Celui-ci, on peut dire qu’on l’a attendu. Trop peut-être ? Faisons d’abord un petit retour en arrière, en 2007 précisément, l’année où TESSERACT a débarqué avec sa première (et finalement, unique) démo 3 titres. Le groupe anglais avait bien cassé la baraque avec ses premiers efforts, et le monde avait découvert qu’on pouvait s’inspirer librement de MESHUGGAH et TEXTURES sans pour autant tomber dans le plagiat éhonté, tant que le talent est là. Le style de Metal polyrythmique ultra-moderne, plus tard appelé « Math-Metal » et finalement rebaptisé « Djent », était en quelque sorte né avec cette démo (en considérant que TEXTURES ne fait pas du Djent à proprement parler, ce terme désignant une scène et une vague de projets/groupes bien précise). Mais TESSERACT a pris son temps pour sortir un premier enregistrement longue-durée. En 2008, le guitariste Acle Kahney fondera même un projet parallèle, FELLSILENT, qui sortira un seul et très bon album (The Hidden Words) avant de splitter dans la plus grande indifférence. TESSERACT connaîtra par la suite quelques remous de line-up avec le départ du chanteur Abisola Obasanya, remplacé dans la foulée par Daniel Tompkins. Puis vient l’annonce (enfin) du premier album, One (un second album nommé Eden avait même à la base été prévu dans la foulée). Mais hormis quelques extraits furtifs ainsi qu’un clip pour le morceau "Deception", il n’y aura pas eu grand-chose à se mettre sous la dent pendant près d’un an et la sortie de One commençait sérieusement à ressembler à une arlésienne. Les choses se sont pourtant accélérées un tantinet avec l’annonce de la signature chez Century Media en juillet 2010. Mais One fut encore repoussé à début 2011, le groupe consolera néanmoins ses fans en sortant l’EP Concealing Fate en septembre, trois (longues et interminables) années après la démo. Et voilà donc enfin l’album complet, et il est grand temps que les anglais reviennent dans la course pour ratrapper PERIPHERY, qui leur ont piqué la place sur le podium du Djent pendant ce temps de latence. Et attention parce que UNEVEN STRUCTURE arrive derrière avec la ferme intention de doubler tout ce petit monde par la droite.

Déjà, il est important de faire remarquer que bien que l’affiliation de TESSERACT à la scène Djent soit évidente, les anglais ont néanmoins proposé dès leurs premières compos un style plus personnel, plus introspectif et moins axé sur la performance polyrythmique. Le but du riffing Djent est ici d’épicer le Metal atmosphérique du quintette plutôt que l’inverse. TESSERACT est donc nettement plus progressif, voire carrément « Post-Metal », et préfère développer ses ambiances plutôt que d’enchaîner les parties rythmées alambiquées propres au style Djent. Les guitares semi-acoustiques et breaks mélodiques laissant la part belle aux montées épiques sont ici de rigueur, de même que le chant clair omniprésent et très prenant bien maîtrisé par Daniel Tompkins (parfois proche de celui de Steven Wilson). Les polyrythmies sont bien là, mais elles ne sont à vrai dire pas l’attraction principale de One, et résumer ce groupe à un énième clone de TEXTURES et MESHUGGAH serait une véritable erreur ou consisterait un jugement très hâtif (franchement, il faut arrêter avec ça).

Et le résultat est une franche réussite, comme prévu… Comme prévu, c’est peut-être là qu’est le problème justement. Mais attardons-nous d’abord sur One en tant que tel. L’album s’ouvre par "Lament" qui pose les bases du style TESSERACT : intros et breaks atmosphériques de toute beauté, riffs à la fois polyrythmiques et mélodiques très efficaces, chanteur à la voix d’or (y compris les vocaux hurlés), tempo plutôt soutenu mais prenant, structures rondement menées. Le groupe passe tout de suite la seconde avec "Nascent", le single de l’album qui est un véritable hit, avec des passages plus rentre-dedans, une ambiance plus sombre et un refrain accrocheur à souhait. Suivent ensuite les 6 parties de "Concealing Fate", qui sont à prendre comme un bloc même si on peut aisément isoler le tube qu’est "Deception". L’équilibre entre parties Djent incisives comme il faut (dès le démarrage d’"Acceptance", mais aussi au sein des plus syncopés "The Impossible" et "Epiphany") et montées atmosphériques (le bien nommé "Perfection", le superbe "Origin") est parfait au sein de cette pièce centrale de 27 minutes et démontre bien tout le talent de TESSERACT, qui excelle dans son exécution et sa mise en place des ambiances planantes (l’apport des guitares mélodiques est particulièrement bluffant, cf. "Acceptance" et "Deception"). One se poursuit avec le très direct et écrasant "Sunrise" (même si les breaks à chant clair se taillent la part du lion), "April" qui est un morceau plus classique, et se clôt par les 9 minutes très enjouées de "Eden".

Alors bon, dans sa globalité One est un très bon voire excellent album (voire plus encore, parce que ça joue plus que très bien quand même), parfaitement ficelé et équilibré de A à Z. Mais comme je le disais, tout ceci était fort prévisible. Car One est plus une compil de morceaux « définitifs » qu’un véritable premier album. Certes, c’était aussi le cas de l’éponyme de PERIPHERY mais en ce qui concerne TESSERACT, je ne sais pas trop expliquer pourquoi mais ça a du mal à passer. Bien évidemment, les 6 parties de "Concealing Fate" étaient déjà disponibles au sein de l’EP du même nom sorti l’an dernier, et on avait déjà pu s’en délecter. N’aurait-il pas été plus judicieux de sortir un autre EP avec les 5 autres morceaux de One puis sortir un album tout beau tout neuf dans la foulée ? La question est posée surtout que les 6 parties de "Concealing Fate" sont clairement en marge des autres morceaux, bien que le groupe ait choisi de les mettre au centre de l’album (le trio "Sunrise"-"April"-"Eden" a du mal à convaincre après ça, et du coup One se termine un peu en queue de poisson). Et même ces 5 autres morceaux n’étaient pas inconnus des fans : "April", "Sunrise" et "Nascent" (et il me semble que "Lament" aussi) existaient déjà en version démo (ainsi que certaines parties de "Concealing Fate" !), même si les versions définitives sont assez différentes. Bref, à moins que vous ne découvriez TESSERACT directement avec One, l’effet de surprise est complètement amputé, ce qui doit être le cas des mordus de Djent qui s’intéressent à l’évolution de TESSERACT depuis ses débuts. On profite ainsi uniquement de l’aboutissement d’un projet musical et on ne prend pas une véritable claque, même si la qualité est au rendez-vous… comme prévu.

Un autre petit point de détail qui m’échaude un peu, c’est la prod : bien qu’elle convienne parfaitement au style épuré et « post » voulu par le groupe, j’ai tendance à la trouver un peu trop lisse et sèche, le son manquant cruellement de patate sur les parties les plus rythmées. Dommage quand on sait que le Djent se concentre sur la performance guitaristique, ce qui place donc vraiment TESSERACT légèrement en marge de cette scène. Niveau layout, le groupe ne s’est pas foulé avec un artwork très léger (le même que Concealing Fate en noir), mais qui a quand même son charme et certaines illustrations du livret sont superbes. Je dispose de la version double digi de l’album, qui comporte donc un DVD bonus qui n’a pas grand intérêt (comme avec n’importe quel DVD bonus, en fait), présentant juste le groupe en studio en train d’interpréter l’intégralité de "Concealing Fate" (séquence néanmoins disponible en 5.1 pour ceux qui ont une installation du feu de Satan), quelques images filmées en tournée et une interview de chaque membre du groupe : l’attirail parfait pour les die-hard fans en somme.

Pour ses débuts discographiques longue-durée, TESSERACT nous démontre donc qu’il a du talent de composition et d’exécution hors pair, mais après une attente toute relative il va être temps d’en montrer encore plus et assez vite avant que le soufflé ne retombe. One est un excellent album qui peut plaire à un panel d’auditeurs nettement plus large que celui du Djent le plus strict et direct, mais justement les aficionados de Djent en auront vite fait le tour, et j’en fais partie. Un disque somptueux, parfois jubilatoire, mais finalement trop attendu et sans surprise, une petite tape sur la joue déjà usée plutôt qu’une grosse baffe qui déboîte la mâchoire. L’élève TESSERACT a donc rendu une bonne copie, mais il est arrivé en retard à l’exam et à quelque peu repompé sa précédente dissertation : 2 points de pénalité.


Rédigé par : ZeSnake | 14/20 | Nb de lectures : 13824