Uriel : Curieusement, chaque fois que je reçois un CD assorti d’une de ces bios affriolantes signées de l’agence de promotion, j’ai tendance à m’attendre à ce que la qualité de la musique soit inversement proportionnelle au nombre de superlatifs disséminés dans le texte. Mauvaise foi infraliminale ou méfiance aiguisée par un minimum d’expérience, toujours est-il qu’en l’occurence, avec treize lignes pour autant de promesses infaillibles d’avoir sous la main un album phare pour les millénaires à venir, j’en étais presque à redouter un gros colombin bien moulé ou, pire, un clone de Manowar… Le fait est que mes appréhensions ont été épongées pour la plupart et que ce Delirium est tout sauf très mince (non, pas les tomates faisandées !), mais avant d’en venir au noyau de l’affaire, je vais laisser mon vieux camarade Shaka - qui, pour ceux qui ne le savent pas, est un peu notre enseigne au néon ici à VS - vous éclairer le quid, le pourquoi et le comment de Tuatha de Danann…

Shaka : J’avais kroniké les 2 précédentes livraisons de ce groupe brésilien et j’avais noté la progression qu’il y avait entre le 1er et le 2ème album. Mais bon, dire que j’attendais avec impatience ce « The Delirium Has Just Begun... » serait plus qu’exagéré. Il faut dire que je ne suis pas un fervent adepte du folk metal, vous commencez à savoir un peu mes goûts maintenant, après toutes ces années au service de VS. En plus, me voici confronté à un challenge de ouf’ : partager une kro (-nik, pas -nembourg !) avec notre Uriel, qui manie l’art du verbe comme personne, alors faut pas que je sois ridicule à côté ! Comme mon collègue, moi aussi j’ai souri en lisant la bio et les qualificatifs dithyrambiques. Tuatha de Danann ont-ils vraiment sorti l’album du siècle ? Roulements de tambour...

Uriel : …lâchez la guillotine ! Et puis non, sursoyons à l’exécution le temps de réviser le dossier de la défense… Donc, comme l’a laissé entendre mon révéré confrère, Thuata de Danann sont brésiliens et s’adonnent à ce que je suis effectivement partant pour qualifier de folk metal, et j’ajouterais de folk metal celtique pour bien situer contexte et apparent paradoxe géographique qu’on s’abstiendra de creuser en partant du sage principe que chacun fait, fait, fait, c’qui lui plaît, plaît, plaît. Le style étalon est ici le heavy metal, bien que l’analogie soit avant tout une affaire de tempo et de suggestion - et de quelques occasions où le vocaliste ne peut pas s’empêcher de bêler un aigü à la André Matos au lieu de continuer à chanter… En effet, les instruments ne se plient pas aux sonorités fusantes caractéristiques du heavy, mais plutôt aux standards du folk, d’où des guitares tantôt cristallines, tantôt boisées dont les accords ne se fondent pas dans la saturation, ainsi qu’une utilisation copieuse d'outils appropriés tels que la mandoline, la flûte et le didgeridoo - un premier avantage au niveau de la conséquence de la démarche. Ceux qui ont cru lire « Skyclad » en sous-impression dans la phrase précédente ne sont pas très loin du compte… à plusieurs détails près quand même car la carte de visite du groupe affiche nombre d’autres références plus ou moins attendues. La mise en bouche de l’album, si elle peut faire gentiment sourire, est de nature à tuer l’apartheid gratuite dans la bouche des sceptiques. Le savoir-faire folklorique et le bon esprit de Tuatha de Danann inondent littéralement les enceintes sous l’impulsion de rythmiques rondelettes et bien variées, mais surtout d’un refrain à la flûte bon-enfant à imposer par décret dans toutes les pendaisons de crémaillère. Le plus épatant dans l’histoire, c’est que ledit refrain (et par extension le morceau) n’est absolument pas gavant au bout de trois écoutes : c’est bien la première fois qu’il est inutile de recourir à la torture médiévale pour me faire ingurgiter une chanson à boire - appelons un chat un chat - plusieurs fois avec mon plein consentement. Il est même plaisant d’extrapoler en s’imaginant que les convives de Bilbo auraient eu droit à quelque chose dans ce goût si ce dernier avait loué un orchestre metal pour son 111ème anniversaire. « Brazuzan - Taller than a Hill » (dont il est question) est de la trempe des morceaux charismatiques et dépaysants qui peuvent se porter caution pour tout un album au cas où la suite serait foireuse… Nous allons voir ce qu’il en est, mais d’abord mon Shak’, dis-nous donc ce que, toi, tu penses de cette entame explosive. Est-elle représentative de ce que Tuatha de Danann jouent d’un bout à l’autre de cet album ?

Shaka : C’est vrai que pour moi, c’est avant tout de la « musique à boire » et dans un tout autre style qu’Onkel Tom (le groupe alcoolisé de Tom Angelripper, le leader de Sodom... Ach so ! Trink trink !). Ici, pas de fête de la bière bavaroise, mais de la ripaille bon enfant, exactement comme disait Uriel, en imaginant toute une tablée de Hobbits ! Mon collègue parle de quelques « bêlements » à la Andre Matos, mais c’est vraiment rare, je trouve... le chant justement est très varié (avec même quelques passages death), beaucoup mieux maîtrisé que sur les albums précédents. Et d’une manière générale, je suis agréablement surpris par cet album, beaucoup plus mature (dans le bon sens du terme... car souvent on nous sort ça, « l’album de la maturité », pour un CD tout mou d’un groupe usé... je ne citerai pas de nom), le côté brouillon de Tuatha de Danann a disparu, le groupe brésilien maîtrise maintenant très bien son sujet et on jurerait entendre du Blind Guardian sur « The Wanderings of Oisin ». Et j’ai été étonné dès l’entame de l’album, avec ce début tout en douceur, limite mélancolique... mais au bout de 40 secondes, le côté celtique festif prend le dessus... pour perdurer pendant tout l’album, soit 45 minutes. En parlant de durée, les Brésiliens nous proposent un morceau fleuve (près de 12 minutes) en la personne du title-track, titre qui clôture en beauté le CD... enfin presque, car ils ont dû se dire que 6 chansons c’était un peu juste pour boucler un album, alors ils nous collent à la fin des versions remasterisées de « The Dance of the Little Ones » et « Behold the Horned Kings », 2 morceaux figurant à l’origine sur l’album précédent, « Tingaralatingadum ».

Uriel : Et vlan, quand c’est trop beau pour durer il faut bien que l’inéluctable se produise… Éclatant, vilain, cruel et définitif, le voici venu : le désaccord ! Je ne peux pas m’associer dans l’idée que le côté festif stationne au premier plan tout au long du CD. Pour être explicite, il disparaît même quasi totalement au bout de deux minutes du second morceau, par exemple… On se voit alors servir une assiette de riffs bien plus durs et vibrants, assortis d’un très bon chant austère, et l’on se croirait presque pour un temps catapulté dans une résurgence du Moonspell des jeunes années, autant dire que le contraste avec le premier titre est flagrant. La victoire de Tuatha de Danann étant de se montrer à l’aise et constants dans l’allégresse comme dans la gravité, et d’offrir ainsi l’image rare dans le domaine du heavy metal d’artistes caméléons, sachant manier le médium musique pour exprimer de façon crédible divers degrés émotionnels - c’est à dire aucune mièvrerie dans les ballades, ni de grimace affectée dans les « colères » - et la transition d’un état vers l’autre. On pourrait par contre discuter de la concentration et de l’amplitude de ces changements d’états qui rendent parfois l’écoute assez éprouvante mais surtout pas toujours 100% cohérente. Je pose aussi mon veto sur le chant death : les groupes qui balancent des grunts à tort et à travers alors que le musique ne s’y prête pas (parfait exemple : Children of Bodom) me font horreur. Or, chez Tuatha de Danann, absolument rien ne justifie l’emploi de vocaux extrêmes, rien sauf probablement une tentative (un peu gauche) de rallier l’auditoire vaste et bon public des groupes d’epic « Hollywood » death metal à la Suidakra/Thyrfing. Enfin, le péché est minime en terme quantitatif, preuve en soi du peu de souci fondamental que le groupe y attache, donc oublions… Ta plaidoirie finale, peut-être ?

Shaka : Eh bien moi, j’aime bien et je constate le fossé entre ma kronik incendiaire du premier album éponyme et celui-ci. Et c’est avec un certain plaisir que je m’écoute ce « The Delirium Has Just Begun... ». Et je pense que les amateurs de metal celtique « à la Skyclad » peuvent y jeter une oreille. Le plus simple, c’est encore d’aller télécharger « The Last Words » qui figure actuellement dans le juke-box de VS. Pour ma part, je mets un bon 14/20 à cet album et si je me réfère aux notes précédentes que j’avais attribuées aux Brésiliens, je me dis que d’ici 3 ou 4 albums, ils vont peut-être vraiment nous le sortir, l’album du siècle ! ;-)

Uriel : Pour moi qui n’en attendait honnêtement pas grand chose voire moins au regard du scénario auguré, « The Delirium Has Just Begun… » s’est partiellement révélé comme la petite boule scintillante supplémentaire sur un sapin 2003 déjà bien fourni en superbes ornements. Il est simplement dommage que la confusion ponctuelle entre diversité et dispersion crée une surcharge qui brouille la projection durable dans une ambiance. D’autre part la qualité d’ensemble rentre hélas un peu dans le rang à partir du troisième morceau, en même temps que décroissent imperceptiblement mais sûrement allant, naturel et intérêt. Ces douze minutes finales dont Shaka semble s’être entiché ne sont plus à mes oreilles qu’un harassant parcours au profil bien dans la lignée de ce qui précède, mais tristement abandonné par la vitalité. On retrouve d’ailleurs très bien derrière cet épuisement éclair la limite symptomatique du heavy et de ses dérivés, infiniment séduisant et fédérateur lorsque la vista est du voyage, mais très vite redondant voire quelconque lorsque l’on a plus rien d'essentiel à lui faire dire… Malgré ce lourd sentiment d'inaccompli, Tuatha de Danann auront droit à un 13/20 bien grassouillet pour leur solidité technique avec toute la panoplie des instruments utilisés, ainsi que pour d’authentiques inspirations de musiciens, et au moins autant pour m’avoir mis d’humeur guillerette en maintes occasions à la sortie du boulot. Avec en bonus une bouillante recommandation pour tous ceux qui pensent pouvoir se reconnaître dans le style décrit : vous ne serez pas déçus !


Rédigé par : Shaka & Uriel | 14/20 & 13 | Nb de lectures : 8327