Loufi: Aborder l'écoute de ce disque a nécessité un peu de documentation et en particulier la lecture de la kronik de Uriel à propos de "Stronghold of the inviolables", démo/album de ces allemands éditée il y a deux ans chez Red Stream Records. Mon éminent et volubile collègue avait mis l'accent sur la réputation usurpée, l'aspect brouillon et totalement inutile de cette formation. A croire que pas mal d'eau a coulé sous les ponts depuis. Si Secrets of the Moon fait encore certainement partie de la grande sphère du black-metal, j'ai pris un pied assez considérable à l'écoute de ce disque et son aspect très progressif, qui fait souvent plonger "Carved..." dans le dark-metal à la Dornenreich/Bethlehem en fait une entité assez à part sur la scène allemande. Ils existent depuis 1995, ont pondu quelques splits (avec Averse Sefira et Lunar Aurora), pas mal de démos et ce disque n'est que le deuxième véritable album de leur discographie.
Dès les premières écoutes, deux noms me sont venus à l'esprit, à savoir Golden Dawn et Emperor. Du premier, SOTM a hérité de l'aspect étrange, torturé et aux structures résolument tournées vers l'avenir. Du second, on retiendra les titres longs et complexes (je parle bien sûr du Emperor des deux derniers albums), les riffs souvent somptueux et inspirés du black old-school et du thrash et un sens de la grandiloquence musicale assez inné.
"Carved in stigmata wounds" est composé de dix morceaux et exception faite de l'intro et de l'outro, ils dépassent tous les sept minutes pour arriver jusqu'à douze. Ce n'est donc pas un album qui s'écoute dans la précipitation. Une production très propre mais pas hollywoodienne vient heureusement en renfort pour améliorer les conditions d'écoute et le mixage a permis de porter l'accent sur un travail guitaristique assez conséquent. Les grattes sont aiguisées et la batterie a un son "live" vraiment bien foutu. Certains morceaux jouent énormément sur les ambiances comme "Kaosthrone" ou le guerrier "Miasma" qui aurait pu être composé par un Venom ou un Bathory de la grande époque. D'autres titres sont plus directs, comme "To the ultimate embers and ash" ou "Evolution valour admission" qui possèdent des parties assez rapides, toujours pondérées par des passages plus recherchés. Les vocaux sont véritablement sobres, ni vraiment thrash, ni vraiment orientés du côté du black. Ils constituent peut-être même la fraction la plus old-school de la musique de SOTM. Le fait que la basse joue un rôle primordial dans la construction des morceaux est également assez inhabituel (l'incroyable "Epoch" et sa rythmique semi-epileptique qui donne le tournis). Sans tomber dans le symphonique, des claviers à dose homéopathique sont injectés pour apporter une petite touche ésotérique supplémentaire à un tableau déjà bien foutu.
Donner une description plus précise de ce qui figure sur ce disque n'est pas véritablement de ma compétence, mes références en black étant un peu trop limitées. S'il est évident que ce disque a atterri par erreur chez moi, je ne saurais que trop rendre grâce à la maladresse de mon webmaster et de chanter ses louanges pour m'avoir fait découvrir une telle petite perle. Les véritables spécialistes du genre se feront bien entendu un immense plaisir de confirmer ou d'infirmer vertement mon enthousiasme débordant dans les commentaires. 72 minutes terribles qui ne seront pas assimilées de sitôt.
Note: 17/20

Uriel: Mea culpa. Hurlez au scandale, conspuez-moi, flagellez ma chair jusqu’aux artères pour avoir osé clamer à plume haute, devant témoins et à l’appui d’un premier album aussi aride que pénible, que les Allemands de Secrets of the Moon n’avaient aucun potentiel (cf. kronik de « Stronghold of the Inviolables » – 7/20). Ô erreur, ô présomption renversée ! « Carved in Stigmata Wounds », en tout point succulent, marque d’une pierre rouge – que dis-je, d’un dolmen ! – l’émergence d’un nouveau poids lourd dans l’arène des maudits. Une révélation en deux actes puisque, prière d’écarquiller toutes grandes les paupières, ce digipack aux superbes extérieurs renferme en fait un double-CD : d’une part l’album auquel il doit son titre, enregistré en 2002 ; d’autre part une singulière étude d’atmosphère en quatre actes entre guitares toxiques et expérimentations ambient/nihiliste, intitulée « The Ambience of a Dead Star » – les deux parties étant intimement liées par l’esprit qui en émane. En tout pas loin de 100 minutes de musique, et ce pour le prix d’un CD, ou peut-être de 1,25 suivant la propension à l’arnaque de votre dealer de blasphèmes attitré. Ce deuxième disque est-il présent dans toutes les éditions ? Je l’ignore, donc je me bornerai à chroniquer l’album.
« The corpse will be forgotten soon when the winds of time erase our candles, our houses, our lives… » : c’est par ce sombre portail doctrinal que l’on pénètre, voûté et intimidé, dans cette « forteresse des inviolables » tellement plus imposante que la modeste tourelle sur les cendres de laquelle elle a été érigée. Ce qui stupéfie le plus au premier abord est de constater que la musique a vu son apport technique densifié du rien au tout. Taillée sur mesure et sans bavures, elle ne tolère pas la moindre approximation dans la synchronisation des mouvements qui la composent. Dans cette optique, c’est en premier lieu la batterie qui tient office de chef d’orchestre. Revenant comme un boomerang aux sources du blast jouissif mais toujours disposée à embrasser plus ou moins profusément les tempos intermédiaires les plus géniaux, elle frappe à la virgule, dans une forêt de touchers tous plus puissants et subtils les uns que les autres, le cadre dans lequel vont évoluer les agents d’identité que sont les guitares et leurs affluents : chant, synthé, samples d’éléments naturels, bref tout ce qui tamponne sur « Carved in Stigmata Wounds » un sceau de cruauté d’une inouïe transparence pour un groupe tout de même rattachable à la communauté du raw black metal.
Caractérisés par des développements prolixes en changements d’axes permettant leur évolution constante sans recours à des mouvements fixes (refrains…), les morceaux oscillent entre 6 et 12 minutes, et sont fréquemment couronnés aux abords de leur terme par un zénith où s’entremêlent en concentré toute la puissance de feu de la section metal et des élans d’ivresse telles que chœurs ou gaines de synthés gardées bien au chaud pour mieux produire leur effet à l’instant choisi.
De la marche martiale de mise en jambes « Crowns » – où l’on reçoit la visite de courtoisie du spectre d’Alleister Crowley – au titre éponyme, invraisemblable odyssée psychotique aux confins de la noirceur plurielle (et de la perfection), difficile d’isoler un moment fort en particulier. Ou alors un différent à chaque écoute. A l’image de la batterie, les riffs ne sont pas sectaires. Secrets of the Moon aiment parfois à nous noyer dans une brume électrique occulte criblée de bruissements sinistres – on y reconnaît, en plus sophistiqué, l’héritage de leurs compatriotes de Lunar Aurora. Mais lorsqu’il s’agit de se faire plus angulaires, les guitares ne reculent pas devant un habillage mélodique affirmé – sans excès de zèle aucun – que l’on pourrait confronter à un Dissection au vernis harmonique labouré par l’acide.
En définitive c’est presque le chant, pourtant probant par son côté cassant et tyrannique, qui ressort vaincu de la mêlée, tant la richesse étourdissante de l’instrumental lui laisse une tribune d’expression réduite. En fait, « Carved in Stigmata Wounds » aurait très bien pu entrer dans le annales comme le tout premier album de black metal exclusivement instrumental que cela n’aurait certainement pas dérangé grand monde. D’où la preuve par les faits que le black est loin, très loin, d’avoir livré toute l’étendue de son terrain d’exploration. Il suffit de dire merde à l’attentisme et de provoquer l’histoire, comme Secrets of the Moon ont su le faire avec une (im)pertinence qui en arrive à dépasser l’entendement autant qu’elle rafraîchit la gueule aussi sûrement qu’une pinte de cervoise tirée d’un iceberg.
Détruire sans asséner de message explicitement destructeur, assujettir en faisant tout pour creuser les distances, garder en éveil pour mieux inonder les cauchemars : cette musique a quelque chose de quadri-dimensionnel et d’inexorable qu’on ne rencontre pas à tous les coins de bac, et rien que pour ça il n’est pas saugrenu de penser que même les personnes atteintes d’allergie aiguë au black metal y trouvent à l’occasion matière à se faire les griffes, ne serait-ce que pour la forte valeur ajoutée (progressive ?) au niveau de la complexion instrumentale.
Imprégnés d’un caractère malsain et hermétique à rapprocher du nouveau Blut aus Nord, Secrets of the Moon n’en ont pas tout à fait la subversion ni le dégoût des structures identifiables, mais ça peut s’arranger. On pense aussi à Enslaved pour cette faculté immanente à jalonner un univers étranger prompt à stimuler angoisse comme fascination, le tout sans céder un pouce de terrain aux effets à la carte ou aux partitions écrites d’avance.
Symbole d’un renouveau de la scène extrême germanique qui ne se laisse plus contredire, « Carved in Stigmata Wounds » explose sans crier gare pour le ravissement des gens de goût et le malheur des veules ; et je soupçonne le groupe d’avoir des objectifs colossaux en ligne de mire. D’autant qu’il faut encore une fois le souligner : ceux qui auront la possibilité de se procurer l’édition contenant « The Ambience of a Dead Star » n’en seront que doublement servis, car ce mini vaut son pesant de sévices – mais shhht… surprise. Achat les yeux fermés, bitte schön !
Note: 18/20




Rédigé par : Loufi & Uriel | 17,5/20 | Nb de lectures : 10900