Étant le principal géniteur des titres les plus emblématiques de la formation californienne l’impact du départ de Neal Morse sur l’avenir des Américains s’est douloureusement fait sentir. Excepté quelques fulgurances ici ou là et notamment sur "Feel Euphonia", les 3 albums parus dans la foulée ont mis à jour de nombreuses faiblesses dont la plus évidente fut un cruel manque d’inspiration. Alors que celle de l’ex mentor de Spock’s Beard affichait dans le même temps et sur la durée une insolente et belle santé. Et honnêtement, peu d’entre nous voyaient poindre une quelconque éclaircie encourageante. Depuis ce « funeste » évènement, la formation s’est contentée de lézarder lamentablement sur le mur de notre indifférence polie.

Constat navrant, cette situation a considérablement terni son image et changé son statut de groupe phare. Sa réputation en a donc grandement pâti auprès des labels jadis très intéressés pour signer le groupe à l’apogée de sa gloire. C’est ainsi qu’Insideout a jeté l’éponge après leur neuvième album. Ce qui a conduit le groupe à suivre l’exemple de Marillion et d’autres en faisant appel aux dons de fans généreux. (Heureusement pour lui, il en restait encore et ils ont répondu présent et Mascot Records a accepté d’assurer la distribution de X).

Eh bien nous avions tort de nous inquiéter! Car en cet automne bien installé, je suis en mesure de vous annoncer que Spock’s Beard est ressuscité ! Et de quelle manière ! Terminer les errances, les approximations, les redondances faciles. Revoici notre « barbu aux grandes oreilles » dans une forme que l’on ne lui avait plus connu depuis près de 10 ans.

Démonstration de ce tempérament restauré, le titre "Edge Of The In-Between" qui ouvre l’album. Il affiche d’entrée les intentions et les moyens: le Spock est de retour et par la grande porte avec simplicité et complexité. J’en vois qui haussent les sourcils « comment cela ce peut-il ? ». Rien de plus facile pour des virtuoses de la trempe des Nick D’Virgilio (chant–batterie), Morse (Allan, le frère à la guitare), Ryo Okumoto (claviers) et Dave Meros (basse). Ils ont laissé parler leur cœur et mis de côté les fanfreluches et autres artifices dont ils avaient abusé dans leurs 3 derniers opus.

Une intro symphonique et enlevée – comme les affectionne l’autre Morse, le traître – une mélodie qui prend aux tripes, un son cristallin et une production soignée : Résultat, 10 minutes de bonheur retrouvé et les portes du paradis s’ouvrent à nouveau.

Le travail sur les voix a toujours représenté la touche de classe supplémentaire de l’ère Morse, une sorte de griffe identitaire pour un travail dûment inspiré du maître en la matière, "Gentle Giant". "The Emperor Clothes" nous prouve que S.Beard n’a rien oublié de ses classiques. Et faut-il y voir une relation de cause à effet, ce titre est co-signé par les 2 frères Morse.

Surprise ou non, "The Quiet House" (9min34) délivre de gros riffs d’un métal prog assez nouveau dans le répertoire du groupe pour sans doute le titre le plus heavy jamais écrit en 15 ans de carrière.

Je ne l’ai pas encore mentionné mais "X" (est-il besoin de préciser qu’il s’agit du dixième album ?) est un « gros » disque, plein jusqu’à la gueule. 79min50 de rock progressif grand teint, comme si le Barbu avait voulu frapper d’un grand coup d’éclat son retour parmi les vivants en utilisant le maximum de capacité numérique pour nous en convaincre. Pari réussi !

Tout ça pour vous dire qu’un grand album de progressif se doit de contenir au moins une suite pour satisfaire au dogme en vigueur ainsi que nos féroces appétits. Et puisque de la place il y en a, pas de panique, Spock’s Beard nous a gâtés et ce n’est pas seulement une mais deux (mini) suites qui s’annoncent avec pour chacune plus de 16 minutes au compteur.

La première "From The Darkness" (16min53) comme la seconde "Jaws of Heaven" (16min22) ont de quoi faire grimper au rideau les nostalgiques des "The Light" et autres longueurs tarabiscotées que la bande du révérend déserteur avait su composé dans les années fastes.

Même s’il est aisé de découper ses 2 morceaux de bravoure en parties clairement identifiables, plusieurs thèmes s’entrecroisent, s’entrechoquent, rebondissent et s’accordent à la perfection.
Symphonisme, métal, pop, digressions champêtres ou développements compartimentés mais d’une grande fluidité, tout y est. Il n’y a plus qu’à savourer. A ce propos ma préférence va à "Jaws of Heaven" dont j’apprécie particulièrement la verve et le phrasé très enlevé, grâce à une habile conduite des claviers de Okumoto qui utilise (enfin) intelligemment toute l’étendue de la panoplie disponible. (Ah ces violons aux alentours de la 8min…). Cette remarque est d’ailleurs valable pour tout l’album. Du grand, du bon Okumoto.

Un mot sur le chant : le fait que D’Virgilio parvienne à faire oublier celui si caractéristique de Neal Morse pour s’en approprier pleinement la charge émotionnelle n’est pas la moindre des performances à mettre au crédit du frontman. Il était temps. On le savait capable d’une telle prestation, il suffisait qu’il s’en convainque lui-même. C’est désormais chose faite.

Bon, ne nous payons pas de mots tout en restant lucides : "X" n’est que le meilleur album de l’après Morse et c’est ma foi la pire chose qui pouvait lui arriver. Moi, j’en fais d’ores et déjà un concurrent sérieux de mon top ten annuel et tout en haut de la liste, s’il vous plaît !


Rédigé par : Karadok | 19/20 | Nb de lectures : 13858