RAISON D ÊTRE - Requiem for Abandoned Souls (Cold Meat Industry) - 16/01/2004 @ 15h26
« The Empty Hollow Unfolds » nous avait abandonnés sur un sinistre post-nucléaire sans retour, à la mort des hommes et à la domination dérisoire de résidus industriels livrés à eux-mêmes dans des océans de poussière toxique. Or si tout semblait fini en surface, si toute vie avait été éradiquée sous un soleil livide, il était nécessaire d’aller chercher en sous-sol la matière d’un nouvel enfantement. Descente en spéléo dans les viscères de l’ambient misérabiliste…
In Abandoned Places… Tout part d’une averse de cloches, un angelus acide et solitaire qui s’efface doucement à la minute pour finalement se confondre avec l’ouverture des arcades du sous-monde : le passage damnateur dans le vif du sujet. Il fallait ce générique d’entrée pour justifier d’un filigrane liturgique, après tout c’est un Requiem qui se profile. Et Peter Andersson commence à tresser ce qu’il maîtrise désormais à la perfection : une alchimie morne et élusive à base de commotions sonores difformes, de froissements de tôle intimidants et d’un constant vrombissement tectonique qui alourdit la poitrine aussi efficacement qu’un rotor de Spitfire. Le tout est chevillé par la progression de la voix centrale, non plus la retraite des claviers éthérés comme autrefois, mais une étrange litanie simili-orientale au son d’une sorte de flûte hichiriki diminuée de plusieurs octaves. L’instrument quel qu’il soit – scrupuleusement étudié – confère à la scène son allure processionnaire ainsi qu’une couleur insistante de sable délavé. Fausse impression de sérénité figée dans la rocaille des siècles : c’est un univers suranné et piégeux que l’on pénètre. C’est la découverte, dans un mutisme religieux, des vestiges d’une vie ancienne dans des profondeurs que l’on n’aurait jamais soupçonnées vivables. Lovecraft en aurait fait l’antre d’une malédiction dormante, on se contentera d’y respirer à pleins poumons ce que Raison d’Être a produit jusqu’ici de plus angoissant tout en donnant à l’adjectif « dépouillé » une enveloppe artistique factuelle. Et à la toute fin de ces huit premières minutes, les collisions métalliques se rapprochent soudainement, quelque chose rôde…
The Shadow of a Soul… L’ombre d’une âme, car l’âme est naufragée. La première rencontre avec l’une des créatures humanoïdes qui peuplent cette antichambre de l’abysse. L’une de ces « âmes abandonnées » auxquelles Raison d’Être dédie son ouvrage. Le mot « rencontre » est cependant très optimiste, car la pauvre chose n’a plus la faculté de ressentir les présences, elle ne peut plus que traîner de voûte inégale en paroi spongieuse sa chair meurtrie à laquelle des restes de haillons restent collés par la putrescence. C’est sa marche hésitante et pitoyable que capture la musique, un monument de mélancolie désespérée à deux synthés presque inertes, l’un brise funeste, l’autre oxygène, ponctués par des secousses sourdes dont l’écho indique que l’on se risque toujours plus bas, sur les traces instinctives de ce fantôme qui fut autrefois un semblable. 4’30 : un silence et c’est le choc. A force de s’enfoncer dans les ténèbres, le tunnel a fini par déboucher sur une haute salle centrale, nef de cathédrale version préhistoire, où convergent quantité d’excavations sans forme. Tout à coup ce n’est plus un, mais plusieurs dizaines de ces infortunés troglodytes qui hantent ce lieu maudit, divaguent où les portent leurs sens délabrés, se percutent pathétiquement, trébuchent et se relèvent sans se soucier de leur vis-à-vis, ou restent au sol pour se convulser dans l’écume jaunâtre qui exsude de leurs lèvres étoilées. Depuis combien de mois, d’années peut-être, dure leur inexprimable calvaire, l’humiliation de ne plus être des hommes ? Raison d’Être communique cette vision poignante par un soudain envol de chœurs monastiques opprimés dans un étau de distorsion ventrale. Cela ajouté au synthé qui conjure la dramatique de l’instant, et l’émotion empoigne au corps. Beaucoup de tact et un extraordinaire sens de l’évocation ; pour tout économe de mouvements et de notes qu’il soit, l’album est déjà en train de passer dans le sublime.
Disintegrates from Within… Grincements de métal, lente coulée de pierres en contrebas, crépitement de flammes stygéennes, chorale désincarnée condamnée à formuler une incantation malade à perpétuité… On ne sait plus trop où l’on est sur ce morceau, qui se veut le point d’activité culminant de l’album. Au choc de la révélation a succédé la collecte des informations sonores que recèle l’écoeurant purgatoire. On comprend aussi et surtout qu’il est plus sage de faire machine arrière et de laisser les « âmes abandonnées » affronter leur perte prochaine avec ce qui reste en elles de dignité – et le cauchemar pourchasse l’oreille comme la rétine jusqu’au retour vers la surface : un Requiem à contre-emploi, un mausolée musical sur mesure pour ceux qui vont mourir d’avoir voulu survivre.
Towards Desolation… Morceau qui porte son nom à merveille. Il consacre le reigne distant et oppressant des infra-gammes, jusqu’à un éclat de gong qui lance une oraison graduelle, imploration montée des profondeurs dont il est difficile d’exclure toute menace. La flûte (qui n’en est pas une, mais encore une fois je suis en peine de décrire avec certitude la provenance de cette sonorité pleine de douleur) resurgit de son sommeil et dès lors ne cesse plus de cheminer péniblement en arabesques lascives, évoquant un vieux serpent qui cherche à se dresser en majesté mais retombe tragiquement au sol à chaque ondulation de trop. Le rendu est particulièrement étouffé, comme si l’enregistrement avait pris place plusieurs galeries en surplomb de la scène. Quelques fanons de chaînes résonnent dans le lointain à la façon d’une harpe mécanique de circonstance, mais là encore on est loin des fracas industriels très proéminents d’un « The Empty Hollow Unfolds », ici les sons sont dilués à l’extrême et il faut fixer son audition sur la durée pour capter tous les fragments du puzzle. Et c’est tout ce qui fait le Raison d’Être millésime 2003 : un peu moins de tout pour beaucoup plus de suggestif. Les clefs sont remises à l’auditeur pour qu’il développe ses propres intuitions à l’aide de l’ambiance générale et des indices flous disséminés ici et là.
Becoming the Void of Nothingness… Une fenêtre se referme sur le gouffre encore béant mais le traumatisme de l’expérience est gravé pour de bon. Contrairement à ce qu’il pratiquait sur ses albums précédents en guise d’ouverture finale / contraste, Peter Andersson se refuse ici à laisser fuir la moindre goutte d’espoir. On se retrouve délaissé dans une mer de silence comme au sortir d’un rêve agité, après un dernier aparté lancinant de cette flûte maudite, toujours plus grave, toujours plus enivrante… « C’est si beau qu’on a peine à croire que c’est Peter Andersson qui en est à l’origine », dixit le label Cold Meat Industry lui-même, commentaire peut-être un peu ambigu (c’est censé être un compliment ?) mais qui, si l’on zoome sur le raisonnement, met le doigt exactement sur l’argument névralgique : Raison d’Être jusque là avait enchaîné les albums référence dans le domaine du dark ambient/atmosphérique (voire du bruitiste pour « The Empty Hollow Unfolds »), des albums qui questionnaient l’auditeur en lui proposant de se chercher une conscience parallèle à l’épreuve de paysages sonores troublants faisant appel à des repères allusifs de mise en condition cinématographique (les chants grégoriens, les cascades d’acier, etc.) ; Raison d’Être aujourd’hui franchit le terre-plein métaphysique pour imposer un véritable phénomène d’esthétisme pur, le drainage méthodique de son style et l’affinement du design mélodique ont accompli ce à quoi les collages les plus émérites ne peuvent prétendre : la création d’un son idiomatique. Et la conséquence : Raison d’Être ne se contente plus de mener le peloton, il réussit à s’en échapper et à accentuer son avance de plusieurs encablures avec un très grand disque qui enfin anéantit la barrière normative entre le dark ambient et la « musique ».
In abandoned places, the shadow of a soul disintegrates from within towards desolation, becoming the void of nothingness… Cinq titres qui finissent par s’enchaîner en une phrase, symbole de ces atmosphères en suspension, d’instants sans témoin qui s’étirent dans l’infini et pourtant se résument en un souffle. Là-bas, en bas, hors d’atteinte des derniers feux d’un monde démissionnaire, les murs suintant une humeur sans âge voudraient parler de ce dont ils se souviennent, mais comment lorsque même l’encre d’une ombre leur est interdite ? Les vents souterrains s’engouffrent dans des galeries interminables aux décombres viciés, et y éteignent à jamais toute trace de mémoire. La présence humaine n’est plus qu’une anecdote, une poignée de larves miséreuses, presque aveugles, impotentes, à la peau blanchie par l’obscurité éternelle, des dépouilles en sursis détruites par leur passé, accablées par leur condition présente, trop faibles pour envisager un avenir au-delà de l’épuisement de leurs ultimes réserves de subsistance… La perception de leur dégénérescence devient au bout d’un temps presque physique, à mesure que l’on prend conscience que leur destin ne verra plus d’autre événement que celui d’errer sans but dans ces catacombes traîtres qui de refuge salvateur sont devenues tombeau à retardement. Quelle séquelle Peter Andersson pourra-t-il bien donner à un tel hallali, qui lui permettrait de pousser son concept encore plus avant tout en contournant le recours fatal au silence absolu ?
Bien sûr on peut écraser une larme en pensant qu’avec « Requiem for Abandoned Souls », le schisme avec le Raison d’Être mystique et symphonique des premiers albums est définitivement consommé. Malgré tout, comme renier son bonheur lorsqu’un menu affiche à foison tous les ingrédients nécessaires à se requinquer le moral dans les moments de grande détresse… Absence. Déliquescence. Ruine. Mort. Ou comment laisser naître et enfler une fascination intense devant l’oracle d’un néant auquel personne, pour tout l’or du monde, ne souhaiterait livrer sa chair…
(NB : l’album est disponible avec cinq pochettes différentes, toutes plus glauques et désolées les unes que les autres. Choisissez celle qui vous sied le mieux via http://www.coldmeat.se)
Rédigé par : Uriel | 18/20 | Nb de lectures : 8679
euh, j'ai essayé avec un logiciel de traduction Uriel - français / français - Uriel, ben ça n'a rien donné ! Il a littéralement explosé !
Eh Uriel, y a-t-il un chroniqueur comme toi dans le rap ?
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In Abandoned Places… Tout part d’une averse de cloches, un angelus acide et solitaire qui s’efface doucement à la minute pour finalement se confondre avec l’ouverture des arcades du sous-monde : le passage damnateur dans le vif du sujet. Il fallait ce générique d’entrée pour justifier d’un filigrane liturgique, après tout c’est un Requiem qui se profile. Et Peter Andersson commence à tresser ce qu’il maîtrise désormais à la perfection : une alchimie morne et élusive à base de commotions sonores difformes, de froissements de tôle intimidants et d’un constant vrombissement tectonique qui alourdit la poitrine aussi efficacement qu’un rotor de Spitfire. Le tout est chevillé par la progression de la voix centrale, non plus la retraite des claviers éthérés comme autrefois, mais une étrange litanie simili-orientale au son d’une sorte de flûte hichiriki diminuée de plusieurs octaves. L’instrument quel qu’il soit – scrupuleusement étudié – confère à la scène son allure processionnaire ainsi qu’une couleur insistante de sable délavé. Fausse impression de sérénité figée dans la rocaille des siècles : c’est un univers suranné et piégeux que l’on pénètre. C’est la découverte, dans un mutisme religieux, des vestiges d’une vie ancienne dans des profondeurs que l’on n’aurait jamais soupçonnées vivables. Lovecraft en aurait fait l’antre d’une malédiction dormante, on se contentera d’y respirer à pleins poumons ce que Raison d’Être a produit jusqu’ici de plus angoissant tout en donnant à l’adjectif « dépouillé » une enveloppe artistique factuelle. Et à la toute fin de ces huit premières minutes, les collisions métalliques se rapprochent soudainement, quelque chose rôde…
The Shadow of a Soul… L’ombre d’une âme, car l’âme est naufragée. La première rencontre avec l’une des créatures humanoïdes qui peuplent cette antichambre de l’abysse. L’une de ces « âmes abandonnées » auxquelles Raison d’Être dédie son ouvrage. Le mot « rencontre » est cependant très optimiste, car la pauvre chose n’a plus la faculté de ressentir les présences, elle ne peut plus que traîner de voûte inégale en paroi spongieuse sa chair meurtrie à laquelle des restes de haillons restent collés par la putrescence. C’est sa marche hésitante et pitoyable que capture la musique, un monument de mélancolie désespérée à deux synthés presque inertes, l’un brise funeste, l’autre oxygène, ponctués par des secousses sourdes dont l’écho indique que l’on se risque toujours plus bas, sur les traces instinctives de ce fantôme qui fut autrefois un semblable. 4’30 : un silence et c’est le choc. A force de s’enfoncer dans les ténèbres, le tunnel a fini par déboucher sur une haute salle centrale, nef de cathédrale version préhistoire, où convergent quantité d’excavations sans forme. Tout à coup ce n’est plus un, mais plusieurs dizaines de ces infortunés troglodytes qui hantent ce lieu maudit, divaguent où les portent leurs sens délabrés, se percutent pathétiquement, trébuchent et se relèvent sans se soucier de leur vis-à-vis, ou restent au sol pour se convulser dans l’écume jaunâtre qui exsude de leurs lèvres étoilées. Depuis combien de mois, d’années peut-être, dure leur inexprimable calvaire, l’humiliation de ne plus être des hommes ? Raison d’Être communique cette vision poignante par un soudain envol de chœurs monastiques opprimés dans un étau de distorsion ventrale. Cela ajouté au synthé qui conjure la dramatique de l’instant, et l’émotion empoigne au corps. Beaucoup de tact et un extraordinaire sens de l’évocation ; pour tout économe de mouvements et de notes qu’il soit, l’album est déjà en train de passer dans le sublime.
Disintegrates from Within… Grincements de métal, lente coulée de pierres en contrebas, crépitement de flammes stygéennes, chorale désincarnée condamnée à formuler une incantation malade à perpétuité… On ne sait plus trop où l’on est sur ce morceau, qui se veut le point d’activité culminant de l’album. Au choc de la révélation a succédé la collecte des informations sonores que recèle l’écoeurant purgatoire. On comprend aussi et surtout qu’il est plus sage de faire machine arrière et de laisser les « âmes abandonnées » affronter leur perte prochaine avec ce qui reste en elles de dignité – et le cauchemar pourchasse l’oreille comme la rétine jusqu’au retour vers la surface : un Requiem à contre-emploi, un mausolée musical sur mesure pour ceux qui vont mourir d’avoir voulu survivre.
Towards Desolation… Morceau qui porte son nom à merveille. Il consacre le reigne distant et oppressant des infra-gammes, jusqu’à un éclat de gong qui lance une oraison graduelle, imploration montée des profondeurs dont il est difficile d’exclure toute menace. La flûte (qui n’en est pas une, mais encore une fois je suis en peine de décrire avec certitude la provenance de cette sonorité pleine de douleur) resurgit de son sommeil et dès lors ne cesse plus de cheminer péniblement en arabesques lascives, évoquant un vieux serpent qui cherche à se dresser en majesté mais retombe tragiquement au sol à chaque ondulation de trop. Le rendu est particulièrement étouffé, comme si l’enregistrement avait pris place plusieurs galeries en surplomb de la scène. Quelques fanons de chaînes résonnent dans le lointain à la façon d’une harpe mécanique de circonstance, mais là encore on est loin des fracas industriels très proéminents d’un « The Empty Hollow Unfolds », ici les sons sont dilués à l’extrême et il faut fixer son audition sur la durée pour capter tous les fragments du puzzle. Et c’est tout ce qui fait le Raison d’Être millésime 2003 : un peu moins de tout pour beaucoup plus de suggestif. Les clefs sont remises à l’auditeur pour qu’il développe ses propres intuitions à l’aide de l’ambiance générale et des indices flous disséminés ici et là.
Becoming the Void of Nothingness… Une fenêtre se referme sur le gouffre encore béant mais le traumatisme de l’expérience est gravé pour de bon. Contrairement à ce qu’il pratiquait sur ses albums précédents en guise d’ouverture finale / contraste, Peter Andersson se refuse ici à laisser fuir la moindre goutte d’espoir. On se retrouve délaissé dans une mer de silence comme au sortir d’un rêve agité, après un dernier aparté lancinant de cette flûte maudite, toujours plus grave, toujours plus enivrante… « C’est si beau qu’on a peine à croire que c’est Peter Andersson qui en est à l’origine », dixit le label Cold Meat Industry lui-même, commentaire peut-être un peu ambigu (c’est censé être un compliment ?) mais qui, si l’on zoome sur le raisonnement, met le doigt exactement sur l’argument névralgique : Raison d’Être jusque là avait enchaîné les albums référence dans le domaine du dark ambient/atmosphérique (voire du bruitiste pour « The Empty Hollow Unfolds »), des albums qui questionnaient l’auditeur en lui proposant de se chercher une conscience parallèle à l’épreuve de paysages sonores troublants faisant appel à des repères allusifs de mise en condition cinématographique (les chants grégoriens, les cascades d’acier, etc.) ; Raison d’Être aujourd’hui franchit le terre-plein métaphysique pour imposer un véritable phénomène d’esthétisme pur, le drainage méthodique de son style et l’affinement du design mélodique ont accompli ce à quoi les collages les plus émérites ne peuvent prétendre : la création d’un son idiomatique. Et la conséquence : Raison d’Être ne se contente plus de mener le peloton, il réussit à s’en échapper et à accentuer son avance de plusieurs encablures avec un très grand disque qui enfin anéantit la barrière normative entre le dark ambient et la « musique ».
In abandoned places, the shadow of a soul disintegrates from within towards desolation, becoming the void of nothingness… Cinq titres qui finissent par s’enchaîner en une phrase, symbole de ces atmosphères en suspension, d’instants sans témoin qui s’étirent dans l’infini et pourtant se résument en un souffle. Là-bas, en bas, hors d’atteinte des derniers feux d’un monde démissionnaire, les murs suintant une humeur sans âge voudraient parler de ce dont ils se souviennent, mais comment lorsque même l’encre d’une ombre leur est interdite ? Les vents souterrains s’engouffrent dans des galeries interminables aux décombres viciés, et y éteignent à jamais toute trace de mémoire. La présence humaine n’est plus qu’une anecdote, une poignée de larves miséreuses, presque aveugles, impotentes, à la peau blanchie par l’obscurité éternelle, des dépouilles en sursis détruites par leur passé, accablées par leur condition présente, trop faibles pour envisager un avenir au-delà de l’épuisement de leurs ultimes réserves de subsistance… La perception de leur dégénérescence devient au bout d’un temps presque physique, à mesure que l’on prend conscience que leur destin ne verra plus d’autre événement que celui d’errer sans but dans ces catacombes traîtres qui de refuge salvateur sont devenues tombeau à retardement. Quelle séquelle Peter Andersson pourra-t-il bien donner à un tel hallali, qui lui permettrait de pousser son concept encore plus avant tout en contournant le recours fatal au silence absolu ?
Bien sûr on peut écraser une larme en pensant qu’avec « Requiem for Abandoned Souls », le schisme avec le Raison d’Être mystique et symphonique des premiers albums est définitivement consommé. Malgré tout, comme renier son bonheur lorsqu’un menu affiche à foison tous les ingrédients nécessaires à se requinquer le moral dans les moments de grande détresse… Absence. Déliquescence. Ruine. Mort. Ou comment laisser naître et enfler une fascination intense devant l’oracle d’un néant auquel personne, pour tout l’or du monde, ne souhaiterait livrer sa chair…
(NB : l’album est disponible avec cinq pochettes différentes, toutes plus glauques et désolées les unes que les autres. Choisissez celle qui vous sied le mieux via http://www.coldmeat.se)
Rédigé par : Uriel | 18/20 | Nb de lectures : 8679