Dans le biotope bariolé du metal extrême hexagonal, les groupes sacrifiant aux circonvolutions fleuries de notre belle langue maternelle forment une catégorie marginale. On peut avancer diverses raisons à ce rejet, il ressort surtout que l’usage du français ne passe pas pour être très crédible dans le but d’invoquer des propos blasphématoires. Retentum Curiae comptent parmi les rares groupes à n’avoir cure de cette fatwa linguistique tacite, et ne rencontrent pas la moindre inhibition à décliner leur bile dans un vocabulaire accessible à tout un chacun de Brest à Colmar et de Porto-Vecchio à Wallon-Cappel… On n’en ressort pas forcément plus éclairé, mais force est de constater que Retentum Curiae s’y gagnent déjà un certain capital sympathie, d’autant que le résultat à l’oreille est très loin du ridicule. Mais trève d’exception culturelle, il y a également de la musique sur ce CD (incroyable, non ?) et c’est en priorité à cela que va se mesurer la valeur du groupe. « Au Nom de la Bête » opère partiellement comme une cure de jouvence, puisque ses guitares baveuses et perçantes nous font retomber en plein dans un chaudron thrash 80’s qui faisait passer même le Metallica de l’époque pour le chantre absolu du mainstream. Feu de riffs bien secs à volonté dans toutes les directions, maltraitance de batterie sommaire mais résolue en soutien, on pense par moments au vieux Destruction mais les inflexions familières du chant, ainsi que le jeu rapide et sans chichi du premier guitariste, assez personnel pour réclamer son copyright, se chargent de faire flotter l’étendard Retentum Curiae sur la musique, ce n’est pas la moindre des réussites. Pour revenir à cette guitare endiablée, les doigts ont à peine le temps d’effleurer une corde qu’ils sont déjà braqués vers la suivante en pensant très fort à celle d’après, si bien que c’est surtout en se concentrant sur la basse qu’on reconnaît aux morceaux une colonne vertébrale. Quelque part c’est quand même plus élaboré que ces groupes qui jouent à quitte ou double sur la rythmique en espérant que le synthé et les effets feront le reste… En définitive la seule chose qui, hormis des lyrics (apparemment) très premier degré, vienne justifier de l’étiquette de « black »/thrash reste le chant, bramé au possible mais encore suffisamment distinct pour permettre de capter aux vol quelques mots, voire - à l’occasion - quelques phrases. Pour le reste c’est avoine et décoffrage, une dépense d’énergie totale qui doit prendre toute sa dimension en live, ambiance et folklore adjacent à l’appui. « Au Nom de la Bête » ne laisse pas grand chose à désirer dans le genre qu’il représente, même s’il laisse traîner un petit arrière-goût désuet qui, certes, devrait charmer une petite frange nostalgique du public, mais justement : une petite frange. J’ai l’impression qu’il existe des groupes qui manient le revival old school de manière tout aussi fidèle mais plus souple, et arrivent ainsi à l’intégrer de façon optimale dans un contexte musical plus efficace - je pense à Unholy War, pour rappel ma petite botte secrète de 2003 pour les démos, qui unit à la perfection un son délicieusement primitif avec une musique hargneuse et parfaitement « actuelle ». Retentum Curiae, pour leur part, donnent un peu trop l’impression d’avoir été décongelés après vingt ans de cryogénie. Il faudrait leur laisser le temps de s’acclimater à l’air ambiant, mais dans une scène où l’on oublie souvent plus vite que l’on découvre, la quête d’un deal intéressant coûtera peut-être davantage que toute leur bonne volonté.



Rédigé par : Uriel | 3/5 | Nb de lectures : 8377