Mais que ce fut dur de s’avaler cet album. Il faut dire que nous balancer quatre-vingt minutes de musique à la gueule ne facilite pas la tâche. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, The Ruins of Beverast pratique ou plutôt pratiquait un black ambient (pas si loin de Leviathan en particulier au niveau vocal) à la fois véhément et atmosphérique mélangé à des éléments piqués à la scène indus martial pour mieux traumatiser l’auditeur.
C’est donc sur cet a priori que je me suis lancé à l’assaut de la montagne. Lors de mes premières écoutes, il apparaît que cet axiome de départ me fut fatal. L’ensemble me paraissait incroyablement chiant et je ne suis pas du genre à m’arrêter à ce genre de détail car à titre personnel, il ne s’agit pas d’un critère proprement dit. En effet, combien de chefs-d’œuvre artistiques sont désespérément ennuyeux ? Faut-il que je vous reparle de la Bovary du père Gus ?

Au départ pourtant, l’ascension s’annonçait fort sympathique avec ces chœurs liturgiques et ces riffs prenants ponctués d’un clavier. De même, la suite parcourait un répertoire résolument black ornementé de passages progressifs et de voix claires qui au loin évoquaient un Depeche Mode glauque. Mais par la suite, je ne pouvais lutter contre un sentiment d’enlisement qui agaçait mes oreilles.
Il me fallut une bonne dizaine d’écoutes (facile) avant de me rendre compte que je faisais fausse route. Il fallait me rendre à l’évidence, je n’avais pas pris la bonne perspective pour appréhender cet anathème envers Noé. Tout m’apparut enfin limpide lorsque je me décidai à me débarrasser de mes idées préconçues.

Une fois bazardé ma grille de lecture black, je me surpris à apprécier cet album qui apparaît définitivement comme une véritable pièce de doom qui aurait tendance à tirer sur le funeral. Une fois le changement accepté, le psaume apocryphe se révèle nettement plus digeste.
Doom, vous avez dit doom, car comment nommer autrement une musique qui nous balance des riffs lents et lourds associés à des growls scandés venant droit du fond des abysses.
Certains visages ont fini par émerger du brouillard initial notamment celui d’un Runemagick de Invocation of Magick voire Necros Christos et même l’ombre tutélaire de Black Sabbath.
Il suffit simplement d’écouter "Kain’s countenance fel" pour s’en convaincre car avec ses riffs gras et groovy, on se retrouve en plein classic doom.
Pour rajouter une couche, on pourrait même parler de prog grâce à tous ces instants instrumentaux qui voguent presque vers un certain psychédélisme. Les Teutons auraient-ils trouvé un gisement d’herbes vertes ?

Je vous rassure, l’ensemble reste lézardé par des éclats de black avec quelques accélérations qui viennent dynamiser ces longues compos à tiroir et souvent, il y a un jeu entre les growls du fond des intestins et les vocaux blacks de la vieille sorcière de la forêt. En cherchant bien, on a même le droit à quelques blasts comme sur "God’s ensanguined bestiaries".

Les habitués retrouveront l’insertion de passages indus ambient mais ces derniers se font d’une plus grande discrétion par rapport aux précédents ; les interludes sont d’assez courtes durées et les claviers sont principalement pour souligner subtilement l’ambiance.

Le véritable tour de force de l’album est cette incroyable cohérence malgré cet ensemble hétéroclite. Cela est principalement l’œuvre de la prod qui fleure bon la vieille marmite avec ces guitares bien grasses. Cela permet d’unifier les parties purement doom aux parties black, le tout sonnant complètement oldschool. Un véritable groove occulte se dégage tout au long de ce périple biblique.

Sinon, au titre des principaux défauts, il y a le fait que certains passages et en particulier pour les parties blacks qui sont moins inspirées voire gentillettes à l’instar du final de "Mount Sinai moloch". D’ailleurs, c’est un défaut récurrent à leur œuvre. Il faut dire qu’il est parfois difficile de maintenir la pression sur plus d’une heure de zic (quoique le dernier Krallice…) !

Alors que déduire, si ce n’est que cet album est à la fois complètement iconoclaste et à la fois complètement oldschool. On ne peut reprocher au Germain d’évoluer et d’aller vagabonder vers d’autres territoires. Ce black doom à tendance ambiento-psychédélico-prog arrosé à la bonne sauce des vieilles soupières me laisse complètement désarmé. Au bout du compte, il m’a bien eu le Teuton car après un début de relation ombrageux, cette pulsation occulte et liturgique a fini par s’insinuer insidieusement en moi au fil des écoutes car mine de rien cet OMNI pas clairement identifié s’avère suffisamment rock’n’roll pour vous faire danser sous le déluge.

En revanche, il m’est bien difficile de conseiller l’album si ce n’est aux amateurs de curiosités et qui possèdent un esprit ouvert car sinon les « blackeux » trouveront la galette chiantissime et les « doomeux » trop bizarre. A l’image de la pochette qui mélange ésotérisme et dessin à la limite du cartoon, la musique vous fera naviguer dans un monde étrange et unique.
A écouter par curiosité (et plus si affinité…)


Rédigé par : Dark Rabbit | 14/20 | Nb de lectures : 12051