S'il y a vraiment un truc qui m'agace dans les séries policières, c'est l'intrusion systématique d'inconnus dans le bureau du détective privé. Victimes ou malfrats, ces gens sont d'un sans-gêne effarant, au mépris des règles élémentaires de la propriété. Mais il faut dire qu'elle, elle a la classe. Vêtue d'un tailleur avec une jupe gainée et portant un large chapeau, elle attendait assise sur une chaise devant mon bureau. Le genre sophistiqué à fumer des longues cigarettes. Ca aussi, ça m'agace. Les gens qui s'autorisent à fumer dans mon burlingue, m'obligeant à me geler avec les fenêtres ouvertes après leur départ. Mais étrangement, le crissement du nylon de ses bas quand elle s'est tournée vers moi m'a immédiatement apaisé.
- Bonsoir, monsieur Lurma.
Je me suis assis sans un mot. Elle n'avait pas besoin de se présenter. C'est l'avantage d'être connue du Milieu. Cette frimousse d'ange s'appelle Heidi S. Tveitan. D'abord connue sous le pseudonyme d'Ihriel, elle avait couiné aux côtés de son mari dans l'entreprise Peccatum. Puis, quand Peccatum s'était éteint et qu'Ihsahn avait monté son affaire à lui, elle s'était attelée à son projet solo. Un truc du nom de Star Of Ash, si je me souviens de ce que j'ai lu dans la presse. Je n'avais pas écouté son premier opus "Iter.viator" sorti chez Jester Records, n'espérant pas tirer grand-chose d'un projet estampillé "musique d'ambiance". Le couple continue également de s'occuper de son label Mnemosyne, mais ça ne doit pas les occuper beaucoup vu le nombre réduit de sorties.

Et quand la dernière affaire concernant Star Of Ash avait finalement filtré jusqu'à moi grâce à un indic de chez Candlelight, je dois dire que j'avais été agréablement surpris. Le rapprochement de ce dossier avec celui du collectif d'artistes Ulver m'avait d'abord sauté aux oreilles. Tout deux s'orientaient vers une musique atmosphérique et envoutante. Mais là où Ulver accompagne l'auditeur dans les méandres d'un univers où chaque riff ouvre une nouvelle porte vers des errements sonores, Star Of Ash structure bien plus ses titres et travaille sur des boucles de sons. Les boucles donnent un aspect rythmique aux titres et les rapprochent de morceaux à l'architecture plus traditionnelle. A la rigueur, si j'osais un parallèle avec les méthodes d'Ulver, j'opterais pour l'album plus électronique "Heaven and Hell", où les Norvégiens étaient encore en transition entre leurs rapines metal et leurs activités de corruption épurée d'aujourd'hui. Mais cet aspect plus structuré de Star Of Ash, cumulé à la variété des titres, rappelle surtout les pistes différentes qu'on peut trouver sur la bande originale d'un film. Ce film-ci est noir et vintage, et chaque morceau exprime un moment d'émotion qui ne demande qu'à être mis en image. En cela, Heidi a tapé juste avec l'artwork très fifties de son nouvel album.

Mais on ne peut pas taper juste partout. Et apparemment, il y a de l'eau dans le gaz entre monsieur et madame Ih.
- Je pense que mon mari me trompe, monsieur Lurma.
Elle avait dit ça froidement, comme si elle connaissait déjà la réponse. Je n'avais pas laissé paraître la moindre émotion. Mais il faut dire que les rumeurs circulaient depuis un bon moment. La presse la plus dégueulasse n'hésitait pas à parler des ébats discographiques de son doudou avec un certain Mickael Åkerfeldt. Et cela se ressentait sur ses derniers travaux qui fleuraient bon l'amourette gay. Åkerfeldt, c'est pas le genre de petit gros moustachu qui m'excite, mais chacun son truc. Donc, oui, avant même de commencer à fouiner, je savais déjà que cette Heidi aux yeux de biche n'allait pas aimer ce que j'allais trouver.

Mais tout ça, elle le savait déjà. Elle avait dû trouver des traces pendant l'enregistrement de son album dans le Symphonique studio de son mari. Peut-être qu'elle était tombée sur des paroles suggestives griffonnées à la hâte, une capote usagée ou même un vieux string sale avec le logo Opeth. Peu importe ce qu'elle avait vu, elle savait déjà. Et elle ne venait me voir que pour une confirmation, en espérant que je sois celui qui la pince pour lui dire qu'elle a rêvé et que son mari était tranquillement derrière la console en train de l'aider à enregistrer. L'aider à avoir cette production froide qu'on retrouve chez Ihsahn ou dans le dernier Emperor (non, pas le film), production qui sied parfaitement à sa musique aérienne et doucereuse. Cette inquiétude se ressentait dans ses compositions, toutes en mélancolie, et dans ses mélopées vocales toutes en douceur, qu'elle vient poser de très belle manière après de longs passages instrumentaux. Avec toute sa sensibilité, elle avait déjà composé la bande originale du film de sa vie, mettant en avant les basses fréquences pour nous faire vibrer. Un album doux, aux boucles lentement lancinantes, aux arpèges lentement déroulées d'une guitare en son clair, aux mélodies égrenées par un piano. Un album qui aurait pu parfaitement accompagner une bobine des années cinquante, exprimant une émotion et illustrant une séquence par titre. Il ne manque parfois que quelques images pour parfaire l'illustration de son propos.

Même si Garm vient pousser la vocalise sur "Blood, Bones and a Skull", Heidi reste finalement si seule au bord de son fjord. Beau cul, mais tellement triste. Tout ça pour un slip.




Rédigé par : Prince de Lu | 14,5/20 | Nb de lectures : 10968