Presque aussi prolifique que les chaînes de télévision et aussi peu enclin au renouvellement, le plus Irlandais des groupes allemands revient avec un nouvel album, « Book Of Dowth », deux ans après le conceptuel « Crògacht ». Le parallèle entre la TV et SUIDAKRA s'arrête bien évidemment là et ne constitue qu'un subterfuge pour débuter cette chronique, qui aurait tout aussi bien pu être lancée par le paradoxe entre le « capital sympathie » dont bénéficie le groupe et son manque de reconnaissance apparent, en comparaison d'autres formations évoluant dans un registre similaire.

Avant de s'attarder sur ce que nous propose SUIDAKRA d'un point de vue musical, un petit détour par la case pochette s'impose : sombre, cauchemardesque et encore une fois réalisée par Kris Verwimp, elle est certainement l'un des plus beaux artwork de l'artiste et, en ce qui me concerne, de loin le meilleur de tous les albums du groupe. De ceux qui vous donnent envie d'acheter le CD et vous donnent l'impression de posséder quelque chose de particulier, comme une incarnation de l'album. Verwimp s'est également chargé du livret, dans lequel on trouve d'autres dessins originaux illustrant les morceaux et quelques agrandissements de détails du dessin principal. Un bien bel emballage, donc, pour un album dont Krikri a une nouvelle fois signé les textes (retravaillés par SUIDAKRA pour les adapter à la musique) et sur lesquels il donne quelques détails sur le site officiel, dans la section « Releases ». Les férus de légendes, celtiques ou non, seront ravis d'apprendre que « Book Of Dowth » parle de démons bien moches, de fées bienveillantes, de prophéties, de jeune fille enfermée dans une tour imprenable, de tout ce qui a fait et continue à faire le succès des Contes et Légendes en somme, quelle que soit leur origine.

Dans le cas qui nous intéresse, Balor, roi des Fomoires, peuple représentant le chaos et la destruction dans la mythologie celtique irlandaise, craignant de voir se réaliser une prophécie selon laquelle il devrait être tué par son petit-fils, enferme sa fille Ethne dans une tour pour la tenir à l'écart des Humains. Bien évidemment, cela n'empêche pas Ethne de donner naissance à des triplés, aidée en cela par la Fée Biróg qui donne un coup de main à un homme, Mac Cinnfhaelaidh, pour grimper sur la tour et lui rendre la visite de courtoisie à l'origine de ces naissances. Balor fait jeter les nouveaux-nés à la mer mais l'un d'entre eux est épargné et ramené à son père par Biróg. Je vous laisse deviner la suite, qui rappelle bien d'autres légendes et un proverbe bien connu : Nul n'échappe à son destin (son dès-tin!).

Sur le plan musical, SUIDAKRA reste, comme on pouvait s'y attendre, à ses habitudes, avec peut-être une séparation plus prononcées entre morceaux violents et calmes. En gros, début d'album guerrier avec une longue intro cornemuse/guitares plombées qui fait bomber le torse et retrousser les babines en préparation à la baston qui va suivre, un premier titre, « Dowth 2059 », qui pose les bases de l'histoire qui va suivre, énergique sans être d'une violence inouïe, qui se rapproche de ce que faisait BLIND GUARDIAN il y a quelques années, le chant « black » en plus. « Battle Cairns » est clairement plus bourrin malgré un long break et on se dit que l'album est lancé, mais «  Biróg's Oath » stoppe net l'élan guerrier. Cette power ballad, peut-être placée trop tôt du point de vue de la dynamique de l'album, en est pourtant le meilleur morceau ; son couplet scandé s'imprime immédiatement dans le cerveau et une écoute suffira pour qu'il vous revienne à tout moment de la journée. SUIDAKRA devrait songer à plus employer Tina Stabel, qui assure les voix féminines, et dont le chant mi folk/mi lyrique est envoûtant et bien plus convaincant que celui d'Arkadius, comme le confirme la ballade folk qui suit, « Mag Mell ». Le Metal reprend ses droits dès le titre suivant et « Book Of Dowth » se poursuivra sur un rythme mi-rapide, mi-heavy jusqu'à sa conclusion, avec des morceaux sans longueurs, qui passent bien mais ne parviennent pas à faire oublier l'atmosphère toute particulière de «  Biróg's Oath », qu'on recherchera dans chacun sans la retrouver. En bonus sur l'édition digipack, les deux versions orchestrales de « Rise Of Taliesin » et « When Eternity Goes », dont les morceaux originaux figurent sur « The Arcanum » et « Signs Of The Fallen », respectivement sortis en 2000 et 2003, sont loin d'être indispensables et ajoutent une longueur inutile à un album qui sans cela paraît presque trop court.

SUIDAKRA, comme on en a pris maintenant l'habitude, est plus un conteur d'histoires mettant sa musique au service du concept choisi qu'un groupe dont les morceaux deviendront des classiques. C'est peut-être ce qui l'empêchera de vraiment grossir, mais c'est également une des raisons qui font que malgré tout, on l'écoute toujours avec plaisir et que malgré ses imperfections, « Book Of Dowth » est un de ces disques sur lequel on revient, parce qu'on aime bien les histoires et que la technologie ne remplacera jamais l'émotion suscitée par un conte bien raconté. La même équipe assure la production depuis 2005 et « Command To Charge », pas de surprise non plus de ce côté : le son est trop policé mais la balance entre tous les instruments est homogène. On perd en dynamique dans les parties metal ce qu'on gagne en confort d'écoute dans les passages plus doux ; cela reste finalement une affaire de goûts personnels. « Book Of Dowth » n'est pas le meilleur disque des Allemands, ni un disque de plus. Il est un chapitre supplémentaire dans l’œuvre d'un groupe qui reste fidèle à ses principes et a toujours à cœur de proposer un produit bien fini à ses fans. Cela ne fait pas tout, mais contribue à conférer à SUIDAKRA un statut particulier à une époque où l'image semble avoir plus d'importance que le travail.


Rédigé par : Dungorpat | 14/20 | Nb de lectures : 13265