Bien que la musique soit par définition impalpable, on a pourtant pas de difficulté à parler de musique chaude ou froide, spatiale ou terrienne. Le stoner par exemple c'est rarement chirurgical et millimétré (état de fait plutôt normal quand on parle d'une musique qui se veut "Roots). Mais les carcans musicaux sont faits pour être éclatés et la personnalité se définit souvent dans les distances que prennent les groupes avec les modèles pré-établis.
En ce qui concerne Rolo Tomassi, puisque ce sont eux qui nous intéressent aujourd'hui, c'est plutôt froid, dissonant et spatial. Directement issu de la nation de sa très gracieuse majesté, ces cinq jeunes gens nous arrivent donc avec leur deuxième album, "Cosmology", faisant suite au plutôt réussi premier album, "Hysterics", sorti en 2008 (lui-même précédé par plusieurs E.P).
Entre le Mathcore, le hardcore chaotique, le jazz et le Bontempi de bonne facture, les Rolo Tomassi nous proposent la même recette qu'ils nous avaient concoctée précédemment, le tout drivé par le petit bout de femme à la voix mignono-gutturale, Eva Spence, et le guitariste fou Joe Nicholson (oui comme Jack).
Un petit mot également sur le nom étrange du groupe, en fait le nom d'un personnage dans L.A confidential (finalement la bizarrerie du nom est en adéquation avec la musique).
Pour rassurer les fans (et ils sont déjà assez nombreux), le groupe ne s'est pas trouvé en mal d'inspiration. De redoutables mises en places et des arrangements déstructurés servent de terreau à des riffs techniques et dissonants tout autant qu'à des hurlements stridents et des mélodies bien charpentées. Des titres comme "I love Turbulence" ou le très réussi "Oh hello Ghost" du premier album trouvent leur suite logique au travers de chansons toutes aussi bousculées et percutées par des antipodes qui n'ont pas trop, trop l'habitude de passer leurs soirées ensemble à boire de la Guiness (Great Britain oblige).
Comme dans un vieux troquet mal fréquenté, on perçoit des éclatages de cordes à la Dillinger, des grooves à la Botch et par moments, des dérapages à la Converge. Bien sûr, en plus de ces grands noms, il demeure quelques autres influences (un poil plus "stylée") qui parsèment tout le skeud. Sans jamais égaler aucun des grands noms que j'ai évoqué plus haut dans leur spécialités (c'est-à-dire pas aussi technique que Dillinger, pas aussi cinglé que Converge et pas aussi Groovnoise que Botch) le groupe mise sur ses armes et convainc autant qu'il séduit.
Dès le début avec "Katzenklavier", petite ode uniquement joué au synthé, le groupe pose l'ambiance et nous invite dans son monde feutré et délicat. Mais l'accalmie ne dure pas, et au fur et à mesure des breaks, le groupe s'active et finit par devenir vraiment envoutant et inquiétant à la fois. Dès "Agamemnon", le groupe déconstruit les gammes, salit les accords et libère la rage... le tout sur la même musique de synthé que sur le titre précédent. Ce fond sonore apporte un vrai plus à la chanson et montre que Rolo Tomassi n'a pas peur de s'essayer à des expérimentations sur le fil du rasoir. Cette excellente introduction est suivie par une pléiade d'autres excellents morceaux où la brutalité laisse parfois place à la mélodie dans une forme quasi pop.
Du très "sacré Français" "French Hotel" au planant "Cosmology" le groupe pillone comme un vieux foret et anime parfois son faciès d'un sourire inquiétant comme si un ange se laissait tomber des cimes du paradis pour aller hurler aux tréfonds des enfers. Et puisque qu'on parle d'ange, un petit mot sur la chanteuse Eva qui démontre sur ce disque tout son talent, passant de la gueulante surboostée à la douceur délicate d'une caresse glaciale. Sur scène, cette fille a un charisme évident et une présence vraiment manifeste (et en plus elle est très belle). Sur disque, elle continue d'étonner et d'intriguer. Plus de filles dans le metal bordel !
Je comprends aisément pourquoi ce groupe séduit et je reconnais que contrairement à d'autres combos ils manœuvrent assez bien entre le barbare et le raffiné sans jamais trop, comme une actrice fatiguée, cabotiner à l'extrême.
Cependant, il demeure une étrangeté dans la musique du combo. La musique peut aller d'un extrême à l'autre, mais le groupe peine à faire le pont entre les deux. Les liaisons manquent parfois de finesse et le groupe joue à chat noir/chat blanc sans jamais inviter le chat gris. Brutalité ou béatitude... mais pas grand-chose au milieu. Ce n'est pas vraiment un point noir, puisque le groupe est plutôt fort dans ce qu'il entreprend, mais un peu plus de diversité dans la palette des émotions ne m'aurait pas non plus déplu... d'autant qu'on sent bien que le groupe n'est pas monolithique.
Bref cette limite n'est pas vraiment un problème, car le groupe assure sacrément quand ils enclenchent la cinquième. Les riffs, inspirés (et bien qu'avec un petit goût de déjà vu) démontrent d'une véritable recherche et d'une grande maîtrise technique. Le batteur, bien que n'étant pas non plus un "nettoyeur forcené de toms", assure dans ses grooves et dans les mises en place. Le son est plutôt bon, mais manque un peu par moments d'une certaine grosseur et d'une abrasivité qui est habituellement de mise dans ce style... mais bon, encore une fois, le groupe se démarque de ses camarades et assume sa personnalité marquée.
Certains parlent de "Spazzcore" pour définir le style du groupe. C'est un terme plutôt sympa et qui définit plutôt bien une des facettes du groupe... mais les Rolo sont trop complexes pour se laisser enfermer dans des définitions... aussi "poétiques" qu'elles soient. L'évolution du groupe n'est certainement pas arrivée à son terme mais gageons que ce qu'ils proposent, est d'ores et déjà très intéressant et qu'au travers de ces nouvelles scènes, les groupes sans complexes comme Rolo Tomassi, assurent une certaine pérennité du rock n'roll... celui qui se moque des conventions.


Rédigé par : pamalach | 14/20 | Nb de lectures : 13136