DUSK - Jahilia (Epidemie) - 12/12/2015 @ 20h00
Dusk est un patronyme plutôt galvaudé, metal-archives recensant pas moins de 9 groupes l'utilisant ou l'ayant utilisé. Pour beaucoup il évoque l'unique album d'une formation US présentée comme une alternative à Thergothon. De nos jours c'est un one-man-band de black metal qui tient le haut du pavé. Actif depuis 20 ans, ce Hongrois dispose d'une discographie fournie. Mais vous l'avez compris, ni l'un ni l'autre ne sont au programme... La destination du jour est plus lointaine et exotique. Il s'agit du Pakistan. Bref rappel historique: La Compagnie britannique des Indes orientales est fondée en 1600 afin de prendre le contrôle des flux commerciaux de cette partie du monde. Prenant l'ascendant sur les rivaux français et néerlandais, elle acquiert progressivement des pouvoirs militaires et administratifs qui sont transférés en 1858 à la couronne britannique, la reine Victoria devenant Impératrice des Indes en 1876. Au début du XXe siècle, le mouvement pour l'indépendance, au sein duquel Gandhi met en pratique ses théories sur la non-violence, aboutit en 1947 à la Partition des Indes. Basée sur la démographie religieuse, elle conduit à la création de 2 États indépendants, le Dominion du Pakistan à majorité musulmane et l'Union indienne à majorité hindoue, occasionnant l'un des plus grands déplacements de population de l'histoire (12,5 millions de personnes) et de nombreux conflits (près d'1 million de morts). Au XXIe siècle, les relations entre le Pakistan et l'Inde sont toujours tendues, le partage de certains territoires restant litigieux (le Cachemire). Ceci étant dit, recentrons nous sur la musique.

L'apparition des bases de données nous ouvrant de larges perspectives, j'en profitais pour piocher des références issues d'Iran (1000 Funerals) et du Pakistan (Dusk). Vu d'Occident, on se représente assez mal les difficultés auxquelles peuvent se heurter les musiciens vivant dans des Républiques Islamistes. Le fait est que metal-archives ne recense que 49 groupes, un tiers étant encore en activité. Un dossier sur le sujet serait d'ailleurs des plus instructifs. Sur ce... Babar Shaikh est un créatif qui ne s'en laisse pas compter, le genre à ne se poser aucune barrière stylistique. Fan absolu de Tony Iommi, il fait parti des premiers musiciens du pays à s'investir dans le metal et fonde Carcinogenic en 1994 à Karachi (capitale économique), dont le style originel s'apparente au doom/death. 2 ans plus tard, l'arrivée du guitariste Faraz Anwar provoque une évolution importante, les Pakistanais prenant un virage prog comprenant des références néoclassiques et gothiques. Après plusieurs Demos, le groupe renommé Dusk signe chez Hibernia Productions (voir la Demo d'Eviternity: Aurost) qui sort son 1er album en 1999: My Infinite Nature Alone. L'ancien site officiel de Dusk proposait des extraits de chaque morceau. En dépit d'une production plutôt modeste (la batterie sonnant comme une BAR), le résultat m'est apparu suffisamment bon pour me décider à investir dans leur 2ème album: Jahilia.

Si 4 années le séparent de son prédécesseur, une Demo (Of White - 2001) et une compilation (Hearts of Darkness - 2002) sont sorties dans l'intervalle. Mais l'époque est aussi aux projets individuels. Babar Sheikh joue alors dans Ganda Banda and the 3D Cats (rock), Northern Alliance (black/thrash) et Aufgang (expérimental). De son côté Faraz Anwar tient les rênes de Mizraab (metal prog) et a sorti son 1er album solo. On le constate, les membres de Dusk sont dispersés. A défaut d'être aussi bien renseigné en 2003, j'optais pour une prise de risque calculée, la signature des Pakistanais chez Epidemie Records m'inspirant confiance. Ce label tchèque n'a pas manqué depuis de prouver sa valeur, voir Aarni, Arallu, Azure Emote, Demimonde, Forgotten Silence, Melancholy Pessimism, Thy Catafalque, Umbra Nihil... De par la qualité de la démarche artistique, le premier contact avec Jahilia est très positif. A l'instar de Mutant Star de Demimonde, Jahilia bénéficie d'un livret à l'esthétique particulièrement soignée et d'un picture-disc. Dans le même ordre d'idées, l'apport d'une partie CD-rom est déterminant. Outre les renvois de liens, elle comprend une galerie de photos, des mp3 (dont 2 morceaux entiers du 1er album) ainsi qu'un vidéoclip pour Return for the One Who is Yet Unborn, version alternative d'un titre de My Infinite Nature Alone débarrassé de ses éléments doom/death... Le professionnalisme est de mise.


Babar Sheikh & Faraz Anwar

En 2003 Dusk n'est plus un groupe mais une collaboration entre 2 personnalités affirmées aux aspirations complémentaires. S'il s'implique dans la direction artistique et contribue aux arrangements/samples, Babar Sheikh se concentre sur les vocaux, laissant la responsabilité de l'instrumentation (guitares, basse, claviers, BAR) à Faraz Anwar. Vu de loin Jahilia semble dans la lignée de son prédécesseur, proposant 8 morceaux pour un peu plus de 40 minutes de musique. Amateur d'exotisme (voir par exemple l'excellent album de Betray my Secrets), j'avais bon espoir que les Pakistanais accouchent d'un 2ème album plus mature et abouti. C'est le moment de découvrir ce qu'il en est. Les plages 1, 6 et 8 ont un rôle de transition et ne sont pas des morceaux à proprement parler.
Si As Pain Becomes Liquid débute par un ensemble piano/claviers façon black sympho 90s, il est vite remplacé par un sample de foule avec de (très) lointaines notes de sitare, le tout durant près de 3 minutes. La conclusion Translucence reprend la même formule, avec un bref passage de beauté instrumentale (acoustique/électrique & organique/synthétique) cédant la place à du dark ambient (voix masculine/féminine & chants religieux + samples). A l'exception d'Attachments servant d'intro au premier "vrai" morceau, on peut parler de remplissage. Dépaysant mais inconsistant. A mon sens, les intentions sont bonnes mais les idées sont insuffisantes/mal exploitées.

Au temps poursuivre en évoquant les points faibles du corps de l'album. Frôlant les 6 minutes de moyenne, les morceaux sont tous à peu près construits de la même façon. Une entame atmosphérique privilégiant les parties de piano/claviers avant l'arrivée soudaine de rythmiques doom/death accompagnées de vocaux versatiles, suivi d'un break instrumental +/- tortueux s'achevant par de superbes soli de guitare. Passons aux intervenants. S'il alterne murmures/narrations, passages extrêmes et samples, le travail vocal de Babar Sheikh est assez fade et plutôt mixé en retrait. Jahilia ressemble d'ailleurs plus à un album instrumental accueillant parfois des vocaux qu'à un album classique. La question du dosage rejoint le constat de remplissage que je faisais précédemment.
Par exemple, Subdued Light s'achève sur une longue minute de larsens. Pas dérangeant, à condition de bien doser. Si l'on peut s'accommoder de ces points de détails, le travail rythmique est par contre loin d'être marquant, en partie à cause de la production. Ingrédient indispensable, le riff apporte la consistance nécessaire aux morceaux pour nous embarquer. Faraz Anwar est visiblement meilleur soliste/arrangeur que guitariste rythmique. Toutefois un titre comme Decadent Little Girl se distingue par son caractère compact, avec un riffing accrocheur associé à un vrai groove amené par une basse très présente. Enchainons avec les points forts de Jahilia.

Si l'usage de la BAR ne fait aucun doute (le son dérangera les plus exigeants), la programmation de Faraz Anwar est plutôt bonne, à l'image des percussions à la fin de Hidden From Senses ou les subtilités de Night Bulb Angel. Déjà évoquée, la basse joue un rôle plus important qu'il n'y parait au premier abord. Une écoute attentive permet de déceler une activité judicieuse tout au long de l'album. Plus intéressé par le prog néoclassique et les arrangements gothiques que le doom/death, Faraz Anwar n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'il provoque des changements de rythme et que son instinct de shredder prend le dessus. Parfois démonstratif (plages 2 & 5), plus souvent dans l'émotionnel (plages 3, 4, 8), il sait nous surprendre, notamment sur Decadent Little Girl avec son feeling presque rock et sa wah-wah de circonstance. Les passages les plus mélodiques de cet album m'évoquent parfois Winds Blow Higher, le sublime album de Sleepless*, notamment au travers des parties de piano/claviers, voir les entames de Night Bulb Angel et Decadent Little Girl (oui encore). En comparaison de son prédécesseur Jahilia est un album plus contrasté et aventureux qui perd en efficacité ce qu'il gagne en expérimentations.
On peut cependant regretter que les Pakistanais ne se soient pas plus lâchés la bride via l'usage d'instruments et mélodies issus de leur propre folklore.

Pour finir sur une anecdote perso: ayant accompagné ma copine de l'époque à une représentation de Raghunath Manet, l'un des rares spécialistes masculins du Bharata Natyam, j'ai reconnu l'un des chants religieux figurant dans l'intro de Jahilia Calling, ce qui ne fait que renforcer le sentiment que Dusk aurait pu nous offrir quelque chose d'encore plus personnel. Ceci étant il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un enregistrement réalisé par des autodidactes dans un pays pas forcément acquis (et encore moins rodé) au metal occidental. Ce genre de contexte change forcément notre perception nous incitant à être plus curieux et... indulgent. Avec son 2ème album, Dusk récolte donc la mention "bien mais peut mieux faire". N'hésitez pas à vous forger votre propre avis en découvrant l'album en écoute intégrale ci-dessous. Pour les pressés, privilégiez les plages 2 & 7.


Que donne l'après Jahilia? Faraz Anwar quitte Dusk l'année suivante. En 2004 le guitariste exhume un album solo composé en 1993 et surtout Mizraab sort son 2ème album. En 2010 Faraz Anwar a fait le choix de s'expatrier à Londres. Conservant la confiance d'Epidemie records, Babar Sheikh a également pris le temps de développer ses projets parallèles. Dusk réapparait en 2006 nantis d'un line-up complet (5 musiciens + guests), au sein duquel son fondateur tient désormais la basse. Le groupe connaitra par la suite de très nombreux changements de musiciens, abandonnant même le mélange de doom/death et de gothic/prog pour un style plus direct et offensif (black/thrash). Artiste complet le sieur Babar Sheikh (qui a notamment fait un passage chez Impiety) se présente sur les réseaux sociaux comme réalisateur de films, metteur en scène et éducateur (voir twitter).

Babar Sheikh
1994 à nos jours: Dusk
1996-2004: Ganda Banda and the 3D Cats
?-?: Aufgang
2001-2009: Northern Alliance
2007?-2008?: Impiety

Faraz Anwar
1990 à nos jours: Faraz Anwar
1996-2004: Dusk
1997 à nos jours: Mizraab
?-?: Collage

* Sleepless était un duo israélien comprenant le fameux Maor Appelbaum qui a acquis une renommée mondiale depuis sa relocalisation à Los Angeles et sa reconversion dans le mastering (Cynic, Faith No More, Halford, Mayhem, Melechesh).


Rédigé par : forlorn | 2003 | Nb de lectures : 2194


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Commentaire
Moshimosher
Membre enregistré
Posté le: 13/12/2015 à 14h28 - (31813)
Album fort sympathique (même s'il a effectivement quelques faiblesses). Merci pour cette chronique très chouette... :)

Ivan Grozny
Membre enregistré
Posté le: 14/12/2015 à 15h14 - (31815)
Pas trop ma came après une écoute rapide, mais cela reste une découverte intéressante et une chronique très instructive. Il a combien de jambes Babar ? :)

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