V/A - Karmakosmetix Promosampler (Karmakosmetix/Prophecy/Adipocere) - 11/08/2003 @ 22h28
Il ne s’agit pas ici tant d’une chronique que d’une tribune découvertes, dans la mesure où ce CD est offert en bonus aux heureux acquéreurs du très attendu double album live d’In The Woods…, et j’ignore s’il sera rendu disponible à la vente séparément. Karmakosmetix est un nouveau label, dont les origines remontent néanmoins à trois bonnes années, au moment où certains des artistes du collectif défunt In The Woods… ont éprouvé le besoin de regrouper leurs efforts solitaires respectifs sous la férule d’une structure unique - gérée par leur ex-chanteur Jan Transit. Ce projet étant désormais arrivé à bon port, quoi de plus sensé que de monter une vitrine avec ce que cette mini-scène remuante - voire bien chaotique - a d’intéressant à proposer… Le tour du propriétaire et des expectatives vous est offert en exclusivité par VS :

Stille Opprør : avec déjà un album à son actif, le classieux « Prosjekt 2 13 » (voire chronique dans nos pages), Christer André Cederberg (In The Woods…, Drawn) fait figure de vieux baroudeur sur cette compilation. Pourtant avec ce nouveau morceau, il montre qu’il était bien trop tôt pour accoler définitivement l’étiquette de groupe atmo-folk à Stille Opprør. Traversée par une volée de percussions synthétiques à l’effet assez indéfinissable (ni vraiment dansantes car trop paresseuses, ni vraiment hypnotiques car trop appuyées), la musique renonce provisoirement à la guitare acoustique comme substrat moteur pour laisser le chant masculin glisser sur les slides très 70’s des synthés ou des discrètes cordes électriques. Sur la deuxième partie du morceau, la guitare acoustique réintègre le tableau, mais non pas dans le cadre de virtuosité féline où on l’attend. En lieu et place elle se laisse escorter nonchalamment au cœur d’un paysage morne et flou par de courts murmures de saxo ou de violon, avant un dernier segment que le chant féminin, profondément austère, les percussions devenues feutrées et ce même saxophone se chargent de transformer en tombée de rideau mélancolique à rapprocher des courbes de sous-pression du nouveau The Gathering. Un double-titre atypique, repu de promesses emballantes en vue de l’opus à paraître.

Oddvar a:m : encore un guitariste de feu-In The Woods… à l’ouvrage. L’intro nous ramène presque quelques minutes en arrière tant le rythme programmé semble d’abord similaire à celui du morceau premier. Rapidement toutefois le ton se durcit ostensiblement et l’on quitte les vallées relaxantes et laiteuses de Stille Opprør pour une forme de dark pop electro grisonnante et vicieuse où se chevauchent les fantômes baroques de Depeche Mode et :Wumpscut:. Des échos de synthé futuriste façon Blade Runner viennent là-dessus contrer l’uniformité d’une narration grondante et méthodique, et lézardent ainsi le toit de l’édifice, laissant paraître des bribes d’un décor stellaire, soigneusement gardé hors d’atteinte jusqu’à l’extinction de ces sons hostiles. In The Woods… est bien loin dans le rétroviseur, et les pérégrinations nouvelles d’Oddvar a:m intriguent plus qu’elles ne séduisent - pour l’instant.

Egil S. Olsen : artiste inconnu au bataillon, mais qui témoigne de l’ouverture d’esprit exemplaire de Karmakosmetix. Doté d’une voix mature à la Bruce Springsteen et d’un sens de la mélodie très aiguisé, Egil S. Olsen propose une splendide ballade de rock suave telle que savait les livrer un Sting au faîte de son inspiration. Chanson nostalgique mais jamais éplorée, au refrain particulièrement limpide, « Highwayman » déploie un véritable potentiel radiophonique qu’elle ne rencontrera vraisemblablement jamais. Ce n’est pas pour autant qu’il serait avisé de rayer le nom de ce musicien de ses petits carnets.

Black Bone Chapel : j’ignore d’où vient ce groupe (si, de Norvège, mais sorti de ça…) et quelles sont les personnes qui le composent. Black Bone Chapel donnent dans le pessimisme vitreux à la Nick Cave / Leakh avec quelques tubes de vitamines supplémentaires. La musique ne vit pas de sa cohérence mais épouse fidèlement les sautes d’humeur du vocaliste, les guitares se faisant tour à tour languissantes ou acides sans que le batteur, deux de tension au top de sa forme, ne s’en émeuve. J’avoue que le tout me paraît un brin impulsif (dans les vocaux), discordant et maigre en substance, mais juger l’ensemble d’un répertoire sur un extrait de trois minutes est, sauf dans certains cas bien particuliers, une chose à éviter.

SoXpan : l’affaire se corse avec cette nouvelle entité mystère qui ne fait rien pour dissimuler ses accointances techno. La trame est sautillante et garnie de guitares compactes bien pêchues, ce qui n’empêche pas une linéarité épuisante de s’installer très rapidement. Le chant se résume à des interjections cadencées qui me rappellent, mais alors très succintement, ce que peut faire Pain sur ses titres les plus accrocheurs. Je suis en peine d’évaluer ce que vaut intrinsèquement SoXpan, mais si j’écoute mes oreilles à moi, le titre « Badass » (…) est, loin devant tous les autres (sauf un qui est hors-concours, voir plus loin), le talon d’achille de cette compilation.

Huge Brown : virage à 180° pour partir à la rencontre de Huge Brown, que l’on imaginerait davantage en countryman itinérant sur la célèbre Route 66 qu’en viking norvégien tapi au coin de sa cheminée avec sa guitare sèche. Vous aurez compris dans quel registre on tape, et vous saurez donc instinctivement si vous êtes susceptible ou non d’adhérer. Objectivement, le morceau ici présent est fort agréable, même si tout gratteux un tant soi peu dégourdi devrait bouffer la ligne instrumentale centrale sans échauffement au saut du lit. La voix, aux accents rustiques et flexibles dans les octaves, concentre quant à elle la plus grande partie de la valeur ajoutée, et si Huge Brown renouvelle ce type de chansons sur la longueur d’un album, je suis tout à fait disposer à payer pour me laisser bercer par ses histoires simples mais envoûtantes.

This Boys Band : s’il existe un groupe qui ne porte absolument pas son nom, c’est bien celui là ! J’imagine d’ailleurs qu’on peut mettre ce patronyme peu savoureux sur le compte de la dérision, bref… On touche à un rock atmosphérique et légèrement progressif dominé par une guitare acoustique en motifs récurrents. On note la présence intéressante d’un fiddle qui amène un vent folk d’une authentique fraîcheur, ainsi que de subtiles touches de piano épinglées au-dessus de la musique un peu à la façon des carillons de « High Hopes » (Pink Floyd). Mais le plus mémorable réside dans le mimétisme stupéfiant entre la chanteuse et une certaine Sinead O’Connor. En écoutant ce « I’ll Make you Understand », ses mélodies modestes et sincères, ses arrangements judicieux, son fonds créatif très affirmé, j’ai l’impression de survoler en vision un paysage de falaises verdoyantes en surplomb de l’océan, presque un paysage d’Irlande. C’est dire l’aptitude de ce groupe à suggérer les grands espaces. A suivre… mais par pitié changez de nom !

X:Botteri : Ah, les choses sérieuses se profilent. X:Botteri, comme tout le monde devrait le savoir, est le musicien de génie qui a composé pratiquement tout le matériel d’In The Woods… Mais si l’homme reste associé par un lien immortel à ce groupe vénéré entre tous, l’artiste a bien compris que pour progresser il ne devait rien concéder au passé et que la poursuite de sa carrière se devait d’être une nouvelle naissance, et non seulement un nouvel élan. L’adieu au metal consommé, restait à y mettre la forme et le visage. L’extrait choisi, si j’ignore tout de sa représentativité, montre un penchant sans hésitation pour les atmosphères soyeuses et parfaitement lisibles. L’utilisation constante d’un synthé fluet comme un souffle de vent en toile de fond est ce que l’on retient d’une première écoute - la douceur donc, la simplicité et l’élégance sans empreintes. Puis au fur et à mesure, on creuse un peu plus avant et la charpente de la musique retire sa carapace, elle aussi dénuée de grands artifices, mais très ingénieuse en soi, avec une section basse / batterie tout en bas, qui stabilise l’ensemble en toute sobriété, des accords de guitares assez hauts, arborés comme les jalons dorés d’une route tranquille au-dessus d’un tapis de nuages. Quant au chant, il reste discret mais ses inflexions enjouées amènent un petit courant d’air chaud fort sympathique avant qu’il se fasse plus caractériel (typiquement bluesy aussi) pour répondre aux petites poussées d’adrénaline de la musique. Un style très personnel, relevé par endroits d’un petit parfum à la Godspeed you Black Emperor !, qui mérite de s’y attarder.

Nærvær : le seul morceau non-inédit, puisqu’il figure en ouverture de l’album - certes confidentiel - « Skiftninger », paru chez Prophecy Productions en 1999. Nærvær est un duo renforcé à l’occasion de quelques « noms » (entre autres Jan Transit, Synne Soprana et X:Botteri), qui bâtit ses compositions autour d’influences éclectiques, d’où l’impossibilité de dire d’un de leur morceaux qu’il sonne typiquement Nærvær. Tout de même, on peut ranger leur musique dans le néo-folk, sans oublier d’y accoler l’adjectif expérimental. Cela peut donner aussi bien des plages de pure ambiance méditative aux instruments effacés, que des embardées galopantes telles que le titre « To Plan » ici présent, suite de crescendos agités sur lesquels Jan Transit se livre à une série de vocaux singuliers allant du chuchotement au hululement tribal. Malgré le côté dansant, Nærvær ne se départissent pas d’un feeling de Grand Nord et de soleil de minuit qui leur va comme un gant. A tout dire, le tableau qui accompagne cette chanson serait une frénétique bataille de boules de neige sur un fjörd gelé entre deux grands gaillards dans le plus simple appareil… Bon d’accord, retenez avant toute chose que Nærvær est un groupe d’une sincérité rare et que, des fans de Tenhi à ceux de Bob Dylan, il existe une très large fourchette de gens que leur musique est à même de toucher en profondeur.

Plutho : - Parlez-moi de vous Plutho !
- Ah non Pluto c’est l’ami de Mic…
- Ta gueule ! T’es Norvégien, t’es pas censé avoir d’humour. Parle-moi de ta zik’, parce que j’y comprend rien.
- Oh c’est pourtant bien simple, mes copains et moi on joue du trip-hop guindé, mâtiné de racines blues, avec une approche générale délibérément freestyle, de la conversation subliminale en guise de vocaux, et des influences Aphex Twin dans des déferlements de beats en décalage avec le rythme global. C’est plus clair vu comme ça ?
- Pas des masses mais c’est quand même bien sympa votre truc. A vous les studios !

Roger M : vous l’avez peut-être remarqué, certains des chanteurs et chanteuses apparaissant sur cette compilation ont des voix proches de voix illustres. C’est peut-être ma trop grande propension à rechercher des parallèles qui veut ça, mais après tout là est la meilleure façon de donner une idée concrète du timbre en question. Ce coup-ci c’est au tour du sosie vocal de Peter Gabriel de nous faire coucou. Et comme la musique n’est pas à des années lumière de ce que faisait l’intéressé après Genesis, il ne serait pas déshonorant de s’y méprendre. On entend beaucoup la basse qui dicte le ton général, le reste est très clean, arrangé avec compétence (ça reste du light, pas de quoi embrouiller deux pistes) et forme un titre d’indie-rock pas trop mainstream qui remue bien la poussière des eighties. Ceci dit je ne sais pas s’il faudra en demander beaucoup plus à Roger M., dont l’auditoire potentiel risque de ne jamais avoir vent de sa présence chez Karmakosmetix.

Eliz.. : étrange, Eliz.. fait du Stille Opprør première époque, ce qui n’étonne plus du tout lorsque l’on sait que c’est Christer André Cederberg qui prête son doigté à la voix cristalline de la chanteuse qui donne son nom au projet. Résumons cela par une jolie création acoustique, jouée sans secousses et assez délicatement pour laisser le chant ou à l’occasion le synthé prendre les rênes de l’influx émotionnel. Le détachement et la décontraction règnent sur le style, ce qui n’empêche pas de percevoir une certaine froideur, une irréalité, comme si tout cela nous parvenait d’un endroit peut-être pas très éloigné, mais rendu invisible et inaccessible par un obstacle sensoriel quelconque. Le type de musique qui demande relativement peu de concentration mais en profite pour se faufiler durablement dans l’intimité de l’esprit et revenir à la charge sans préavis bien après qu’elle se soit tue. Il faudra guetter la suite des opérations.

Transit : du flamenco dopé à la saturation électrique. C’est très réducteur mais c’est comme ça que l’on peut résumer la nouvelle occupation principale de Jan Transit, la voix d’In The Woods… Comme tous ses ex-compagnons de légende, Transit s’est décidément bien affranchi de ses antécédents, et je ne peux que lui souhaiter de prospérer dans cette voie avant-gardiste courageuse où il devra faire preuve de beaucoup de conviction pour m’attirer, même si je ne condamne rien.

MC 14-Tiss + MC Blaud Konsonant : eeeeeeeeek ! Du rap norvégien ! Quelle abjection mes aïeux !!! Ils veulent ma peau ou quoi ? Par bonne conscience autant qu’en désespoir de cause j’ai tout de même écouté - que dis-je, supporté - cette misère 3/4 fois dans le fol espoir d’y déceler l’un ou l’autre justificatif de l’appartenance au groupement Karmakosmetix. Mais pas moyen, c’est du pauvre rap de téci qui, à vue de nez et malgré ma totale (et heureuse) inexpérience en la matière, semble même plus proche de Benny B que des trous noirs intellectuels en provenance d’Outre-Atlantique qui cartonnent en ce moment sur les ondes. J’en déduis donc qu’il doit s’agir là des deux dealers attitrés de Jan Transit, auquel cas leur passe-droit sur cette compil s’envisage plus sereinement. Pas de quoi briser un mythe, mais un sévère débandage quand même. On passe vite l’éponge et on oublie…

Knut H. Lind : après le chichon amer, on finit sous acides avec ce qui pourrait être la production brute d’un homme-orchestre au sortir d’un trip douloureux. Cet essai très court (environ 1’30) voit se débattre une guitare acoustique titubante, des vocaux hors de ton et pas franchement plus assurés et de gros pâtés d’harmonica produits de façon aléatoire. Autant dire que l’intérêt strictement musical ne va pas plus loin que celui de poser un point final sur la compil’ en affirmant sans ambages l’indépendance artistique et éthique totale du label. Sorti de ça, je suis curieux de voir ce que peut donner un album entier dans cette veine, car on toucherait définitivement à une nouvelle dimension musicale que l’on pourrait baptiser le picole-folk… mais je doute fortement qu’à ce tarif le camarade Knut ait plus de cinq minutes de matériel en réserve.

Plus qu’un label, Karmakosmetix est désormais un vivier de talents (et autres bêtes curieuses) qui va être surveillé comme l’eau sur le feu par toute une horde de fans indécrottables de cette école influente, quoique toujours sous-estimée. Une question, une seule, qui devrait amener nombre de réponses passionnantes dans les mois prochains : mais où vont-ils chercher tout ça ?


Rédigé par : Uriel | Pas de Note/ | Nb de lectures : 7970




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langoustator
Invité
Posté le: 11/08/2003 à 23h46 - (4859)
Merci pour cette kro, Uriel. J'avais pas tout entendu sur cette compil mais en gros j'avais remarqué le "truc" (comment appeler ça autrement) de rap et effectivement ta théorie du dealer est intéressante. ;)

X:Botteri: ce qui est bien avec GYBE, ce qu'il n'y a pas de voix. ;) Parce qu'ici, je trouve qu'elle casse un peu le morceau, en tout cas ses 3,5 premières minutes.
Roger M: sympa mais sans plus.
Transit: bizarrement, c'est celui qui avait le plus attiré mon attention lors de ma première écoute mp3, et je continue à l'apprécier avec le temps. Je suis curieux d'en entendre plus.

Les autres titres ont disparu de mon DD à la suite parait-il d'une fausse manoeuvre, et comme je suis une bien trop grosse feignasse pour les retélécharger, je vais attendre d'avoir le disque entre les mains (et dieu sait que l'attente fût longue) pour les commenter.

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