotter à pareil exercice. 2 ans plus tard les Finlandais ont muri et transformé l'essai. L'EP My Kantele en écoute intégrale ICI
Au sommet de sa créativité, Amorphis est sur la voie royale. Elegy marque une étape importante dans la quête d'identité des Finlandais. Classique incontournable, il a fortement conditionné la suite de leur carrière, bien plus que son encombrant prédécesseur. Une oeuvre charnière.
Rédigé par : forlorn | 1996 | Nb de lectures : 2865