Le destin s’est longtemps acharné sur Voivod … si c' est vrai pour plein de raisons liées à la vie d’un groupe (multiples changement de line-ups et de labels), ce l’est encore malheureusement bien plus vis-à-vis des drames qui ont ponctué son histoire dont les plus conséquents sont l’accident de van suivi des problèmes de santé de son bassiste-chanteur Eric "E-Force" Forrest en 1998 et surtout le décès de son guitariste compositeur Denis "Piggy" d’Amour en août 2005.

Or depuis quelques années, ce même destin semble avoir ordonnancé un certain nombre d’évènements afin que Voivod survive puis renaisse de ses cendres sous une nouvelle forme. En préambule à cette chronique, je vous propose de revenir sur ces faits qui ont eu un impact direct sur l’aboutissement qu’est "Target Earth".

Tout commença avec ...
... la participation inattendue du bassiste Jean-Yves "Blacky" Theriault à une signing-session réunissant les membres originels de la formation en juin 2002. Blacky venait de se réinstaller à Montréal et souhaitait renouer avec ses anciens comparses, quittés en termes plutôt froid en 1991. Or, l’arrivée d’un bassiste fan de Voivod - et surtout plus célèbre que lui (Jason Newsted) - empêchera son retour. Se faisant une raison et décidé à revenir à ses amours de jeunesse, Blacky forma un one-time project nommé Black Cloud, un all-star-band québécois destiné à reprendre des classiques du thrash dont du Voivod bien entendu. Cette formation donna un unique concert le 9 novembre 2002 au Medley à Montréal avec à la guitare un certain Daniel Mongrain (Martyr).
- En août 2005, Denis "Piggy" d'Amour décède. Voivod semblait se destiner à la même fin que son génial guitariste. Snake et Away annoncèrent qu’ils finiraient l’enregistrent de l’album en cours ("Katorz"[2006] qui sera suivi d’"Infini"[2009]) avant de mettre un terme à l’histoire.
- En septembre 2005, Blacky et Dan Mongrain rejoignirent sur scène Alcoholica - le groupe de Pierre St-Jean (ex-bassiste de session de Voivod) - pour reprendre "Tribal Convictions" et rendre hommage à Piggy.
- Courant 2006, Dan Mongrain enregistre avec son groupe Martyr une reprise de "Brain Scan" (disponible sur "Feeding the Abscess"[2006]) invitant Blacky à poser ses lignes de blower bass.
- Mi 2007, lors d’une soirée hommage à Piggy, un medley composé d’extraits tirés des cinq premiers albums de Voivod est interprété par Blacky et Daniel Mongrain sous les yeux d’Away et Snake, cette prestation sera à l’origine de la renaissance du groupe sur scène quelques mois plus tard et aboutira à l’enregistrement de "Target Earth".

Le line-up de Voivod rassemble aujourd’hui les 3/4 de la formation originelle ayant participé à la composition des 6 premiers albums studios (sortis entre 1984 e 1991). Dan Mongrain fait office de petit nouveau, c’est avant tout un fan dingue du groupe se retrouvant dans un cas similaire à celui de Tim "Ripper" Owens lorsqu’il rejoignit Judas Priest en 1997…. à la différence qu’il succède au compositeur principal du combo.

La première note de cet opus est interprétée par la blower bass de Blacky, elle vous transporte immédiatement à la fin des 90s à l’heure de "Nothingface [1989]" où Blacky partageait la composition avec Piggy. Le son de sa basse n’a pas changé et son placement au cœur des compositions non plus. Le duo qu’il forme sur cet opus avec Dan Mongrain rappelle immédiatement le monstre à 2 têtes qu’était devenu Voivod entre 1986 et 1990.

Parlons-en du nouveau guitariste.
Dan Mongrain pose ses lignes de guitares dans un esprit purement Voivodien. On retrouve indéniablement certains gimmicks, riffs dissonants et sonorités hérités de Piggy… mais tout cela est tellement bien fait que l’auditeur n’a jamais le sentiment d’entendre du réchauffé ou un mauvais copier/coller. Dan Mongrain m'a confié en novembre dernier qu’écrire du Voivod était quelque chose qui lui est venu naturellement, Voivod ayant été SON groupe favori avant qu’il ne touche sa première guitare. Dan réussit avec intelligence le défi de ne pas plagier son maitre et prédécesseur, il s’en inspire pour délivrer ses propres lignes et riffs avec un talent et un savoir-faire bluffant. Dan insère par touches quelques plans personnels et inédits dans l’univers Voivodien à travers des soli mélodiques ou encore via l’intro acoustique d’"Empathy for the Enemy".

L’inspiration est là…
Away et Snake n’ont plus qu’à accompagner le duo rythmique de leur savoir-faire pour aboutir à des compositions à tiroirs aux structures passionnantes. Les parties ambiantes font place à des riffs plus thrashy avant d’introduire une rythmique syncopée hypnotique. Si "Target Earth" est un disque d’un style nouveau et différent, on y retrouve naturellement des traces des œuvres précédentes. La production claire et déchiffrable évoque celle de "Nothingface", les enchaînements abrupts et les parties modulaires rappellent "Dimension Hatröss [1988]" dans une version simplifiée, alors les touches plus rock renverront les auditeurs vers "Angel Rat [1991]".

Signalons que l’album comporte le premier titre chanté en français dans la discographie des québécois ("Corps étranger"), une initiative sympathique qui troublera un peu l’auditeur français qui devra à la fois déchiffrer la musique du combo et les lyrics de Snake au savoureux accent québécois. Il est également intéressant de noter que quelques traces de la dernière époque du groupe (Jasonic-Era) subsistent comme sur le titre "Kluskap O Kom" (à prononcer "croustades aux pommes") où l’on retrouve un feeling punk assez direct.

Tous ces éléments font que "Target Earth" est incontestablement l’album que les fans de Voivod rêvaient d’entendre depuis le retour de Snake au sein de la formation québécoise fin 2002.
C’est un disque inespéré et une magnifique façon de perpétuer la musique de Piggy…
Voivod Lives !


Rédigé par : VsGreg | 17/20 | Nb de lectures : 15832