THE GATHERING – Black Light District (Psychonaut Records) - 23/01/2003 @ 17h48
Le premier trimestre 2003 sera The Gathering ou ne sera pas. A tout prendre j’aimerais autant qu’il soit The Gathering vu que je ne suis pas encore d’attaque pour une fin du monde. Alors que l’album événement “ Souvenirs ” est dans les starting-blocks et est attendu sur la ligne d’arrivée dès le 24 février, les Néerlandais ont choisi d’inaugurer leur propre label avec cet EP qui est un peu davantage qu’un simple coupe-faim opportuniste. Trois titres pour un peu moins de vingt-cinq minutes ont pour mission de révéler un pan du nouveau faciès du groupe, en complément de quoi on a droit à une vaste plage multimédia sur laquelle je reviendrai.
Entrons dans le bain avec le gros morceau que constitue le titre éponyme. En seize minutes on a le temps de se rendre compte que la musique d’Anneke et consors s’est effectivement offert le lifting promis, passant de l’odeur embrasée des projecteurs à un concept artistique fermement amarré sous un ciel de film noir. L’ouverture est confiée à un piano aussi chétif dans sa progression que touchant dans son langage. Les touches sont pressées avec ce qui paraît être une absence de logique délibérée, tantôt avec conviction, tantôt avec retenue, jusqu’à l’entrée en scène d’une batterie particulièrement claire et isolée, aux pigmentations jazz évidentes. Alors le motif thématique à quatre notes ascendantes se stabilise pendant une minute pour accueillir les premiers cristaux de voix qui, surprise, n’émanent pas de Mlle van Giesbergen, mais de Sarah Jezebel Diva, choriste de renom aguerrie aux arcanes de la scène metal pour ses apparitions chez – entre autres – Therion, Mystic Circle, Covenant et surtout Cradle of Filth. Le doute règne une demi-seconde, un coup d’œil sur le dos du livret le dissipe, il ne s’agit que d’une guest appearance, à contre-emploi qui plus est, puisqu’on peine à identifier les accents habituellement si enlevés de Sarah J.D. qui, honnêtement, lors de ces quelques lignes de speech au ton résigné, enfile un peu le costume de sparring-partner pour Anneke… Qu’à cela ne tienne, celle sans qui The Gathering serait un groupe déprécié de moitié (au bas mot) finit par faire son apparition au bout de très exactement 4’51 de temps de jeu pour, dans un souffle de mise en condition, accompagner doucement la première phase du morceau jusqu’à ses ultimes secondes. Si l’on ne peut manquer de reconnaître le timbre fruité et pénétrant, la tempérance dans la manière de chanter est frappante dès les premiers instants. Non pas qu’Anneke ne nous ait pas habitués à faire preuve d’une immense douceur, voire de fragilité sur plusieurs chapitres passés, mais toujours sa présence avait semblé être “ calculée ” pour enluminer le premier plan des préoccupations de l’auditeur. Il faut dire que le relatif dépouillement linéaire des riffs joués par le groupe se prêtait idéalement à la mise en valeur d’une front-woman de charisme. Or, en suivant la refonte de l’environnement esthétique, Anneke rentre en quelque sorte dans le rang, laissant peut-être pour la première fois transparaître la femme derrière la diva de lumière. Magnifique, elle ne l’en est que davantage, car elle oblige ainsi à guetter fiévreusement chacune de ses paroles afin de pouvoir plonger plus profondément à la recherche des clés et des troubles qu’elles renferment. Le second mouvement de “ Black Light District ” est exclusivement instrumental et s’articule autour des machines et des guitares afin de présenter des musiciens seigneurs de leur domaine, capables désormais de faire avancer une pièce sans leur atout majeur. Au croisement d’un trip-rock de tempérament et de cordes étonnamment corrosives (étonnamment metal en fait), ils canalisent un dynamisme porteur d’idées intéressantes telles que des leads de basse en sous-impression ou des renversements de structures, tout en gardant un œil rivé en permanence sur les 70’s et leur psychédélisme institutionnel, comme en témoigne ce monologue de basse enroulé dans une interminable saturation feutrée qui attend puis escorte le second avènement d’Anneke. Allez, il reste 3’45 avant le baisser du rideau sur ce premier acte : plein cadre sur l’étoile ! Derechef il est vain de réclamer une quelconque déflagration lyrique. Sur un texte qui touche du doigt un monde de noirceur irréductible, les phrases stationnent, visiblement aimantées par l'inertie poignante de la musique et la gravité du contexte, comme suspendues dans un trou d’air à peine ont-elles crevé les lèvres d’Anneke. Si on devait rapporter l’instant à une impression volée, l’image qui défile devant les yeux serait celle d’une pièce close, plongée dans la pénombre striée de stores baissés, au centre de laquelle une seule personne, le visage égaré derrière les volutes de sa propre cigarette, est arrêtée dans la contemplation mélancolique d’un vieil album de photos jaunies. Une vision résolument sombre et évasive, donc, doublée d’un fort sentiment d’inéluctabilité, qui correspond parfaitement à cette direction introspective que semble vouloir dorénavant explorer le groupe. A l’approche du terme, le piano reprend la main, il s’étire d’abord sur une rythmique brisée tous les intervalles, puis s’en va en solitaire rejoindre le silence d’où il était né seize minutes auparavant. Un morceau cyclique en somme, quoi de plus indiqué pour ouvrir ce qui après tout est un nouveau cycle dans la carrière déjà légendaire de The Gathering ?
Ouais, ben écoutez, première impression intermédiaire : ça change ! On retrouve un peu de l’envie expérimentale de “ How to Measure a Planet ? ”, mais “ Black Light District ” va déjà chercher plus loin ; ce qui était un vent de changement est devenu la brise régulière qui balaye la façon de faire du groupe. S’il ne s’agit pas d’un reformatage intégral, le relookage ne peut laisser de marbre. Mais une fois le choc initial passé, ce premier morceau ouvre toute grande la caverne des plus brillants espoirs pour l’avenir. Le groupe a rarement aussi bien porté son patronyme qu’aujourd’hui, avec cette union sacrée derrière une démarche qui, poussée jusqu’au bout de sa logique, découvre une complémentarité naturelle qui fait plaisir à voir. The Gathering paraissent parés pour débarquer aux avant-postes de la scène trip-rock / coldwave, eu égard non seulement à leur stature et à leur following, mais aussi parce que musicalement parlant ils évitent soigneusement l’écueil qui a habituellement tendance à rendre ce genre de groupes fastidieux à la longue, à savoir le fait d’être constamment prisonniers d’une léthargie chronique et auto-complaisante. En combinant une mélancolie sincère avec ce qu’on est en droit d’attendre d’un grand groupe de musique (émotion, dynamisme, caractère), le quintet batave apporte une vision revigorante et sans doute propice aux développements les plus variés, sans toutefois trop dévier de l’imperturbabilité monochrome qui enveloppe son univers.
Autre format pour “ Debris ”, qui combine quelques ardeurs plus expérimentales avec une plus grande agitation autour du micro. En s’appuyant sur un court motif électronique qui est plus qu’un clin d’œil à Massive Attack, le morceau décolle de ses bases dès le départ et reste soutenu pendant quatre minutes en pouvant compter sur de subtiles variations dans un assortiment de riffs puissants et sur un travail millimétré au niveau de la batterie. Les effets de chant offrent plusieurs plans dimensionnels au message et, si Anneke y recouvre l’essentiel de sa vitalité, cela ne signifie en rien qu’elle enlève la prépondérance au détriment du morceau lui-même. Intense, efficace, et suffisamment perméable pour laisser filtrer l’ivresse d’un presque-refrain à la saveur douce-amère, encore une chanson indispensable.
Déjà deux facettes du prisme dévoilées, ne restait plus qu’à conclure dignement le mini CD, ce qui est chose faite avec “ Broken Glass ”, un morceau du prochain album qui figure ici dans une version pour piano et voix prise sur le vif et non réarrangée. Un somptueux cadeau qui voit Anneke aller hanter les cimes supérieures de ses octaves pour une performance à tirer des larmes qui finit de mettre à nu la métamorphose pour le meilleur endurée par sa voix. Inutile de préciser que j’ai hâte de découvrir le morceau original…
J’étais déjà fan de The Gathering depuis bien longtemps, mais c’est sûrement la première fois que je suis à ce point excité par l’approche d’un de leurs albums, car j’ai le sentiment qu’ils sont dans le vrai après avoir longtemps cherché leur voie le long d’un chemin parsemé de pierres angulaires inestimables pour les fans, mais peut-être pas pleinement assumées par leur ego de musiciens. “ Souvenirs ” a tout pour devenir un grand album et un album couronné de lauriers pour peu que les fans acceptent qu’il ne pourra plus héberger de hits planétaires et fédérateurs de la même veine que “ Nighttime Birds ”, “ Strange Machines ” ou “ Rollercoaster ”. Mais je suis convaincu qu’ils l’accepteront, ils y seront forcés tant la fascination qu’exerce cette musique est totale.
Pour ce qui est de la partie CD-Rom de “ Black Light District ”, elle est un complément documentaire qui mettra certainement du baume au cœur de beaucoup de monde, même si en ce qui me concerne j’y ai fait un petit tour et m’en suis revenu. De fait, si le design et l’interface sont nickels et très professionnels, s’il y a tout de même près d’1/2 heure d’immersion vidéo dans la vie du groupe en période d’enregistrement, je pense qu’il y aurait eu moyen de faire quelque chose de plus essentiel. Les sections bio, galerie et info sont déjà trop pauvrement fournies. Le plus gros est donc constitué par les vidéos, auxquelles il manque à mon goût tout l’aspect communication. On se contente de filmer le groupe en action, ce qui donne au final un résultat un peu brouillon et décousu, d’autant que la qualité du cadrage laisse par endroits à désirer. Alors bien sûr on capte au vol quelques bribes inédites de “ Souvenirs ”, on peut contempler à foison le beau matériel bien ruineux dont dispose le groupe, on voit Anneke s’escrimer en hollandais contre son micro et Hans faire mumuse sur la plage avec son cerf-volant… C’est bien mignon mais je n’aurais pas renâclé devant quelques interviews ou un morceau “ live ”, par exemple, sachant que The Gathering est un des plus grands groupes de scène du continuum espace-temps. OK, pas question de faire la fine bouche, de toute façon tout The Gathering-maniaque qui se respecte – ainsi que toute personne mélomane et sensée – doit mettre un point d’honneur à acquérir cet objet qui fait partie intégrante d’une discographie culte et sans accrocs.
En définitive, s’écouter l’intégrale de The Gathering en un après-midi est probablement le meilleur moyen de prendre conscience de combien les temps changent et de ce que les personnes deviennent lorsque leurs aspirations évoluent en adéquation avec la vie et les époques. Certains feraient bien de s’en laisser inspirer, qui moisissent en s’accrochant contre raison aux basques des fantômes du passé longtemps après que leur flamme se soit éteinte.


Rédigé par : Uriel | 4/5 | Nb de lectures : 9653




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Commentaire
Joss
Invité
Posté le: 24/01/2003 à 15h47 - (1955)
Mais qu'elle est longue cette chronique !
On voit bien que le groupe t'inspire pour balancer un tel pavé mais franchement ça risque de rebuter plus d'un internaute (moi y compris)
Je reviendrais la lire quand j'aurais un peu plus de courage...

Langoustator
Invité
Posté le: 24/01/2003 à 22h05 - (1966)
Bien belle chronique encore une fois. ;)
La version album de Broken Glass n'est pas mal non plus tout comme quelques autres titres. The Gathering est toujours très fort.

Ender
Invité
Posté le: 25/01/2003 à 10h54 - (1967)
très jolie chronique en effet, un peu à la bourre mais très jolie

http://www.obskure.com/fr/kro_model.php3?n_kro=622

un autre site qui fait parti de mes préférés avec VS et Guts of Darkness a eu plus de chance, apperemment ils ont recu une version de l'album, allez jetez un oeil à la chronique, ca donne envie..

Langoustator
Invité
Posté le: 25/01/2003 à 16h33 - (1969)
Mieux vaut une chronique tardive et juste qu'une chronique expédiée sans réfléchir. ;)
Le nouvel album est dispo si vous cherchez bien (enfin le promo qu'a reçu entre autres obskure). Il manque deux titres à ce promo d'ailleurs dont celui avec Garm.

cyanhist
Membre enregistré
Posté le: 29/04/2004 à 20h01 - (8432)
ce mini...argh...je l'attendais...et j'ai pas été déçu, après "how to..." qui reste pour moi leur meilleur album, j'éspérais énormément de ce groupe.
C'est mortel tout simplement.

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