SWALLOW THE SUN - The Morning Never Came (Firebox Records/Adipocere) - 09/01/2004 @ 11h12
On peut tirer beaucoup d’enseignement de l’évolution du jargon corollaire à la musique. En quelques années on a constaté dans le metal extrême un déplacement du focus, partant du vocabulaire relativement étriqué du mal et de ses figures (Satan pour ne citer que lui) pour aller coloniser des constellations lexicales moins flagrantes. Parmi celles-ci, la symbolique du Soleil revient ces derniers temps avec insistance, et ce chez des groupes de tous horizons, par exemple Burnt by the Sun (post-hardcore), Sun of the Sleepless (black metal) ou encore Sundown (doom atmosphérique). La métaphore du soleil appelle des interprétations diverses suivant les contextes, mais elle transmet immanquablement à l’imaginaire une évocation de mystère, d’immensité, voire de sérénité : dominez le soleil et vous vous attribuez une dimension imposante, immatérielle, qui aujourd’hui, dans la course à la fascination du public, a davantage de poids que des ténèbres au rabais. Swallow the Sun se proposent carrément d’avaler le soleil, objectif pour le moins ambitieux qui peut dans un premier temps renvoyer au Crépuscule des Dieux de la mythologie scandinave et plus particulièrement aux fils du loup Fenrir qui dévorent le soleil et la lune en prélude à la fin du monde. Faute de discerner un parallèle au Ragnarök dans les titres des morceaux, on pense ensuite à un autre groupe qui, en son temps, a aussi postulé à régner sur l’astre suprême, j’ai nommé My Dying Bride avec l’album emblématique « Like Gods of the Sun ». En toute innocence on vient de tracer une filiation qui constitue une branche solide de l’héritage stylistique de Swallow the Sun… Car voilà un groupe finlandais qui se distancie radicalement du pool identitaire défini par la plupart de ses compatriotes – correction, par ceux de ses compatriotes que les média n’ont de cesse de mettre en avant depuis quelques années.
Nous voilà conviés à une mise en application des plus nobles principes jamais édictés par les grands faiseurs d’atmosphères de notre ère, de My Dying Bride à Katatonia en passant par le grand Tiamat. « The Morning Never Came » incarne l’intelligence artistique à un degré avancé, tant tout ce qui concourt à sa substance est proportionné avec exactitude par rapport à chaque autre élément. Cette musique ne connaît jamais de creux, pas une seule trace de tergiversation lorsque, par exemple, une ligne de guitare arrive à son terme : immédiatement, la navigation du morceau est reprise en charge par une autre ligne, surgie de l’arrière et pensée comme le parfait complément de celle qui vient de s’éteindre. Tantôt pleins et incisifs, tantôt déliés et imperturbables, les riffs de classe se passent le relais suivant une animation particulièrement efficace : sans empressement mais avec le souci de la pluralité de dynamiques. La batterie assume dès lors non seulement la cadence d’ensemble, mais aussi un rôle particulièrement prégnant de cartilage entre les différentes fractions des morceaux, permettant de la sorte une meilleure fluidité et une immersion rapide dans le ton employé. Les vocaux death sont assez classiques dans le timbre, mais débités avec une sorte de « punch » assez inédit, qui émule un mouvement perpétuel de bas en haut, un peu comme un piston qui percute sa cible puis se rétracte avant de recommencer, inlassablement. Très important puisque ventousé presque en permanence à la musique à la manière d'un rémora, le synthé puise dans un naturel de contingence la palette des arpèges qui apaisent la brûlure des guitares. Beaucoup de superpositions appellent une attention soutenue, surtout lorsque – comme c’est le cas lors des ultimes mesures de l’album – une instrumentation déjà complète s’enrichit d’un thème supplémentaire qui, bien que positionné par nécessité à l’arrière-plan, ambitionne de magnétiser la concentration à travers le premier voile sonore. Tout cela est très bien fait, louons l'irréprochable travail de mixage qui permet de s’y retouver sans avoir à jouer aux devinettes ou à tripatouiller les réglages de sa chaîne en désespoir de cause. Davantage qu’une resucée de My Dying Bride, Swallow the Sun peut être perçu comme leur actualisation à des critères esthétiques plus fuyants et moins directement « romantiques ». Sans passer sous silence, bien sûr, l’individualité de l'aventure, qui fait d’ailleurs planer un suspense assez énorme quant au potentiel futur et aux éventuelles innovations que le groupe garde a encore sous la pédale … Nota bene : trois des six têtes de Swallow the Sun sont des transfuges de Funeris Nocturnum (black metal avant-gardiste), chose qui, pour ceux ayant la chance de connaître un peu ce dernier groupe, au moins à travers ses deux dernières réalisations, est déjà une bonne indication de la consistance artistique du collectif en présence.
Mais attention tout de même ! J’ai vu beaucoup de personnes verser dans l’euphorie totale par rapport à cet album, chose à laquelle je ne me laisserai pas aller, loin s’en faut. « The Morning Never Came » est certainement une pièce d’un standing très élevé voire excellent, mais il n’est pas impressionnant. Aussi crédible soit l’image véhiculée et aussi perfectionné le bagage technique, Swallow the Sun ne font jamais que capitaliser sur des fondations pratiquement aussi vieilles que le doom lui-même, et à cette enseigne j’ai du mal à imaginer l’album ici-présent laisser dans la mémoire permanente du metal une empreinte aussi profonde qu’un « Turn Loose the Swans » ou même – pour lancer les enjeux par rapport à un concurrent de même génération – qu’un « The Sullen Sulcus », le chef d’œuvre en puissance des Irlandais Mourning Beloveth. Le ton global de la plupart des morceaux est encore trop modéré pour cela. D’autre part, on ne peut pas occulter que bon nombre des riffs et arrangements vertébraux sont un peu communs (voire bateaux) pour un album censé incarner un nouveau paradigme de supériorité. Ce n’est en aucun cas un fait aggravant en soi, simplement une constatation visant à tempérer les débordements de passion enregistrés ici et là. En clair ce n’est pas parce qu’un jeune groupe déboule du diable-vauvert avec une musique d’un calibre oublié depuis des lunes qu’il faut pour autant se précipiter pour lui tresser une couronne de lauriers immortels… Voilà, c’était la minute de l’emmerdeur, maintenant je vous invite à la dégustation de ce menu trois étoiles propre à vous coller un fameux orgasme dans les papilles…



Rédigé par : Uriel | 16/20 | Nb de lectures : 9348




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Commentaire
Moisi
Invité
Posté le: 09/01/2004 à 20h11 - (6719)
Tu mérites un bisou pour cette chronique, mon petit Uriel!
Maintenant, il faut que je puisse rapidement écouter la chose...

Matt
Invité
Posté le: 09/01/2004 à 23h33 - (6721)
Un demi bisous plutôt, parce que bon il a oublié 2 points au disque, au minimum, c'est pas rien ;-).

Loufi
Membre enregistré
Posté le: 09/01/2004 à 23h42 - (6722)
2 points ? c'est 3,5 points qui manquent !
Cet album troue le cul ! Désolé, j'ai pas d'autres arguments ;-)

Matt
Invité
Posté le: 10/01/2004 à 00h47 - (6726)
Ha je me sens moins seul! Non j'ai dis 2 points (en précisant au minimum), histoire de ne pas passer pour un fou. Perso je lui ai collé 10/10 sur LOW donc bon, je ne peux qu'être de ton avis.

Loufi
Membre enregistré
Posté le: 10/01/2004 à 10h23 - (6727)
D'un autre côté, je respecte parfaitement l'argumentaire que Uriel développe dans le dernier paragraphe. Ce disque n'est pas une révolution, mais dans le style c'est quasiment ce qui s'est fait de mieux. Je me demande simplement comment ils vont faire pour nous offrir un deuxième album de ce niveau.

shadowtiny
Membre enregistré
Posté le: 31/03/2005 à 22h27 - (14619)
Un album qui ne revient pas aussi souvent que j'aurai pu l'imaginer lors des premières écoutes.



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