Il aura fallu que je tilte sur les goûts capillaires parfois douteux du hurleur de Tortuga pour calculer que ces gars n'étaient pas ricains mais bel et bien brittons. Belle imposture, puisqu'à l'écoute de leur premier album, "Kings Of Albany", les références qui viennent inévitablement en tête sont dégottables chez Hydrahead: Botch, Breather Resist, Harkonen and co, la scène hardcore indé ricaine quoi. Créneau déjà usité chez November Coming Fire (combo pré-Tortuga), et dont le quatuor se veut la continuité, après être allé chercher des renforts chez les post-hardcoreux de Bossk suite à leur récent split. Et, pas la peine de se voiler la face plus longtemps, ces Sons of a Botch révolutionnent moins qu'ils ne perpétuent l'héritage incroyablement séminal du combo de Seattle.

Pourtant, même si la rengaine n'est que trop connue, "Kings Of Albany" est le type d'album qui ne paye pas forcément de mine à la première écoute mais dont l'ampleur s'intensifie lors des suivantes. Parce que ces gars-là proposent une musique qui a du cachet, sincère et sans fioritures. Les guitares possèdent ce côté modeste, frêle mais combatif, proche d'un Capsule, conférant à "Kings Of Albany" une dimension assez spleenesque. Dimension renforcée par l'organe de Gareth Evans, tirant vers les divines tirades de Grady Avenell (malgré un timbre sonnant trop éreinté), et à l'émotion toujours palpable.

Les guitares étant moins proéminentes qu'à l'accoutumée, la basse a tout l'espace nécessaire pour se déployer. Et même si les deux évoluent souvent indépendamment, leur objectif est le même: proposer des plans clinquants, directs et accrocheurs, tout en étant plus prompt aux ralentissements de tempo post-hardcore que leurs influences (les relents de Bossk?). On regrettera des riffs aux thèmes parfois trop proches d'un titre à l'autre, ainsi que ce "Something Blue" placé en fin d'album, titre piano-voix tristoune qui rappellera qu'hurler a vite fait de limiter drastiquement les capacités vocales en voix claire. Le verdict est ici sans appel: à côté Vincent Delerm c'est Rennie de Starkweather... Reste un arrière-goût d'honnêteté qui sauve le gaillard du ridicule. C'est ça Tortuga: il y a une profondeur pas immédiatement décelable mais qui se révèle au fil des écoutes (à la manière de leurs potes de Gallows dans un autre registre), une mélancolie solidement ancrée dans ces onze titres.

Ce qui fera de "Kings Of Albany" un album indubitablement viscéral, qui compense la trop grande proximité de ses influences par une qualité de composition et une modestie de tous les instants. Certains s'arrêteront sans doute à l'aspect "Botch version 33 tours", l'erreur serait regrettable. Je le sais, je l'ai faite. Qu'ils s'affranchissent un peu plus de leurs influences à l'avenir, et ils devraient pouvoir étendre leur royaume au-delà de l'Albanie. Un peu d'ambition que diable!


Rédigé par : Crown_Me | 14.5/20 | Nb de lectures : 10677