RACHEL'S - Systems/Layers (Quarterstick Records) - 18/11/2003 @ 09h21
2003 est une année faste pour le metal, chacun aura pu en faire le constat appliqué à son ou ses genres de prédilection (même Shaka a ressorti ses portes-jarretelles à fourrure rose du temps des premiers Doro, c’est dire !). Mais si l’on risque une oreille hors du territoire réservé aux crinières luxuriantes et aux grosses guitares, on se rend compte que c’est la fécondité musicale dans son ensemble qui connaît un baby-boom caractérisé, et en particulier les musiques dites inclassables que l’on regroupe par commodité sous l’appellation de post-rock. De ce côté là ça pète carrément le feu : la soif de nouveaux paradigmes et l’influence grandissante des courants néo-contemplatifs ont rameuté des disciples à la pelle, à l’instigation des Godspeed You Black Emperor! et autres Mogwaï qui ont dernièrement pulvérisé la bulle de confidentialité où étaient jusque là verrouillés une poignée d’âmes incomprises avec leurs expérimentations jugées opaques voire hérétiques, et dans l’absolu dissuasives. Rachel’s de Chicago ne sont pas les derniers venus sur cette scène polycéphale, eux qui manœuvrent depuis des années entre musique de chambre minimaliste et plastique post-moderne, voire coldwave/indie, mais ils sont parmi les plus susceptibles de profiter de l’aspiration ascendante pour rallier une nouvelle notoriété. Parvenu à une étape charnière de sa carrière, cet ensemble de sept musiciens discrets s’il en est a décidé d’effeuiller quelque peu son costume énigmatique afin de nous donner leur œuvre la plus humaine à ce jour, et de beaucoup la plus lyrique exception faite du presque néo-romantique « Music for Egon Schiele » où seuls le piano et les cordes frottées étaient du casting. Fidèles au principe de fusion des arts qu’ils s’appliquent à presque chaque album, Rachel’s ont enregistré ce « Systems/Layers » en collaboration avec une troupe théâtrale, et un projet de représentation scénique est actuellement à l’étude. Le fruit de cet input artistique élargi se retrouve dans un certain nombre d’extraits parlés, monologues ou dialogues, qui s’écoulent en surbrillance sur la musique ou meublent ses interruptions - autant de tranches de vie prises sur le vif qui rendent les morceaux plus familiers et offrent l’impression de flâner de personnage en personnage au gré des situations, comme si « Systems/Layers » matérialisait une ville et les subdivisions du tracklisting ses quartiers respectifs. Une forme d’ubiquité/intemporalité que l’on perçoit parfaitement dans la musique, toujours livrée aux structures coulantes et atypiques qui font alterner les instruments dans le rôle de la locomotive. Ainsi, si l’introduction de « Moscow in the Telephone » est confié à une paresseuse doublette stéréophonique faite d’une mer de claviers scintillants - quasi religieux - contre les arabesques d’un violon désorienté, le second titre rétablit rapidement le piano comme fil rouge contre-rythmique devant un filet de cymbales, avant que la composition ne prenne son essor vers des cieux harmoniques plus peuplés (violons en doublure du piano, percussions convulsives…). Le pendant filmique d’un tel titre pourrait être le suivant : de grand matin, un homme descend nonchalamment les marches d’une cage d’escalier, il ouvre la porte qui donne sur la rue, une explosion de lumière et de sons s’engouffre violemment par l’entrebâillement, l’homme met les mains dans les poches de son pardessus et se lance sur le trottoir, il devient un parmi la foule, l’objectif se recule et prend de la hauteur pour venir embrasser la ville et ses toits caressés par le soleil naissant. Un tel pouvoir de projection est une constante de l’album. Ainsi, le collage de courtes séquences rectilignes de « Arterial » évoque la synergie de routine et d’hyperactivité d’une matinée de bureau typique, impression corroborée par la collision hétéroclite de voix enregistrées qui sert de chute au morceau. Les timbales frénétiques de « Reflective Surfaces » résonnent comme une course-poursuite burlesque entre une mère et son enfant parmi les rayons d’un grand magasin. Les frictions cardiaques des violoncelles métalliques de « even/odd » seraient un augure de catastrophe, alors que le hululement à la fois grave et espiègle de la clarinette sur le très Européen « Esperanza » pourrait annoncer l’imminence du rideau crépusculaire que les violons ne tarderont pas à tirer sur le décor en muant graduellement leur mélodie enlevée en une traîne chagrinée, prolongée sur le court morceau suivant qui a logiquement tout les traits d’un nocturne. Et ainsi de suite… On peut voir la musique de Rachel’s de deux manières : soit comme une fausse complexité (qui véhicule des émotions directes et non-calculées), soit comme une fausse simplicité (qui masque un travail de synchronisation/positionnement d’une extrême minutie). Il n’est même pas rare que des bruitages non-musicaux récurrents et autres murmures de foule en sourdine viennent au front du mix suppléer la dimension semi-orchestrale des compositions et devenir partie motrice de l’évolution d’une scène, comme sur l’ingénieux « Unclear Channel » où un fin galbe de piano se contente de souligner un paysage de samples agencés comme un écran d’images défilantes - procédé fondamentalement théâtral. Puis, à l’orée du troisième tiers du disque, « Last Things Last » introduit une invitée inattendue en la personne de la chanteuse Shannon Wright qui vient écrire une présence inoubliable de son timbre berceur et mélancolique, le temps de ce titre aux arrangements sériels très sobres qui n’aurait pas dépareillé dans le répertoire du The Gathering 2003. Issu d’un savoir-faire exercé et d’une sensibilité inaltérée, « Systems/Layers » est de la trempe de ces albums qui peuvent conditionner l’humeur d’une journée entière et plus peut-être, car il ne fait aucun doute que n’importe qui pourra transposer les thèmes et les intuitions ci-gravés en soundtrack de ses propres perceptions… Dernier plus à distinguer : le soin apporté au packaging est bluffant, comme toujours chez Rachel’s. Si les précieux digisleeves à l’esthétique ténébreuse semblent définitivement appartenir au siècle dernier, le livret hyper fourni en informations et en montages photographiques conceptuels est là pour rappeler que la finition visuelle d’un album est l’un des premiers remparts (si ce n’est le premier) contre le piratage, tellement il est gratifiant de tenir entre ses mains un objet aussi admirable. Rachel’s c’est un peu comme si Alfred Schnittke rencontrait Jean-Christophe d’Arnell à un concert de Sigur Rós… En 19 études spontanées de lieux et d’atmosphères, nous voilà conviés à déambuler sans contrainte dans les galeries de ce musée à cœur ouvert où chaque courant d’air est un son, chaque écho de conversation une délicate intrusion dans un contexte passant, chaque ombre le stigmate d’une partition nuageuse et invisible.



Rédigé par : Uriel | 16,5/20 | Nb de lectures : 7620




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Commentaire
Borealis
Invité
Posté le: 18/11/2003 à 18h42 - (6198)
Ce groupe m'a l'air plutôt intéressant mais je ne le connais pas du tout ; quelques questions s'imposent donc pour permettre au néophyte que je suis d'en savoir un peu plus. Tu parles de violon, de piano, de violoncelle, de clarinette, de guitare acoustique ; ce côté acoustique est-il prédominant ou cela reste-t-il quand même très électrique? Et au niveau du rythme? Ca plane, ça remue, c'est mid-tempo?

En tout cas, rien que la phrase : "Rachel’s c’est un peu comme si Alfred Schnittke rencontrait Jean-Christophe d’Arnell à un concert de Sigur Rós… " me met l'eau à la bouche. Yum yum!!....

Uriel
Invité
Posté le: 20/11/2003 à 12h19 - (6212)
Salut Borealis,

ce qu'il faut savoir avec Rachel's, c'est qu'ils ont plus ou moins le cul entre deux chaises. En effet c'est l'orchestre de chambre qui en constitue le moteur, pourtant les fans de classique purs et durs risquent fort de faire la grimace... c'est aussi pour ca que je rechigne un peu à leur coller l'étiquette de "post-rock" auquel ils sont rattachés par défaut. En effet il n'y a pas de guitare électrique (sauf peut-être pour des effets qui m'échappent) et la guitare acoustique fait des apparitions très espacées. Il y a à peu près autant de techniques de composition que de morceaux, et lorsque les morceaux ont un côté rythmique, ce qui arrive fréquemment, c'est souvent un des instruments classiques qui endosse à la dérobée le rôle d'une la section rythmique "fictive" (cf.le piano, etc.). Bref, si les trois artistes cités te parlent et que tu peux te représenter une fusion approximative des trois (simple indication bien sûr, on pourrait en évoquer beaucoup d'autres), je pense qu'il n'y a aucun risque à essayer cet album, et les précédents...






Borealis
Invité
Posté le: 21/11/2003 à 18h27 - (6224)
Bien, je sais donc ce qu'il me reste à faire!... :-)

Stefan
Invité
Posté le: 21/11/2003 à 21h32 - (6230)
Dans la serie Soundtrack d'un film imaginaire c'est pas mal... mais il y a mieux... surtout si on va chercher vers les soundtracks de film reels...

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