Après la sortie du single Reaping Death, soit la sauce est montée en vous (bande de coquins), soit vous avez persifflé sec. Les deux positions se valent, entendez bien (sauf si vous êtes de bêtes suiveurs ou de bêtes contradicteurs). Je vous avoue que ma position n'a pas changé d'un iota, en véritable missionnaire de cette nouvelle croisade de Watain.

J'aurais pu accéder aux mp3 de cette nouvelle galette encore plus rapidement qu'au digipack. Et pourtant, je n'en ai point voulu. J'ai attendu fébrilement l'album dans ma boîte aux lettres. Ce n'était pas un élan de masochisme (quoique), mais la simple et irrépressible envie de placer le CD au seul endroit où je voulais l'écouter en premier lieu: dans ma chaine hifi. Lawless Darkness me file une trique d'enfer avec le volume bien fort, à faire de la air-guitar dans mon salon.

Je pense évidemment que le contexte de découverte très particulier de cet album a joué en sa faveur. Mais sincèrement, comment pourriez-vous croire qu'un fils de pute dans mon genre se laisse influencer sur la longueur, une fois revenu se cacher derrière son PC, comme tout lâche qu'il est? Comment pourriez-vous imaginer que je me fade plusieurs fois par semaine depuis un mois un album que j'apprécie ne serait-ce que moyennement? Comme vous êtes intelligent et que vous connaissez votre gâteau sec, vous aurez compris qu'il a fondu pour Lawless Darkness comme un Pepito.

Il est certain qu'on va me renvoyer à la gueule la comparaison avec Sworn to the Dark qui est dans la même gamelle musicale. Et pourtant la différence me saute aux oreilles. Sworn... n'était pas branlé pour me déplaire à la base. Dans la claire mouvance de Dissection, et même directement sous influence après leur tournée commune. Mais ce n'était (et n'est) toujours pas possible, je n'arrive pas à m'enfiler cet album avec ses riffs couplet/refrain en plastique téléphonés à des kilomètres.

Lawless Darkness est certes dans la même gamelle, mais on assiste cette fois à de vrais développements et des titres qui prennent le temps de laisser filer les riffs et les solos. Certains auront parlé de longueurs dans ce nouvel album, alors qu'ils sont en fait plus variés et globalement aussi longs que sur son prédécesseur. Au lieu de nous beugler "Sworn to the Dark" pendant 5 minutes, Watain se fait moins direct et évident, et part vagabonder. Le résultat est un album aux compositions variées, avec des enchaînements de riffs prenants, des mélodies à tomber du fauteuil et un feeling noir comme la suie. Le tout mitonné par un groupe qui a fait son truc dans son coin, sans se préoccuper de l'avis de personne. Chaque titre de Lawless Darkness coule comme un fleuve de sang noir et gluant qui nous amène vers une rive inconnue.

Evidemment, si vous avez aimé , il est probable que ce soit le panard garanti cette fois. Sworn... s'est avéré l'album nécessaire pour faire la transition. Et si vous ne voyez pas de différence entre les deux albums, demandez-vous pourquoi j'aime Loits et je déteste Vreid, la nuance est exactement là. Quand le style devient épuré, l'important est de savoir faire vibrer l'auditeur. Certains albums savent le faire, d'autres non.

Les parties blastée ne sont qu'un marche-pied vers la montée des morceaux, un escalator de notes pour vous porter plus haut que ce qu'expriment les riffs. Et cet album, nul besoin de le décortiquer, il se prend dans la face avec les esgourdes grandes ouvertes, le son fort à faire décrocher les gamelles des enceintes de la platine. Ne vous inquiétez pas si la première écoute ne vous traumatise pas encore, le mal est pourtant fait. Car vous allez revenir sur cet album. Vous en caresserez la pochette en vous promettant que c'est la dernière fois, mais vous allez encore le faire tourner. Le lent poison s'insinue dans votre organisme et vous vous retrouverez très rapidement avec le doigt dans la rondelle.

Dans la chronique de Reaping Death, j'évoquais Tore Stjerna en septième homme de Watain. Maintenant que vous allez avoir la bestiole entre les mains, il est temps de décrypter cette étrange septième position et, comme toujours, tout est symbolisé chez Watain. Vous aurez compris depuis longtemps que le trident représente le Watain originel, les trois fers de lance étant E., H. et P. La croix inversée propose sur les côtés les deux membres de la famille qui viennent s'ajouter pour les lives, S. et A. Il en reste un qui est la branche basse du symbole. Ce L gothique pour Lucifer est en fait un J retourné pour Jon Nödtveidt. Un J pour Nödtveidt en signe de dévotion, qui fait également l'objet d'un discret portrait accroché dans l'antre de Watain.

Et Nödtveidt est bien la clé de toute cette énigme. Le leader de Dissection inspire toujours les Suédois, dont chaque riff est un hommage à leur mentor spirituel. Je m'évertuerai à dire que Lawless Darkness est l'album qu'aurait dû sortir Dissection pour marquer sa renaissance. Après l'esquisse qu'était Sworn to the Dark, Watain est parvenu à synthétiser l'essence musicale et spirituelle de Dissection et à proposer une suite logique de la formule. Lawless Darkness porte sans contexte la marque de fabrique suédoise et pousse en avant les idées de Nödtveidt, alliant les qualités de Storm... à la philosophie de Reinkaos. Là où les ersatz se contentent de reproduire les deux premiers Dissection, Watain en a fabriqué un quatrième et nouvel album.

Restant dans la même sphère, les titres sont assez différents les uns des autres. Allant de l'efficace effet de pack de "Wolves Curse" aux élans aériens de l'instrumental "Lawless Darkness", du cérémonial "Four Thrones" au mélancolique "Waters of Ain", du râle de "Total Funeral" aux élans de guitare de "Hymn to Qayin". Tout du long, il reste une rage animale, un suintement dégueulasse propre à tout ce très long album (79 minutes pour la version digipack, le CD ras-la-gueule). Éructée avec véhémence par Erik, nerveusement rythmée par les instruments, la colère est présente et contrebalancée par des solos dignes des meilleures envolées de leur mentor. Tout comme le Skyforger qui m'a bien marqué dernièrement, ce Watain transpire tout simplement le metal par tous les pores du cuir. Un album réfléchi mais qui sonne comme instinctif et organique, comme le groupe le balancera en live, bien loin des bidouillages de studio qui dénature trop nos écoutes actuelles.

Et pourtant, le travail en studio est clairement énorme. Le son est puissant et tellement net qu'on se croirait en train de headbanguer au milieu du groupe qui envoie la sauce. On est bien loin de Rabid Death's Curse qui fête ses dix ans cette année. Tore Stjerna a su garder un côté crado à l'ensemble et a probablement directement invoqué l'esprit de Cain pour faire sonner tout ça.

En parlant de Cain, les thèmes évoqués par Watain dans ce nouvel opus sont évidemment dans la mouvance des précédents opus. Quelques exceptions sont notables à l'imagerie luciférienne, avec la boucherie "Wolves Curse" (définitivement mon titre préféré, qui va décalaminer sa mère en live), un morceau qui rend hommage à la meute de fans de Watain, et le morceau éponyme qui est tout simplement un instrumental (et il claque). Erik Danielsson laisse également deux textes de l'album à des comparses: "Hymn to Qayin" par Set Teitan et "Total Funeral" par Peter Helmkamp (t'es cuit, wasted!).

Côté guests, Selim Lemouchi (alias SL de The Devil's Blood) vient taper de très beaux solos sur deux titres et Carl McKoy (Fiels of Nephilim) vient faire des voix dans le final de "Waters of Ain". Et parlons-en de ce dernier titre (WATers of AIN, pour les moins perspicaces), un épilogue de 14 minutes avec une montée absolument tripante. C'est un vrai régal que de se laisser porter par ces eaux noires. Le genre de titre comme j'en croise une fois toutes les décennies qui clôt un opus en laissant une impression de vide, comme si le silence était devenu pesant.

Bon, je suis un poil déception que la version digipack compte également la reprise de Death SS tirée de l'EP Reaping Death, "Chains of Death". J'aurais préféré que le final de "Waters of Ain" soit réellement le dernier titre. Mais je chipote, car je n'ai qu'à arrêter la lecture à ce moment-là (ce que je fais souvent). Et puis, il faut reconnaître que l'édition CD digipack chie gravement la classe. Un travail d'orfèvre de la part du Polonais Zbigniew M. Bielak, à qui Danielsson a laissé la main (et pourtant le Suédois n'est pas manchot). Grand bien lui en a pris, car le livret vaut le détour.

Très probablement, Watain a encore une marge d'évolution, en rendant son propos plus intense. Mais ce n'est certainement pas l'intention du groupe, qui étale ses riffs sur de longues plages tout à fait sciemment, se laissant guider vers le fin fond du cosmos. Si j'ose un défaut, je trouve que "Total Funeral" aurait mérité un fil conducteur aussi percutant que son refrain destructeur. Mais sinon, tout est parfait, jusqu'à l'éjaculation sur certains titres.

Mon avis est forgé et trempé. Si je n'ai pas réussi à vous donner un début d'érection avec tout ça, je ne peux plus rien faire pour vous. Je vais maintenant vous laisser vous écharper pour savoir si ce Watain est génial ou non, si ce sont des vilains alors que le groupe X lave bien plus blanc. De mon côté, je vais me plier un slip propre et partir en direction de Londres pour l'Armageddon Fest où se tiendra la release party des Suédois. Quand on aime, on ne compte pas. En fait, Cain aimait trop son frangin. C'était tout connement ça. Cain!

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Rédigé par : Prince de Lu | 18,5/20 | Nb de lectures : 23556