Ce qui est remarquable dans la discographie des Polonais, ce n’est pas tant qu’ils aient ouvert leur trilogie conceptuelle et introspective intitulée "Reality Dream" sur un chef-d’œuvre ("Out Of Myself") et qu’ils la concluent avec un "Rapid Eye Movemen"t plus abouti encore. Non, ce qui impressionne, c’est qu’en 3 albums seulement, Riverside a d’ores et déjà marqué au fer rouge le rock/métal progressif de ce début de 21ème siècle alors que d’autres, historiquement plus anciens ne parviennent toujours à s’extraire de la masse même après 10 ans d’activité et une kyrielle d’albums.
A l’inverse, tout en évoquant quelques pointures de la scène à laquelle on le raccroche immanquablement, Duda et sa bande ont su imposer un style propre, une identité apte à les différencier de la concurrence. Immédiatement et sans possibilité de les confondre. Une sacrée performance sur une scène où le clonage outrancier semble s’être instauré sans le moindre complexe.
De ce fait et bien qu’incorporant des éléments connus, l’atmosphère, le son, la voix Riverside sont incomparables. Les influences multiples allant de Pink Floyd à Opeth en passant par P.Tree et Marillion pour l’essentiel sont si bien digérées qu’elles ne soufrent d’aucune faiblesse. Enfin, ça c’est ce que pense les kronikeurs imbus d’eux-mêmes et de leur savoir. Pour faire court, le spectre de ces influences s’étend de l’électro au death metal.

Que dire donc de "Rapid Eye Movement" (REM pour aller plus vite) troisième volet des pérégrinations internes au cœur même de nos tourments intimes ? Que du bien, vous vous en doutez. Non par suivisme, parce qu’il est de bon ton d’encenser la formation polonaise. Je n’ai pas comme certains pris le train en marche et je me considère comme un inconditionnel de la première heure. Sans exagération aucune, Riverside est actuellement (avec Opeth et P.Tree) le seul groupe capable de satisfaire mes appétits du moment. Il possède en lui tous les ingrédients susceptibles de contenter ces aspirations pleinement comblées par ce troisième opus.
Aspirations simples, possiblement partagées par un grand nombre d’entre vous et qui peuvent se résumer à ceci: puissance des riffs allant parfois jusqu’à une certaine sauvagerie - habilement domptée - finesse et douceur capable de vous arracher des soupirs à défauts de larmes - à moins que vous ne soyez d’une extrême sensibilité. Le tout dominé par une voix, LA VOIX qui transcende la musique dans son essence même.

Mais peut-être se trouvera-t-il parmi vous des esprits chagrins qui estimeront que ce troisième album est dénué de l’intensité de ses devanciers. Il n’en est rien. "Rapid Eye Movement" (qui n’est pas un clin d’œil mais le geste automatique, le réflexe, l’imperceptible mouvement de paupière qui survient de manière incontrôlable lors du sommeil) possède en lui tous les critères décrits plus, en somme, la quintessence de l’art de son créateur. Je dis « son » et non pas « ses » car, sans dénigrer les autres protagonistes, que serait Riverside sans Duda ? Dans le même ordre d’idées, songez à un Porcupine Tree sans Wilson, un P.O.S sans Gildenlow ou à un Opeth sans Ackerfeld. Des groupes certes intéressants (!) mais dénués de la parcelle de génie qu’induit la présence de telles individualités et qui les ont fait se distinguer parmi la multitude.

Alors acmé du style ? Oui parce qu’intelligemment diversifié et construit. Si vous suivez le groupe depuis O.M.S, vous n’aurez certes pas la même surprise mais vous prolongerez un plaisir savoureux. Si vous les découvrez avec R.E.M, vous risquez de rejoindre très rapidement le clan des « addicts ».
Illustration avec "Beyond The Eyelids" : après une intro chorale aérienne et déjà très prenante (7min58s), voici du progressif rentre-dedans et typique de quoi accrocher immédiatement l’oreille du quidam; puis le monstrueux, sombre et hypnotique "02 Panic Room" (5min29s) -mon préféré- sa basse très en avant, sa rythmique pachydermique, sa filiation « orientalisante » avec le "Kashmir" de Led Zeppelin et son final surprenant, tout en lenteur; intimiste aussi avec "Rainbow Box" (3min37s) ou le magnifique "Through The Other Side" (4min06s), atmosphérique sur "Schyzophrenic Prayer" (4min21s) ou "Embrionic" (4min10s); et que dire des masterpieces que sont "Parasomnia" (8min10s) ou "Ultimate Trip" (13min13s) ? Et bien ce sont des masterpieces avec tout ce qu’il faut de puissance, de soli étirés et de vocaux déchirants ayant pour pendant le "Second Life Syndrome" du précédent album. Du grand Riverside, quoi !

Dans l’ensemble, le groupe est très satisfait de la production qui « péchait » selon lui sur les 2 précédents opus. Pour REM, il a eu le temps de peaufiner tous les détails et de proposer un opus très achevé. Le concept, assez flou au départ, s’est peu à peu préciser au fil des albums. On en avait toutefois bien perçu les contours basés sur la quête de soi d’un homme seul qui évolue au fil du temps. Chacun des trois albums personnifiant cette évolution. Pour bâtir ce concept quasi mathématique (neuf titres sur chaque album et des titres de 3 mots seulement), Duda avoue avoir pensé à la façon dont David Lynch construit ses histoires. Dualité des personnages voire schizophrénie ("Schizophrenic Prayer"), quête de rédemption, peurs, recherche de protection. Par exemple, le titre "02 Panic Room", lui, a été inspiré par le jeu Silent Hill 4. Cette « Panic Room » est à la fois un piège où personne n’entend vos cris, vos appels. Mais elle peut aussi s’avérer être un abri, un havre de paix qui protège des agressions extérieures. C’est un lieu clos d’où l’on peut accéder à d’autres mondes cauchemardesques peuplés de monstres sans que ceux-ci ne puissent vous atteindre. Il y aurait encore beaucoup à dire sur la "Reality Dream Trilogy" mais je vous laisse chercher sur le net les différentes interviews du groupe.

Depuis la sortie de "Rapid Eye Movement", je me suis repassé l’intégralité de leur discographie, histoire de m’imprégner pleinement du concept. C’est une expérience et un parcours fascinant. Et s’il pousse à l’introspection de par les thèmes abordés, s’il côtoie souvent des univers hallucinés, il invite également au voyage et à la rêverie.
Je m’arrêterai plus particulièrement sur les EP ou mini albums qui n’ont pas eu de kro dans VS. C’est le cas de "Voices In My Head" qui contient 5 inédits nous montrant un versant intimiste et atmosphérique voire trip hop des plus intéressants. Pour les trois premiers titres - Us – 2min33q - Acronym Love – 4min45s, l’ombre de P.Tree est très présente surtout sur l’énigmatique "Dna ts. Rednum or F. Raf" – 7min20s.
Le EP "Conceiving You" vaut pour son titre éponyme, véritable perle pop rock digne des plus grands mais également pour le majestueux "I Turned You Down", son beat Floydien, son chorus de guitare où la voix de Duda fait encore et toujours des merveilles. Enfin le troisième et dernier titre au nom évocateur : « The Piece Reflecting The Mental State Of One Of The Members Of Our Band ». Un programme à lui tout seul.
Au chapitre des surprises le EP "Panic Room" sorti en avant-première de R.E.M et qui, outre le single d’où il tire son nom, contient également et une nouvelle fois un hommage implicite au Grand Floyd sur le titre "Back To The River". Entièrement instrumental, le final reprend avec précision le thème de "Shine On You Crazy Diamond". Riverside semble particulièrement apprécier ce titre puis qu'il l’a repris en partie (5min29s) en 2006 sur le live non officiel "Live At Nearfest". Encore des frissons.

Voilà, le chapitre est clôt. Momentanément.
Les années 90 ont vu l’explosion d’un genre - le métal progressif - et d’un groupe phénomène. En tant que fan de Dream Theater, je pense pouvoir affirmer que le groupe qui a le plus aidé ce sous-genre du métal à solidifier durablement ses fondations et à obtenir reconnaissance et respect en s’ouvrant largement vers de multiples horizons est sans conteste… Pain Of Salvation !
Les années 2000 seront-elles dominées par Riverside ? Peut-être, sans doute maintenant que le groupe se voit affublé du statut « d’incontournable » mais ce n’est pas certain. La concurrence pousse au train et les anciens n’ont peut-être pas fini de nous étonner. Quoi qu’il en soit, ce que l’on attend avec impatience (et aussi une certaine fébrilité) c’est d’apprécier comment le groupe polonais va passer le cap et ouvrir cette nouvelle ère enfin débarrassé d’un concept tout aussi ambitieux qu’exigeant pour, pourquoi pas, laisser vivre sa musique des expériences différentes.
Une évolution - vous vous en doutez - que VS va suivre bien évidemment de très près, au microscope…


Rédigé par : Karadok | 18/20 | Nb de lectures : 12106