TRINACRIA se présente comme une abstraction musicale que l'on aime ou que l'on déteste. C'est aussi, et surtout, une expérience d'hybridation entre deux mondes: celui du Métal, incarné par les membres d'ENSLAVED et celui de la Noise music de FE-MAIL. Sur le papier, un croisement de musiciens talentueux et reconnus chacun dans leur style ne peut être qu'une idée intéressante, et ce qui devait rester un projet "live" d'Ivar Bjørnson (Enslaved), Maja S. K. Ratkje et Hils Sofie Tafjord (Fe-mail), rapidement complété par Grutle Kjellson, Ice Dale (Enslaved), Iver Sandøy (Emmerhoff) et Espen Lien s'est finalement concrétisé par un album studio: "Travel Now Journey Infinitely".

Derrière ce titre poétique, invitation à porter une oreille curieuse et attentive à la musique des Norvégiens, se cache un disque hétérogène et conflictuel. TRINACRIA fait preuve de clairvoyance en prévenant le visiteur, car leur voyage musical introspectif risque d’en laisser plus d’un sur le quai.
Pourtant, certaines bases de la musique d’ENSLAVED sont très présentes. On retrouve des sonorités familières: un son propre et tranchant, le chant râpeux de Grutle Kjellson, certaines inspirations black’n’roll (“Make no Mistake”) qui sont ici froides et mécaniques, en adéquation avec l’esprit noisy et indus de FE-MAIL.
Chaque composition est ultra répétitive, comme le travail mécanique d’une machine-outil. Sur “Turn Away”, le black évolué d'Enslaved se transforme ainsi en une ligne hypnotique aux percussions quasi tribales sur laquelle se greffent quelques murmures, cris et grincements métalliques, bruitages stridents et désagréables. “The Silence” est (paradoxalement) incarnée par un thème black dont le son progressivement modifié vers les médiums semble peu à peu rongé par les parasites, comme écouté sur un récepteur radio qui s’éloigne de la source (la symbolique du voyage?) puis se conclut dans une quiétude salvatrice.
La deuxième partie du disque est plus orchestrée, plus calme et planante, plus réussie peut-être, aussi. TRINACRIA fait alors penser à un SIGUR ROS rouillé et post industriel, surtout sur le magnifique titre éponyme “Travel Now Journey Infinitely” où les voix féminines portent le morceau avec grâce et sensibilité tandis que l’orchestration monte constamment en puissance.

Il est cependant difficile de pénétrer la musique de TRINACRIA, de s’en imprégner et de se laisser toucher. La répétitivité extrême des compositions peut lasser plus qu’hypnotiser, surtout quand rien ne vient altérer réellement cette litanie interminable. Les interventions bruitistes agacent voire agressent les tympans qui ne sont pas coutumiers de se désordre auditif. On se dit alors que la collaboration Metal/Noise aurait pu aboutir à un mélange plus congruent que ce qui semble être une apposition de deux styles, dont l’un au moins est musicalement très rébarbatif. Semble, car en musique, il n’y a pas d’évidences et il fort possible de passer complètement à côté d’un disque de ce genre. Le lecteur ne s’arrêtera donc pas à la note, qui tente de tenir compte de l’ambivalence de TRINACRIA. Certains parviendront à s’immerger dans “Travel Now Journey Infinitely”, à jouer les derviches jusqu’à la folie et l’épuisement, d’autres ne verront peut-être qu’une surface creuse faite de répétitions faciles et sans fin, une escroquerie.


Rédigé par : La Myxine | 10/20 (2 | Nb de lectures : 11841