Convecteur temporel allumé. Allez, en voiture. Accélération à plus de 88 miles à l'heure, direction l'année 1993. Je sors excité du ciné. Je viens de voir Last Action Hero de John McTiernan, un excellent film d'action autoparodique avec Arnold Schwarzenegger. Scénario ultra fun, répliques cultes, nombreux caméos, le tout surplombé de titres en béton, dont la plupart, composés pour l'occasion, vont devenir des classiques (voir ma kro). Parmi eux, l'excellentissime Poison my Eyes d'Anthrax. Puissance, groove, mélodies, super chanteur (John Bush), sans oublier les scratchs de l'intro... j'accroche instantanément à ce concentré de fun et d'énergie. Quelques mois plus tard je recroise les New-Yorkais sur la compil' The Beavis And Butt-Head Experience pour leur reprise des Beastie Boys (Looking Down the Barrel of a Gun extrait de l'album Paul's Boutique). Cette fois je suis prêt à me procurer mon 1er album d'Anthrax. Ce sera le dernier en date, Sound of White Noise. Mais avant d'aller plus loin, un résumé de carrière s'impose.

Remember de la BO de Last Action Hero: voir ICI
Poison my Eyes: voir ICI
Looking Down The Barrel Of A Gun (live 1994): voir ICI

1981: Fondation d'Anthrax par les guitaristes Scott Ian et Dan Lilker.
1982: Dan Lilker récupère la basse. Arrivée du chanteur Neil Turbin.
1983: Arrivées du soliste Dan Spitz puis du batteur Charlie Benante.
1984: Sortie du 1er album Fistful of Metal dans une veine speed/thrash.
Départ de Dan Lilker, remplacé par Frank Bello (le neveu de Charlie).
1985: Départ de Neil Turbin, remplacé par Joey Belladonna. L'EP Armed and Dangerous marque la transition.
Sortie du 2ème album Spreading the Disease. Anthrax a trouvé son style: le mosh.
1986: Année noire avec l'annulation de 3 tournées successives.
1987: Sortie du 3ème album considéré comme leur classique absolu: Among the Living.
L'EP I'm the Man voit le groupe se frotter une première fois au rap.
1988: Sortie du 4ème album State of Euphoria. Apogée commerciale du groupe.
1989: Les New-Yorkais capitalisent avec l'EP Penikufesin (comprenant 2 reprises de Trust).
1990: Le 5ème album Persistence of Time marque un changement d'orientation: + complexe/dark/sérieux.
1991: Sortie d'Attack of the Killer B's, une compilation de raretés (dont la collaboration avec Public Enemy).
1992: Départ de Joey Belladonna, remplacé par John Bush (ex-Armored Saint).

L'anthrax est une maladie infectieuse utilisée comme arme bactériologique (voir wikipedia). C'est le patronyme choisi par Scott Ian pour son groupe. Anthrax a marqué l'histoire du metal par son style caractéristique (le Mosh, une forme de crossover), son look décontracté, son humour et de nombreuses références comics/ciné. Mais voila le temps passe et les New-Yorkais ne sont pas du genre à aimer vivre sur leurs acquis. Comme nombre de leurs collègues thrashers, Anthrax aborde les années 90s avec la volonté d'innover. Persistence of Time dévoile un autre visage du groupe privilégiant les mid-tempo et le groove, au grand dam des moshers invétérés. Malgré des longueurs, on trouve aussi de bonnes choses, comme In my World, Intro to Reality/Belly of the Beast ou encore Got the Time (reprise de Joe Jackson à la sauce punk). Anthrax enfonce le clou l'année suivante avec Attack of the Killer B's, une compil défouloir leur servant de laboratoire d'expérimentations, le crossover de S.O.D. côtoyant leurs collaborations avec Public Enemy. Inéluctablement le public du groupe commence à rajeunir, ce qui ne manquera pas de les déconcerter par la suite.

Anthrax cherche sa voie et va ironiquement la trouver en changeant... de voix. Après l'abandon des tempos speed et les incursions rap, voila que les New-Yorkais décident de lourder Joey Belladonna. C'en est trop pour les vieux fans, dégoutés, qui prédisent une fin rapide au groupe. Envisagé au poste de chanteur de Metallica 10 ans plus tôt, l'excellent John Bush est pourtant le meilleur choix possible (au prix du split d'Armored Saint). Le Californien a pour lui le coffre, la maitrise, la polyvalence et, on va le voir, un investissement dans le processus créatif qui manquait à son prédécesseur. L'année 1992 est synonyme de transition pour Anthrax qui signe chez Elektra, filiale de Warner Bros. abritant notamment Metallica et Mötley Crüe. Island records referme le chapitre Belladonna 2 ans plus tard avec une compilation live (qu'il m'aura fallu apprivoiser). Ceci étant dit, venons-en à Sound of White Noise, le premier album de l'ère John Bush. Supervisé par Charlie Benante le visuel n'est pas terrible (y compris les superpositions d'images au dos du livret). Le boitier cristal figurant un crâne en relief n'y change rien. Aucune importance tant que la musique tient la route.


Pour l'enregistrement, les New-Yorkais ont fait appel à Dave Jerden, responsable de l'un des plus gros cartons de l'année passée (l'extraordinaire Dirt d'Alice in Chains), provoquant une levée de boucliers de la part des allergiques à l'étiquette 'grunge'. Mais trêve de conneries, sa production apporte puissance et relief à un groupe métamorphosé. En 1993 Anthrax sonne résolument mature et moderne. Grâce à la participation active de John Bush, les New-Yorkais ont retrouvé la patate et acquis un sens aigu de la mélodie qu'on ne leur connaissait pas. Si Anthrax est souvent cité en tant que maillon faible du Big 4, Sound of White Noise n'en est pas moins leur Black Album (traduction: un album référentiel). Et si Persistence of Time était parfois chiant, ici chaque titre, peaufiné à l'extrême, est un hit en puissance. Sound of White Noise va d'ailleurs se hisser à la 7ème place du Billboard (ils n'ont jamais fait mieux). Mur du son, retour des cavalcades thrashisantes, section rythmique explosive et performance vocale, Anthrax nous donne déjà de quoi faire, pourtant ce n'est pas tout. Sound of White Noise a d'autres atouts: sa profondeur et la qualité de ses arrangements.

Ce 6ème opus se compose de 11 morceaux et approche l'heure de musique. Ça peut sembler trop, mais son niveau de composition est tel que l'ensemble passe tout seul. La paire Scott Ian/Dan Spitz nous offre ici son travail le plus riche et abouti. Si l'efficacité est de mise, les changements de rythmes et autres subtilités sont légion, de la multiplication des parties de guitare à l'utilisation d'arpèges et de pédales d'effets. Utilisés plus judicieusement, les soli de Dan Spitz gagnent en feeling et en efficacité. J'évoquais plus haut la notion de profondeur, elle se traduit par un important usage de basses de Frank Bello (4, 6 et 12 cordes), assisté par Scott Ian. Quant à Charlie Benante, sa performance insuffle une sacrée pêche à cet opus. En clair, chacun contribue à faire de Sound of White Noise une machine de guerre sans défaut ni faiblesse, capable de résister aux ravages du temps. Concernant leurs sources, la fameuse power-ballad Black Lodge s'inspire de Twin Peaks de David Lynch. Elle doit d'ailleurs beaucoup au compositeur de la série Angelo Badalamenti qui leur a fait bénéficier de son savoir-faire (guitares - claviers - samples). Quant à la conclusion This Is Not an Exit, elle est basée sur la fameuse nouvelle de Bret Easton Ellis, American Psycho, et inclus également un sample du film My Girl.

L'irrésistible crescendo Potters Field, le formidable single Only, le groove imparable de Room for One More, Packaged Rebellion et son excellent refrain, Hy Pro Glo et sa rythmique hachée, la frénésie d'Invisible, 1000 Points of Hate et ses scratchs signés Terminator X (Public Enemy), la mélancolie de la power-ballad Black Lodge, la fougue de C11 H17 N2 O2 S Na qui emporte tout sur son passage, l'hymne Burst précédant la conclusion sabbathienne This is Not an Exit. Oui je n'ai pas pu m'empêcher de tous les citer. Ou presque, ça serait sans compter les différentes rééditions qui ont fleuri depuis. Par exemple la version Beyond Records de 2001 comprend des reprises de Cheap Trick, Thin Lizzy et The Smiths (+ un remix de Black Lodge), alors que la version 2003 par Nuclear Blast comprend les 4 clips issus de l'album (Only, Room For One More, Hy Pro Glo, Black Lodge).

Sound of White Noise semblait augurer d'un futur radieux pour Anthrax, mais les voies du Music Business sont impénétrables et le départ quelques mois plus tard d'un Dan Spitz souhaitant passer à autre chose (spiritualité, vie de famille, horlogerie) amorce un inévitable déclin. Ceci étant, Sound of White Noise n'en demeure pas moins un excellent opus, le meilleur album d'Anthrax depuis Among the Living, et accessoirement mon préféré.




Rédigé par : forlorn | 1993 | Nb de lectures : 2594