Lorsque j’ai écouté ce CD pour la première fois, je suis fébrilement allé repêcher dans la poubelle le colis dans lequel il m’était parvenu, tellement j’étais persuadé que l’expéditeur était Satan lui-même ! Si l’on devait inhaler le son d’Unholy War au même titre que l’air d’une pièce close, il est probable qu’on étoufferait sans y voir à dix centimètres, tant l’épaisseur d’impuretés y serait létale. Mais ici quel ravissement de nager dans la crasse, de brasser du parasite à pleines mains ! Si Unholy War doit beaucoup à l’armada black/thrash germanique des Desaster et des sympathiques Moonblood (R.I.P.), le public friand de ce type de metal sommaire empestant la cervoise devra beaucoup à Unholy War, car il n’est pas toujours aisé de trouver son bonheur en la matière dans une scène actuelle qui se contente souvent de clins d’œil complices à ses aînés de la vieille école sans toutefois trop s’écarter des rivages semi-aseptisés qui constituent une bien meilleure promesse d’exposition dans les média influents. Pourtant si on devait désigner LA démo qui ne paye pas de mine par excellence, « Annihilation of Mankind » squatterait la tête de liste des nominés. Logo misérable, booklet inexistant (les joies de la photocopie-découpage maison !), titres de chansons pour lesquels il faudrait inventer une déclinaison à la puissance omega du mot « cliché », sans compter l’inénarrable apostille « This demo is dedicated to Satan » : on m’aurait présenté ça comme le projet de fin de maternelle du petit neveu de Nocturno Culto que je n’aurais pas levé les sourcils de mes mots fléchés pour aller examiner la véracité de l’info… Comme quoi, si l’habit fait le moine en la circonstance, il ne faut jamais oublier qu’il existe différents ordres et différent niveaux de moines. Une rapide intro enracinant un sympathique décor de cauchemar urbain sous les bombes, et on est déjà projeté dans le vif du sujet avec « The Blood from the Ancient Battles » (miam…). L’espace de dix secondes et d’une entame maigrichonne à une guitare, on peut encore appréhender désastre et indigence, heureusement il ne s’agissait que du coup de starter destiné à réveiller les légions lucifériennes et à annoncer la nouba de l’année dans les couloirs du Pandémonium. A partir de là c’est Happy Hour pour tout le monde ! Le blast pur et dur est banni au profit de tempos rapides mais souples qui confèrent automatiquement un côté entraînant à la musique. Mais pas entraînant au sens de la rengaine à deux roubles tellement pathétique que, fatalement, on n’arrive pas à se la sortir du crâne. Non, Unholy War c’est plutôt le vieux camarade de promo auquel on ne pense jamais au quotidien, mais avec lequel on s’éclate toujours comme aux plus belles heures lors des retrouvailles. On n’atteint naturellement pas des sommets niveau technique, mais celui qui s’aviserait de s’en plaindre ne serait visiblement pas à sa juste place dans le contexte. Pour reparler de la batterie, je prends le pari qu'il s'agit d'un logiciel genre Battery dont le rendu, appliqué à l'utilisation peu exigeante qui en est faite, est tout à fait dans le domaine du réalisme. La guitare suit fidèlement le tempo telle une épaisse coulée grésillante, au-dessous de laquelle des accroches de basse brillant par leur absence totale de tact font l’effet d’un moteur de mobylette en passe de rendre l’âme… Les mélodies concises mais communicatives chargées de transmettre à chaque morceau une once de distinction sont prises en charge par une guitare lead dont la stridence en cordes majeures n’a d’égale que les immondes grumeaux dans le mix qui ponctuent chaque séquence. Pour certains ce sera un supplice, pour d’autres un pur régal, autant ne pas mâcher les mots, et je ne cherche assurément pas à faire l’apologie de la prod’ la plus crade possible, qu’on se le dise ! Mais le plus déroutant - et le plus savoureux - dans l’affaire c’est le naturel presque impertinent avec lequel ces composantes font corps pour insuffler un véritable équilibre attractif à ce black/thrash autrement très traditionnel dans la forme. Plus qu’un réflexe physiologique applicable à tout CD répondant à un degré donné de sauvagerie, le headbanging de fou-furieux devient ici un dérivé intrinsèque que l’on ne peut éluder qu’en s’enfermant les cervicales à double tour dans une minerve. Unholy War c'est en quelque sorte un monstre tenu en laisse par un bon musicien qui a choisi son camp: « Annihilation of Mankind » ravira au-delà de toute attente les nostalgiques d’une certaine vision d’un black metal libéré des doctrines prise de tête et des attitudes prescrites qui lui sont presque systématiquement accolées. Mélodique jusqu’à la moelle, mais rugueux et archaïque comme un récif millénnaire, voici un manifeste de hargne et de bon esprit qui n’a certainement pas à se cacher devant la chienlit surdébattue qui a depuis longtemps contaminé le black metal : la course à la sophistication d’un côté, le retranchement dans les sectarismes de l’autre. Pour tout dire, ces trois dernières semaines j’ai été constamment pris d’envie de me passer et me repasser « Annihilation of Mankind » au détriment de galettes considérablement plus fouillées et richement réalisées achetées entre temps… Rien ne dit que ce rapport de force à la David vs. Goliath se perpétuera longtemps, mais c’est déjà une belle victoire en soi pour Unholy War. En ayant à l’esprit les critères du style, exiger davantage d’un tel groupe pour une première démo serait franchement superflu. C’est ainsi que se justifie la note maximale qui reflète totalement et la qualité générale, et la justesse du ton, sans oublier le gros plaisir d’écoute ! Démo de l’année dans ma chaumière sauf grosse surprise de dernière minute… Mon seul regret, avoir fait une mauvaise pioche en ne tombant pas sur l’exemplaire n°666 (« caramba, encore raté ! », comme qui dirait…).
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Rédigé par : Uriel | 5/5 | Nb de lectures : 7654