S'il y a bien une chose qu'on ne pouvait pas encore reprocher à Shining, c'est de faire du surplace. En constante mutation, en perpétuelle recherche, le projet de Kvarforth ("ça va fort!", comme dirait Sabatier) a plus profondément creusé son sillon à partir du quatrième album The Eerie Cold, s'éloignant de la dépression pure des débuts. Si l'évolution a laissé du monde sur le carreau, elle a attiré pas mal de monde qui ose porter des couleurs.

Bon, Shining, c'est aussi pas mal de cirque. Un père indigne qui erre entre la Suède et la Norvège, faisant un temps croire à sa disparition, bourré de dettes et de drogues dans l'alcool qui lui sert de sang, et s'acoquinant avec un grand nombre de projets dont la moitié n'ont pas grand intérêt. Véritable anti-idéal dont on envie secrètement le "je m'en foutisme", Kvarforth continue d'entretenir son image déglinguée et extrême, pour le plus grand plaisir de ses fans qui apprécient le Barnum bariolé qui monte parfois sur scène le soir. Mais on est désormais dans le decorum et les scarifs sur scène ont cédé la place à une bouteille de colorant à côté du whisky (personne n'irait se découper tous les soirs d'une tournée, à moins d'aimer visiter les urgences de chaque pays traversé). Bref, Shining n'est pas que de la musique et c'est aussi ce qui agace autant que ce qui attire.

Ce coup-ci, Kvarforth a fait du ménage dans sa section rythmique. Le fidèle (et couvert d'éloges, à son retour) Phil A. Cirone a pris la porte pour la seconde fois, remplacé par Andreas Larssen (Livsnekald). Exit également l'ex-batteur d'Urgehal, qui ne sera pas non plus sur le prochain sacrifice des Norvégiens Ikonoklast. Les baguettes d'Uruz sont donc reprises par Rickard Schill, le bretteur de Spawn Of Possession. Ballot pour eux, aucun des deux zicos éclipsés n'avait participé à V – Halmstad. Vous étiez peut-être déjà au courant de ces modifications de line-up; j'avoue ne pas suivre l'actualité très changeante du brouillard de musiciens qui suit Kvarforth. Néanmoins, ce dernier s'assure toujours d'être bien entouré, c'est ce qui compte.

Peu de choses sont à signaler depuis le dernier album, si ce n'est un split avec Den Saakaldte et pas mal de dates de concerts globalement maintenues. VI – Klagopsalmer est donc la première grosse fournée depuis deux ans. Comme promis, Kvarforth a laissé plus de liberté à ses acolytes et il ne signe finalement ici que les deux morceaux d'ouverture. Shining semble avoir trouvé le rythme de croisière d'un vrai groupe. Et le rythme de croisière, c'est probablement le truc qui coincera pour certains sur ce nouvel opus. Car, soyons honnêtes, pour la première fois, Shining ne donne pas l'impression de faire un pas de géant. VI est dans la droite continuité de V, exploitant les recettes du précédent album. Mais là où un Anaal Nathrakh fait du surplace en moins bien (je persiste, viendez fighter dans les comms de la chro), Shining parvient encore à surprendre. Et c'est là que c'est bon.

Certes, la structure des morceaux ne nous est plus étrangère. Les passages acoustiques, les gros riffs bourrés de groove ras-la-gueule, les hurlements, les arpèges pleurnichards ou les passages de piano sont autant de monuments d'un pays déjà visité. Et si l'expérience s'avère plaisante, il aurait pu lui manquer un petit quelque chose pour relever le tout. Ce quelque chose, ce sont les surprises au coin du bois. Le plomb fondu qui dégouline des riffs de "Plågoande O'Helga Plågoande ". Le chant qui bute sur "Fullständigt Jävla Död Inuti" (Ingenntiiinngg!), bien que les mélodies en soient un peu guimauve et les shreds inutiles. La grosse surprise est le superbe morceau "Ohm (Sommar Med Siv)", à l'arpège à la The Cure (enfin, ce que j'entends par The Cure) très réussi et au refrain en chant clair prenant. Je trouve que ce morceau est la perle de la tracklist. Mais il ne s'agit pas d'une composition, mais d'une reprise du groupe norvégien Seigmen, juste un peu plus metallique. Par contre, le titre colle parfaitement à l'esprit de l'album.

Il est juste dommage que VI – Klagopsalmer se tasse quelque peu sur son final. Il était un peu périlleux d'enchaîner cette très bonne cover avec un instrumental acoustique de cinq minutes et le (trop) long final de plus d'un quart d'heure "Total Utfrysning" dont les thèmes mélodiques évoluent des sonates classiques aux relents de BO de films 70's avec Charles Bronson (le thème "inquiétant" du début, longuement repris en final). Bref, je ne suis pas convaincu par cette composition trop diluée.

Côté matos, on peut aussi regretter que le boîtier CD soit banal. Si le livret est simple mais reste sympathique (notamment le logo à tête de mort au dos), le boîtier est un bête emballage standard (même pas un crystal) avec une tracklist toute con au dos. Alors que les labels chouchoutent la manne des consommateurs de vinyls avec des picture plop, des limited colored plop et des gatefold double plop, on aurait pu espérer un digipack aussi sympa que les deux précédents pour un aussi gros vendeur. Je chipote un peu, mais j'ai une vanité à entretenir dans mes bibliothèques et mon égo va se foutre de moi avec des boîtiers aussi simples. Heureusement que la musique est bonne (tous ceux qui ont chanté la suite sont immédiatement bannis).

Au bilan personnel, Shining réussit la transformation, après le très bel essai aplati lors du précédent album. Si le groupe exploite clairement le filon déjà creusé, il démontre qu'il a encore pas mal à dire sur ce sujet, avant d'aller voir ailleurs. VI – Klagopsalmer est une fort bonne cuvée du Suédois volant, sans toutefois s'avérer ébouriffante. Ce sixième opus m'a fortement donné envie de me remettre les précédents dans les feuilles et ce fut un véritable régal. Shining trace sa route, sans s'occuper de quiconque. Et s'ils ont le bon goût de venir s'échouer sur nos planches, c'est avec plaisir que je retournerai au cirque. J'ai toujours apprécié les animaux mal dressés qui crachent dans la foule.




Rédigé par : Prince de Lu | 16/20 | Nb de lectures : 13815