La vie est trop injuste, nous dirait Caliméro. Il est con, ce Caliméro. Et pourtant, c'est parfois tellement vrai. Imaginez un instant que vous soyez un guitariste hors-norme, que vous ayez traumatisé la scène UG norvégienne aux débuts des années 90 avec vos démos, que vous ayez impressionné Euronymous au point qu'il vous intègre dans son groupe et que vous ayez participé à l'écriture des riffs d'une des pièces-maîtresses du black metal, que vous soyez même soupçonné de la paternité de ZE riff black metal norvégien typique, que des années plus tard vous ayez accouché d'un album qui a influencé Satyricon au point qu'il le copie/colle en récoltant les lauriers de votre labeur, que vous soyez toujours une influence importante de la scène extrême. Que vous soyez tout ça et pourtant que finalement peu de monde vous connaisse. Pire, la majeure partie de votre propre famille musicale, celle des hippies électriques énervés, ne retiendra de vous que votre rôle de chauffeur-livreur dans une sordide affaire criminelle. C'est pas naze, ça? Il ne peut pas aller se rhabiller Caliméro avec ses problèmes de coquilles à deux centimes? C'est pourtant toute la vie de Snorre Ruch. Un musicien génial qui va passer au travers de la passoire de l'Histoire du metal, uniquement loué par une frange d'illuminés (et abondamment cité en interviews par les groupes norvégiens, mais manifestement ça ne compte pas).

Fort heureusement, les impératifs financiers de Peaceville vont permettre à Thorns de se faire mieux connaître de la masse. En attendant la réhabilitation complète de Snorre Ruch, le label anglais l'aide en continuant de rééditer le back-catalogue norvégien. Après Taake, Kvist et compagnie, les Grands-Bretons remettent dans les étals les sorties Moonfog. Dans ce qui nous concerne de près aujourd'hui, nous avons pu subir la réédition du split Thorns/Emperor il y a quelques mois (la partie Thorns est sympa, la partie Emperor à vomir). A l'époque de sa sortie, la raison d'être de ce split était déjà de rappeler l'existence de Thorns, suite au retour de Ruch à la vie civile. C'est aujourd'hui l'unique album de Thorns qui revoit la lumière des platines. A l'époque, Ruch (aka Blackthorn) s'entoure de Hellhammer comme batteur de session, ainsi que de Satyr (Satyricon) et Aldrahn (Dødheimsgård) comme vocalistes. Côté micro, il ne prend à son compte que les vocaux parlés du titre final "Vortex". Tout le reste, c'est lui. Et Thorns va ensuite mettre presque deux ans à mettre en boîte son bestiau, entre 1998 et 2000, avec l'aide de Mike Hartung (Satyricon, Enslaved, Lusmk). Le résultat est là, une pierre tombale froide comme la mort, une fenêtre ouverte sur le mental dérangé de son géniteur.

Thorns, c'est juste énorme et rigoureusement indispensable. Comme évoqué, en leur temps les rehearsal tapes Grymyrk (1991) et Trøndertun (1992) ont profondément marqué l'UG norvégien. Et on comprend aisément pourquoi. Le black de Snorre Ruch est froid, martial. L'album tire vers des sonorités indus, recèle des samples et des apports électroniques légers mais présents, propose des titres déviants. Les morceaux évoluent du massif vers la pure ambiance éthérée, de l'assaut presque "cyber" au hurlement primal. Thorns, c'est la palpitation du black norvégien dans ses plus grandes heures. Pour s'en convaincre, il suffit juste de se laisser bercer par les riffs acérés de "Existence", de se laisser emporter par le martelage puissant du lourd et sombre "Shifting Channels" (ou l'art faire tourner un riff avec talent), de demander grâce sur les dissonances magnifiques de "Underneath the Universe II" (au final de synthé ébouriffant de simplicité et de diablerie) ou sur l'hyper-violence du définitif "Interface to God". Epoustouflant, c'est le seul mot qui me vient à l'esprit après l'écoute d'une telle pièce. Tout l'art du black norvégien résumé en une galette qui évoque à chaque instant les plus grandes œuvres du genre.

Réédition Peaceville oblige, vous trouverez le bestiau dans un super jewel case taille standard (le carré). L'artwork ne bouge pas, le tracklisting s'agrémentent de deux titres de la mystérieuse Demo 2000 (probablement une pré-prod) et d'une vidéo arty et chiante pour le titre "Vortex". La démo comprend deux titres, "Existence" qui ouvre l'album et l'inédit "TSos". Ne vous énervez pas pour l'inédit, il s'agit d'une plage ambiente basée sur un trémolo ultra-rapide. Sympa, mais elle ne mérite pas l'investissement à elle seule. Par contre, si vous n'avez pas l'opus, c'est le moment idéal pour en reparler avec votre banquier. En attendant le second album, dont l'enregistrement a débuté en 2008 et qui devait sortir début 2009 chez Moonfog...


Rédigé par : Prince de Lu | Réédition indispensable/ | Nb de lectures : 13543