La Hongrie, ça vous dit quelque chose ? Peut-être pas, et c’est bien dommage. Ou peut-être que oui, mais pas en profondeur. Car l’underground hongrois recelle de bien belles formations. Et notamment feu-GIRE, un groupe de Metal avantgardiste qui avait un tout petit peu (mais vraiment un tout petit peu) fait parler de lui. Maintenant que GIRE a splitté (après un unique et fabuleux album éponyme), on peut se concentrer sur THY CATAFALQUE, qui est un projet parallèle du claviériste et programmateur Kátai Tamás. THY CATAFALQUE est fondé à Makó (Sud de la Hongrie) en 1998, par Kátai Tamás (vocaux, guitares, claviers, programmation) et János Juhász (guitare et basse). Après une démo en 1999 (Cor Cordium), le groupe sort deux albums sur le nano-label KaOtic Productions (Sublunary Tragedies et Microcosmos), puis sort un troisième effort en autoproduction en 2004 (Tűnő Idő Tárlat). Le groupe signera ensuite chez le label tchèque Epidemie Records qui se charge de sortir Róka Hasa Rádió en 2009, puis de rééditer Tűnő Idő Tárlat en cette année 2010, dont la version d’origine était devenue introuvable. C’est cette réédition que j’ai choisi de chroniquer aujourd’hui.

Après des débuts plutôt ancrés dans une sorte de Black atmosphérique progressif avec un son très « true », le groupe prend un gros virage sur Tűnő Idő Tárlat. Si le côté Black est toujours présent dans certaines parties de guitares agressives et dans le chant extrême, le reste de l’habillage de THY CATAFALQUE change complètement à partir de cet opus. Si le tout sonne à première vue comme du Black/Death progressif aux ambiances spatiales, il convient ici de parler du terme tant galvaudé de « Metal Avantgardiste », encore plus que ne l’a été GIRE. THY CATAFALQUE ne sonne comme aucun autre groupe. Pas la peine de chercher à faire des comparaisons, c’est quasi-impossible. On pourra déceler çà et là des passages stellaires pouvant faire penser à ARCTURUS période The Sham Mirrors ou Aspera Hiems Symfonia (ce côté étant plus évident sur Róka Hasa Rádió), mais c’est à peu près tout. On passera donc d’un Black/Death aux riffs incisifs ("Csillagkohó", "Az õsanya Szól Ivadékaihoz") à de l’électro cosmique ("Neath Waters", "Bolygó, Bolyongó"), en passant par du Folk/Rock hongrois ("Zápor"), du Doom dépressif ("Héja-Nász Az Avaron") et du Dark/Folk ambiant ("Kék ég Karaván", "Varjak Fekszenek"). Il y a de tout et la musique de THY CATAFALQUE est un peu un mélange de tout ça, dans une façon d’aborder les compos et les structures et dans une atmosphère tout à fait unique. Le tout est porté par ce génie du clavier qu’est Kátai Tamás. Ses sonorités assez particulières faisaient déjà le charme de GIRE, elles portent entièrement la musique de THY CATAFALQUE, en plus de la programmation électronique, des autres instruments épars (comme les violons, joués ici par Anita Bíró), des riffs d’excellente facture, et de sa voix Black arrachée très convaincante.

A partir de là, que dire d’autre si ce n’est que Tűnő Idő Tárlat est un chef-d’œuvre ? C’est purement subjectif, mais ce disque est à mon sens ce que le Metal a fait de mieux dans son versant le plus expérimental. Les talents de Kátai Tamás et de THY CATAFALQUE sont multiples et sont à leur paroxysme sur cet album. Car réussir à faire un style aussi unique et complexe brassant de multiples influences tout en restant irrésistiblement accrocheur relève de la performance de haut niveau. Le très direct "Csillagkohó" ne souffre d’aucune baisse de régime en 9 minutes et se permet d’aligner riffs à headbang et passages épiques particulièrement jouissifs. Idem pour "Az õsanya Szól Ivadékaihoz" qui se termine par une cavalcade électro-spatiale entraînante à souhait, ainsi que pour la fin de "Bolygó, Bolyongó" d’une efficacité rare, où on a envie de hurler le refrain même si on ne parle pas un mot de hongrois (pour le plaisir : « Szárnyát kibontja / Vásznát kioldja / Minden porontya / Bolygó, bolyongó »). Du reste, les titres plus Rock/Folk/Ambient sont d’une beauté sans nom, notamment la courte mais superbe "Zápor" portée par un chant féminin du plus bel effet, ou sur ce morceau délicieusement triste et écrasant qu’est "Héja-Nász Az Avaron" porté par un chant dépressif possédé au summum de son art. Mais tout cela n’est rien à côté de cette fabuleuse pièce qu’est "Neath Waters", 18 minutes en immersion dans un voyage passant par tous les coins de l’univers, avec un départ canon, bon nombre de passages épiques divers et variés tous dantesques, et ambiance lunaire et cosmique saisissante : ce titre est un chef-d’œuvre absolu et intemporel. Pour couronner le tout, la prod est franchement excellente pour un disque autoproduit dans le fin fond de la Hongrie. Les guitares ont certes un son assez râpeux mais ce son sied parfaitement à la musique du combo. Le reste des instruments ont un son et un mixage parfait, et même la batterie est programmée de fort belle manière. Tűnő Idő Tárlat atteint tout simplement la perfection et s’avère être une réussite à tous les niveaux. Je ne m’en suis jamais remis et je ne m’en lasserai jamais : un disque en tout point génialissime.

Le style n’est certes pas évident (car… inexistant en dehors des sphères du groupe), les sons de clavier de Kátai Tamás sont assez particuliers et demandent un effort d’adaptation certain, mais une fois plongé dans cette Å“uvre c’est un pur bonheur, un rêve musical éveillé. Je précise que cette réédition se présente sous la forme d’un digipack (limité à 500 exemplaires, dépêchez-vous !) avec des superbes images lunaires de la NASA qui présentent bien l’ambiance du disque, mais la musique de Tűnő Idő Tárlat peut encore être trouvée facilement sur la toile vu que l’album avait été proposé en téléchargement libre par le groupe lorsque la première mouture s’était retrouvée sold-out. N’hésitez pas non plus à vous procurer l’album suivant Róka Hasa Rádió qui est dans la lignée de Tűnő Idő Tárlat, avec un son encore meilleur et un côté électro/folk plus prononcé, avec l’intervention d’un chanteur clair et de membres de THE MOON AND THE NIGHTSPIRIT et de WOODLAND CHOIR. Quoi qu’il en soit, THY CATAFALQUE est un projet malheureusement trop méconnu, dont le talent mériterait énormément plus qu’un petit succès underground. Amateurs de bidouillages avantgardistes ou d’expérimentations dépaysantes, n’hésitez pas une seule seconde : Tűnő Idő Tárlat est indispensable.


Rédigé par : ZeSnake | Réédition/ | Nb de lectures : 13991