Difficile de savoir quoi penser d’un album pareil. D’un côté Killjoy et Phil Anselmo n’ont plus grand chose à prouver et il peut paraître un brin louche de les voir ainsi s’aventurer sur une excroissance aussi primitive du marché underground. De l’autre étant donné que Viking Crown a déjà traversé les années on peut laisser aux vestiaires les soupçons comme quoi il ne s’agirait que d’une tentative de récupération opportuniste de ceux qui ont connu la guerre du feu dans le black metal et seraient irrémédiablement déçus par ses avancées récentes. Non, Viking Crown est bien le fait d’une démarche loyale qui va puiser sa substance au plus profond des instincts bestiaux de ses géniteurs. Ces derniers s’adonnent à une forme de black rudimentaire pas très enclin à prendre la voie de gauche. C’est sans joie, monotone, crade au possible et on n’a pas à se demander longtemps où ils ont été pêcher leur ligne de conduite. Le champ de développement d’une telle musique reste on ne peut plus limité, les idées apportées et leur exécution sommaire ne faisant pas franchement grimper au rideau quand on resonge que la même chose a germé de l’esprit et des doigts de gens beaucoup plus incompétents il y a bientôt une décennie.

Tout au plus s’enfile-t-on avec une délectation sadique les vocaux vomitifs dégénérés de Killjoy, vestiges encore fumants de son registre zombie-cannibale-mutant (voir Necrophagia). En ce qui me concerne ce type de retour aux sources déclaré tombe dans le domaine de l’inutile, mais il faut quand même bien avouer que ça fait encore et toujours son effet. La production volontairement minimaliste (et par dessus le marché déplorable) colle tout à fait au souffle catacombesque de l’imagerie macabre adoptée par le groupe, alors que les riffs peu exigeants, qui épousent épisodiquement un profil early-death metal, ont le mérite d’aller droit à l’essentiel tout en propageant haine et froideur à volonté, ce qui en théorie devrait faire le bonheur de plus d’un nostalgique. Par contre on peut légitimement s’interroger sur la construction de l’album, qui se partage également entre le black cru et contre-inventif des deux compères et les hallucinantes créations de musique ambient décadente que l’on doit à une demoiselle dénommée Opal Enthroned, officiant pour ceux que ça interpelle au sein de Southern Isolation.
Est-ce que ces messieurs ont sous-traîté pour faire un peu de remplissage afin de parvenir à une longueur décente pour un album ? Allez savoir…

Toujours est-il que le résultat est sans appel: ces longues plages angoissantes constituent sans aucun doute le déclic qui auraient pu éventuellement me décider à miser quelques roubles sur l’album si mon webmaster vénéré ne m’en avait confié la chronique. Mlle Opal, en virtuose du cauchemar synthétique, s’avère capable de beaucoup mieux que les habituels interludes bâclés qui parsèment quasiment tous les albums de black metal de nos jours. Elle nous plonge littéralement dans une antichambre infernale répercutant des nappes de clavier en sourdine et des sons inquiétants, résonances, crissements et frottements d’origine imperceptible, lamentations distordues. A l’instar des prophètes de l’apocalypse post-industrielle du fameux label Cold Meat Industry (Raison d’Être et In Slaughter Natives en tête), le dark atmosphérique sordide d’Opal donne l’impression à l’auditeur d’être compressé au cœur même de sa hi-fi, assailli de droite et de gauche par une armée d’âmes errant dans un purgatoire sans issues depuis des siècles. Glauque, oppressante, mais surtout dangereusement séductrice telle une sirène aux crocs d’aciers, cette musique se pose en définitive en contrepoint euphonique du Viking Crown traditionnel, marquant la fin de tout espoir et l’emprisonnement dans un enfer de glace là où les guitares menaçantes et les cris de dément ne seraient que la panique tourmentée annonciatrice d’un péril issu du fond des âges.

« Banished Rhythmic Hate » est donc un album dual à s’écouter sans arrière-pensée comme la B.O. d’un film de Clive Barker, une sorte de split CD de deux styles radicalement différents – bien que donc complémentaires – qui, en tant que tel, aura sans doute beaucoup de mal à trouver son public. Je pense que d’un côté les puristes du « true black metal » scandinave (paix à leurs âmes !), irrités par le pédigrée des musiciens, rejetteront Viking Crown, et que de l’autre les fans potentiels de l’œuvre d’Opal Enthroned n’auront jamais connaissance de cet album. Maintenant il y a cet adage idiot qui dit « l’essayer, c’est l’adopter », alors si vous vous sentez un minimum concerné par ce que raconte cette chronique, pourquoi pas ?




Rédigé par : Uriel | 7/10 | Nb de lectures : 7362