Pour nos troubadours pyrénéens, cette année 2014 revêt un caractère particulier. Outre la sortie de La Pèira Negra, son excellent 6ème album, Stille Volk fête ses 20 ans d'existence. L'occasion était idéale pour évoquer la fondation du groupe et son 1er opus, le pastoral Hantaoma. Les fans n'ont sans doute pas manqué de le constater, tous les albums de Stille Volk ont fait l'objet d'une chronique sur VS. Tous à l'exception du Satyre Cornu. D'abord hésitant à l'idée d'enchainer, c'est une coincidence qui m'a décidé. Sorti en 2001 sur Holy records, ce 3ème opus possède la référence 66.6, à l'instar de la présente chronique Remember (666). En considérant sa thématique, le moment m'a semblé plutôt opportun. Dont acte.
L'année 1998. Stille Volk participe au Tribute à Paradise Lost réalisé par Holy records en choisissant de concilier influences pagan et background metal. C'est une franche réussite et l'un des points d'orgue du Tribute. Certains se prennent à espérer une orientation "folk metal" de Stille Volk, comparable à celle des Suédois d'Otyg. Face au potentiel dévoilé, il était plus que souhaitable que les Pyrénéens réalisent ce mélange si spécifique, achevant ainsi l'oeuvre naguère entreprise par Sus Scrofa et Eviternity. Le side-project Hantaoma répondra à ces attentes quelques années plus tard avec l'album Malombra. Mais à la sortie d'[Ex-uvies] à l'hiver 1998/1999, la surprise est totale. Transfigurée, la musique de Stille Volk s'est modernisée, apparaissant sous un jour beaucoup plus étrange, mystérieux et déjanté. Hors-norme, ce 2ème album va diviser. Pour ma part, je le range dans la catégorie chef d'oeuvre. Enthousiaste et confiant, j'attendais la suite de pied ferme, ignorant que Stille Volk entrait dans une période de turbulences.
Loin de moi l'idée de remuer de mauvais souvenirs (surtout à l'ère de l'unité retrouvée), mais l'incompatibilité artistique entre Patrice Roques et Yan Arexis eut pour conséquence le départ de ce dernier. Stille Volk entrait dans une phase de réflexion et de restructuration. Bien sûr l'incorporation de nouveaux instruments réclame du temps, de même que l'élaboration d'un nouveau concept, mais cette fois le défi semblait plus important. En effet il s'agissait de repenser la dynamique de leur musique, faute de percussionniste attitré. Quant à l'enregistrement, nos troubadours ont semble-t-il rencontré certains soucis techniques. A cette époque la presse spécialisée a aussi fait état de la possible signature de Stille Volk sur le label allemand Prophecy. Information prématurée ou erronée, je n'ai jamais su ce qu'il en était. Toujours est-il qu'en 2001 c'est bien sur Holy records que parait leur 3ème album: Satyre Cornu. Je vais être honnête, l'écoute des morceaux présents sur les samplers m'a déconcerté et même dans un premier temps dépité.
Mon problème? J'espérais une suite plus ou moins directe d'[Ex-uvies]. Mais vis à vis de musiciens aussi indépendants et créatifs, il ne faut pas avoir d'attentes trop précises et garder l'esprit ouvert. On sait qu'ils iront de l'avant et ne sortiront pas 2 fois le même album. Un comportement digne d'estime que j'ai choisi d'encourager, mettant de côté mes a priori. C'est l'heure du point culture. Les Satyres sont des créatures de la mythologie grecque (l'équivalent des Faunes chez les Romains) au comportement lubrique et libidineux évoluant dans le sillage de Dionysos (Bacchus) et de Pan (Sylvain). Ce dernier est la figure centrale de ce 3ème album de nos troubadours. Divinité de la nature, protecteur des troupeaux et des bergers, Pan influence également les mouvements de foule, créant la panique. Le christianisme a utilisé l'apparence et le caractère sulfureux de ce Dieu très populaire qu'il a attribué au diable et aux démons pour lutter contre le paganisme. Découvrons maintenant l'angle d'approche de Stille Volk sur ces 11 'nouvelles' compositions.
Patrice Roques nous raconte: "Satyre Cornu obéit à un concept bien particulier qui se déroule à la manière d'une pièce de théâtre. Il s'agit d'un diptyque alternant une vision idéalisée de la nature par les troubadours du XIIème siècle avec la notre, métaphorique et nettement plus obscure. Nous avons décidé d'évoquer Pan en tant qu'archétype. Pan c'est la force qui pèse d'un poids égal sur les pierres, les végétaux et les êtres vivants. (...) Irrité des empiètements incessants des hommes sur son domaine, Pan les punit pour les souffrances infligées à la terre vivante, utilisant les éléments (l'eau, le vent, la terre et le feu) pour faire naître l'angoisse, le sentiment de panique." Ce 3ème opus bénéficie d'un digipack monochromatique vert. Riche en gravures, le livret présente les textes des morceaux encadrés par un prologue et un épilogue ne figurant pas sur le CD. Pour l'anecdote la gravure illustrant le Réveil de Pan figure également dans le livret d'Alice in Chains (1995), l'album éponyme du groupe emmené par Jerry Cantrell et le regretté Layne Staley. Etonnant non?
Satyre Cornu n'est pas le genre d'album s'accommodant d'une écoute superficielle, sous peine de passer totalement au travers (ce dont je me suis rendu coupable l'espace de quelques années). Ce 3ème album ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs. Certains morceaux (Rassa Tan Creis, Pan Domna Poc, Quan L'Herba Fresca) se réfèrent à une tradition musicale remontant aux troubadours du XIIème siècle (bien antérieure aux éléments d'Hantaoma). De plus les membres de Stille Volk ont choisi d'inclure de nouveaux instruments, parvenant à un résultat inédit. Les amateurs éclairés et autres fans d'Orphaned Land reconnaitront par exemple les interventions de l'oud et du bouzouki (Marche Nocturne). Mais la principale innovation concerne l'adjonction de rythmes tribaux et électro obtenus par un mélange de BAR (Le Réveil et la Vengeance de Pan) et de percussions acoustiques. Précision digne d'intérêt, le duo Lafforgue/Roques a bénéficié de la participation de l'auteur et érudit Frantz-Emmanuel Petiteau, en charge de certains instruments à vents et percussions.
Obéissant probablement à certaines règles d'écriture strictes, Patrick Lafforgue utilise un registre vocal plus uniforme, loin des exubérances du bien nommé [Ex-uvies], mais plus adapté à l'atmosphère globalement sombre et mystique de ce 3ème album (qui demeure à mon sens le plus dark de Stille Volk). Parmi les titres phares je citerais Pan Domna Poc propulsé par ses instruments à vents (chalémie, bombarde, cornemuse, flute), des Crapauds haut en couleurs (m'évoquant la scène de l'ourson sous champis dans le film de Jean-Jacques Annaud), l'hypnotisante Vengeance de Pan, l'expérimental Quan L'Herba Fresca ou la rencontre du médiéval et de l'electro. J'ai aussi gardé une surprise en réserve. La 10ème plage, Adoumestica Una Terro, n'est autre qu'une reprise de To Tame a Land, le classique d'Iron Maiden issu de l'album Piece of Mind (1983). Dépourvue d'éléments metal et surtout chantée en occitan, cette version est une brillante démonstration du travail d'appropriation de nos troubadours pyrénéens. Du beau travail.
Avec Satyre Cornu, Patrick Lafforgue et Patrice Roques ont su relancer la machine et repartir sur de nouvelles bases, en osant le grand écart entre tradition médiévale et programmation electro, à l'instar de groupes allemands comme Qntal et Helium Vola. Mais en comparaison de ses collègues d'outre Rhin, Stille Volk possède un avantage non-négligeable, sa spécificité culturelle. Le reste est affaire de goûts et de moods. Si vous aimez l'exploration musicale et la pagan music, mais que vous ne connaissez pas Stille Volk, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Rédigé par : forlorn | 2001 | Nb de lectures : 1857
666 mercis pour cette chronique ! Et vu que To Tame a Land est un morceau extraordinaire (tant pis pour Frank Herbert !), je suis vraiment curieux d'entendre ce que ça donne...
tanner IP:194.254.25.77 Invité
Posté le: 27/05/2014 à 10h03 - (30954)
En fait, Prophecy a réalisé la distribution en Allemagne via une licence.
forlorn Membre enregistré
Posté le: 31/05/2014 à 11h26 - (30963)
En guise de up, je rajoute une anecdote.
Le 19 octobre 2002, j'ai fait le voyage jusqu'à leur fief de Lourdes pour assister à un concert de Stille Volk. Le public était des plus bigarrés: de l'habitant du coin au touriste, en passant par les fans de musique traditionnelle et les metalleux.
Après le show, je suis allé les saluer. Si mes souvenirs sont bons, Patrick Lafforgue récupérait des CDs qu'il avait prêté, dont Homogenic de Björk et un album solo de Lisa Gerrard (Duality, avec Pieter Bourke). Quant à Patrice Roques, j'avais lu dans une interview qu'il avait publié un livre. Ce dernier ne figurant pas dans le minuscule coin merchandising (tenu par une fan d'[Ex-uvie]), j'ai surpris l'intéressé en lui posant la question. Résultat je lui ai acheté un exemplaire en mains propres à l'arrière de sa voiture.
Le bouquin se nomme "Sorcellerie et Superstitions dans les Pyrénées Centrales du XVIe au XIXe siècle". Il est sorti courant 2002 aux éditions Lacour. D'ailleurs il faudra que je le relise.
Moshimosher Membre enregistré
Posté le: 31/05/2014 à 22h24 - (30964)
Quoi ! Lourdes ?! Il y a des satyres à Lourdes ? Hé, hé, hé, son eau doit être vraiment miraculeuse...
Pour ce qui est du livre, il devait être très intéressant... Mais, bon, 2002, chuis sûr qu'il doit plus être disponible... Dommage... :(
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L'année 1998. Stille Volk participe au Tribute à Paradise Lost réalisé par Holy records en choisissant de concilier influences pagan et background metal. C'est une franche réussite et l'un des points d'orgue du Tribute. Certains se prennent à espérer une orientation "folk metal" de Stille Volk, comparable à celle des Suédois d'Otyg. Face au potentiel dévoilé, il était plus que souhaitable que les Pyrénéens réalisent ce mélange si spécifique, achevant ainsi l'oeuvre naguère entreprise par Sus Scrofa et Eviternity. Le side-project Hantaoma répondra à ces attentes quelques années plus tard avec l'album Malombra. Mais à la sortie d'[Ex-uvies] à l'hiver 1998/1999, la surprise est totale. Transfigurée, la musique de Stille Volk s'est modernisée, apparaissant sous un jour beaucoup plus étrange, mystérieux et déjanté. Hors-norme, ce 2ème album va diviser. Pour ma part, je le range dans la catégorie chef d'oeuvre. Enthousiaste et confiant, j'attendais la suite de pied ferme, ignorant que Stille Volk entrait dans une période de turbulences.
Loin de moi l'idée de remuer de mauvais souvenirs (surtout à l'ère de l'unité retrouvée), mais l'incompatibilité artistique entre Patrice Roques et Yan Arexis eut pour conséquence le départ de ce dernier. Stille Volk entrait dans une phase de réflexion et de restructuration. Bien sûr l'incorporation de nouveaux instruments réclame du temps, de même que l'élaboration d'un nouveau concept, mais cette fois le défi semblait plus important. En effet il s'agissait de repenser la dynamique de leur musique, faute de percussionniste attitré. Quant à l'enregistrement, nos troubadours ont semble-t-il rencontré certains soucis techniques. A cette époque la presse spécialisée a aussi fait état de la possible signature de Stille Volk sur le label allemand Prophecy. Information prématurée ou erronée, je n'ai jamais su ce qu'il en était. Toujours est-il qu'en 2001 c'est bien sur Holy records que parait leur 3ème album: Satyre Cornu. Je vais être honnête, l'écoute des morceaux présents sur les samplers m'a déconcerté et même dans un premier temps dépité.
Mon problème? J'espérais une suite plus ou moins directe d'[Ex-uvies]. Mais vis à vis de musiciens aussi indépendants et créatifs, il ne faut pas avoir d'attentes trop précises et garder l'esprit ouvert. On sait qu'ils iront de l'avant et ne sortiront pas 2 fois le même album. Un comportement digne d'estime que j'ai choisi d'encourager, mettant de côté mes a priori. C'est l'heure du point culture. Les Satyres sont des créatures de la mythologie grecque (l'équivalent des Faunes chez les Romains) au comportement lubrique et libidineux évoluant dans le sillage de Dionysos (Bacchus) et de Pan (Sylvain). Ce dernier est la figure centrale de ce 3ème album de nos troubadours. Divinité de la nature, protecteur des troupeaux et des bergers, Pan influence également les mouvements de foule, créant la panique. Le christianisme a utilisé l'apparence et le caractère sulfureux de ce Dieu très populaire qu'il a attribué au diable et aux démons pour lutter contre le paganisme. Découvrons maintenant l'angle d'approche de Stille Volk sur ces 11 'nouvelles' compositions.
Patrice Roques nous raconte: "Satyre Cornu obéit à un concept bien particulier qui se déroule à la manière d'une pièce de théâtre. Il s'agit d'un diptyque alternant une vision idéalisée de la nature par les troubadours du XIIème siècle avec la notre, métaphorique et nettement plus obscure. Nous avons décidé d'évoquer Pan en tant qu'archétype. Pan c'est la force qui pèse d'un poids égal sur les pierres, les végétaux et les êtres vivants. (...) Irrité des empiètements incessants des hommes sur son domaine, Pan les punit pour les souffrances infligées à la terre vivante, utilisant les éléments (l'eau, le vent, la terre et le feu) pour faire naître l'angoisse, le sentiment de panique." Ce 3ème opus bénéficie d'un digipack monochromatique vert. Riche en gravures, le livret présente les textes des morceaux encadrés par un prologue et un épilogue ne figurant pas sur le CD. Pour l'anecdote la gravure illustrant le Réveil de Pan figure également dans le livret d'Alice in Chains (1995), l'album éponyme du groupe emmené par Jerry Cantrell et le regretté Layne Staley. Etonnant non?
Satyre Cornu n'est pas le genre d'album s'accommodant d'une écoute superficielle, sous peine de passer totalement au travers (ce dont je me suis rendu coupable l'espace de quelques années). Ce 3ème album ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs. Certains morceaux (Rassa Tan Creis, Pan Domna Poc, Quan L'Herba Fresca) se réfèrent à une tradition musicale remontant aux troubadours du XIIème siècle (bien antérieure aux éléments d'Hantaoma). De plus les membres de Stille Volk ont choisi d'inclure de nouveaux instruments, parvenant à un résultat inédit. Les amateurs éclairés et autres fans d'Orphaned Land reconnaitront par exemple les interventions de l'oud et du bouzouki (Marche Nocturne). Mais la principale innovation concerne l'adjonction de rythmes tribaux et électro obtenus par un mélange de BAR (Le Réveil et la Vengeance de Pan) et de percussions acoustiques. Précision digne d'intérêt, le duo Lafforgue/Roques a bénéficié de la participation de l'auteur et érudit Frantz-Emmanuel Petiteau, en charge de certains instruments à vents et percussions.
Obéissant probablement à certaines règles d'écriture strictes, Patrick Lafforgue utilise un registre vocal plus uniforme, loin des exubérances du bien nommé [Ex-uvies], mais plus adapté à l'atmosphère globalement sombre et mystique de ce 3ème album (qui demeure à mon sens le plus dark de Stille Volk). Parmi les titres phares je citerais Pan Domna Poc propulsé par ses instruments à vents (chalémie, bombarde, cornemuse, flute), des Crapauds haut en couleurs (m'évoquant la scène de l'ourson sous champis dans le film de Jean-Jacques Annaud), l'hypnotisante Vengeance de Pan, l'expérimental Quan L'Herba Fresca ou la rencontre du médiéval et de l'electro. J'ai aussi gardé une surprise en réserve. La 10ème plage, Adoumestica Una Terro, n'est autre qu'une reprise de To Tame a Land, le classique d'Iron Maiden issu de l'album Piece of Mind (1983). Dépourvue d'éléments metal et surtout chantée en occitan, cette version est une brillante démonstration du travail d'appropriation de nos troubadours pyrénéens. Du beau travail.
Avec Satyre Cornu, Patrick Lafforgue et Patrice Roques ont su relancer la machine et repartir sur de nouvelles bases, en osant le grand écart entre tradition médiévale et programmation electro, à l'instar de groupes allemands comme Qntal et Helium Vola. Mais en comparaison de ses collègues d'outre Rhin, Stille Volk possède un avantage non-négligeable, sa spécificité culturelle. Le reste est affaire de goûts et de moods. Si vous aimez l'exploration musicale et la pagan music, mais que vous ne connaissez pas Stille Volk, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Rédigé par : forlorn | 2001 | Nb de lectures : 1857