Sixième et ultime volet de la collection « Série Noire » instillée par le label Sacral Productions, « Darkness Dealer » ne cherche à aucun moment à voiler ses intentions, et se veut un brûlot de black metal d’aspect décharné et primitif. Et c’est bien cette locution « se veut » qui est le nid de l’embarras en ce qui concerne T.A.O.S. (comprendre The Arrival Of Satan). Si les taxer de prévisibilité serait un chef d’inculpation pour le moins saugrenu, leur démarche a le tort, dirons-nous, de ne pas respirer la plus parfaite sincérité. Tout dans ce qui fait ce groupe semble avoir été coordonné pour qu’on ne puisse pas se méprendre sur la forme ni sur les intentions, jusqu’à un artwork d’une indigence tellement ostentatoire qu’elle déborde sur la caricature. On en resterait volontiers là, or la musique reflète bien fâcheusement la défiance initiale. L’impression dominante est celle d’une noirceur minutieusement préparée au détail près. Infects crachats de friture en guise de vocaux, déluges de riffs blindés d’amertume dégénérant fréquemment en mélodies glaciales parfaitement adaptées au propos, tempos linéaires d’une remarquable constance (« Transilvanian Hunger » a du tourner en continu pendant un bon moment…). Si l’on excepte la caisse claire qui semble tendue de velours tant ses impacts sont feutrés, la panoplie intégrale d’un bon black metal sommaire et misanthropique est de la partie. Mais une fois tout cela combiné, la spontanéité fait immédiatement défaut. Ca sonne beaucoup trop fabriqué et très rarement « live », comme si la volonté d’optimiser le caractère sombre et vipérin avait finalement endigué le sortilège dans l’épuisette de la fadeur et du stéréotype. Par exemple, la saturation extrême tient plus du calculé que du naturel, et plus les écoutes passent, plus j’ai l’impression que les paroles ne sont pas des paroles, mais des râles aléatoires. Autant de facteurs qui font pencher la balance du côté de la mystification au détriment de la foi artistique. « Darkness Dealer » sent plus la chambre à coucher que la chambre de torture, encore moins les grandes étendues nocturnes. En résumé, si T.A.O.S. maîtrisent virtuellement tous les paramètres du style choisi, l’interrupteur qui ferait basculer leur musique vers une atmosphère crédible leur reste encore interdit. Entre sinistrose trop évidente pour être honnête et haine de synthèse, « Darkness Dealer » investit surtout l’auditeur de l’envie féroce de se passer du Darkthrone ou alternativement du Nehëmah en lieu et place, histoire de recouvrer une saveur originelle ô combien plus motivante. Et si T.A.O.S. relève, comme il m’arrive de le soupçonner, d’une dimension ironique, il manque le signal manifeste qui permettrait de substituer un jugement au second degré à celui-ci (à l’exemple d’un Eikenskaden). Si par contre ils se prennent effectivement au sérieux, il sera urgent de modifier certaines choses dans la mise en application des idées afin de laisser à l’auditeur une chance d’en faire autant. A titre de comparaison, ce groupe me rappelle un peu Celestia, dont la musique ambiguë avait le don de provoquer un malaise semblable. J’ai peut-être tout assimilé de travers - ce qu’on ne manquera pas de me faire vertement savoir au cas où - mais il est très clair dans mon esprit que « Darkness Dealer » suscite à l’écoute un feeling radicalement différent de celui qui accompagne généralement un album de raw black metal pur sang. Et ce feeling-ci est plus limitrophe de la perplexité que de l'assentiment.



Rédigé par : Uriel | 8,5/20 | Nb de lectures : 8688