« No grave is deep enough to keep us in chains »
 
Heureusement, dirais-je car il semblait bien difficile de négocier l’après "In The Nameless Dead" qui obtint la reconnaissance aussi bien critique que publique. Comment donner une suite à un tel chef-d’œuvre ? Comment éviter que la déception s'insinue chez les disciples ? La réponse est qu'il n'y en a pas vraiment et qu'il s'agit vraisemblablement d'une mission quasiment impossible. Il n'y avait pas pléthore de solutions. Soit les Irlandais poursuivaient sur leur lancée au risque de stagner et de proposer un "In The Nameless Dead Bis" forcément moins impressionnant, soit ils prenaient un chemin différent risquant au passage hypothéquer leur statut nouvellement acquis. Connaissant l'authenticité brute du combo, il était donc inconcevable de les voir arpenter le boulevard de leur succès telle une vieille péripatéticienne.

Ce nouveau Primordial arbore un visage plus abrupte, plus noir, c'est comme arpenter le granit rugueux des falaises irlandaises. Mais le bord de mer n'est pas seulement un bloc escarpé battu par la tempête, c'est aussi des instants paisibles où une légère brise marine vous caresse la joue où coule une simple larme. Cette nouvelle offrande est donc une terre de contrastes car jamais nos Irlandais n'ont proposé une musique aussi violente et en même temps aussi calme.

Mais je tiens à rassurer mon auditoire, on retrouve tout de même le style particulier du groupe. Le démarrage est là pour en attester avec cette lente montée au rythme lourd avec des arpèges typiques. Le rythme obsédant d'une galère où nous sommes des damnés de la terre rames à la main sauf qu'aujourd'hui les esclaves ont perdu tout espoir matérialisé par des trémolos plus acérés, plus Black. Le chant suit la même voie car Nemtheanga renoue par moments avec un style plus extrême et moins lyrique. De même, le deuxième sublime morceau (quel crescendo !) "Lain With The Wolf" bien que poursuivant dans le style épique et poignant caractéristique du groupe, surprend par quelques lignes mélodiques plus sombres et dépressives. Il y a aussi l'étonnant "The Black Hundred" qui est un morceau tout en agressivité avec des riffs étonnamment plus sombres et dissonants. Et si je vous dis que le batteur nous octroie même d'une partie blastée sur le troisième morceau.

En parlant de ça, il semble que la petite cure thermale obligatoire prescrite au batteur suite à un grammage d'alcool dans le sang trop important lors des concerts, fut profitable. Je crois que c'est tout simplement la meilleure prestation de Simon O'Laoghaire. En effet, ce dernier n'a jamais été aussi varié et rarement aussi tranchant. Il y a une sacrée niaque dans ce jeu alternant roulements de tonnerre, ritournelles martiales et donc même des blasts !
La prod tout en conservant son aspect naturel montre plus d'âpreté que d'ordinaire. Les guitares grésillent et leurs attaques sont franches se rapprochant plus nettement du Black. Il y a comme un vent de sécheresse, de rudesse dans ces riffs déchirants.

En opposition à toute cette noirceur, Primordial délivre les parties les plus calmes de leur carrière. Outre le fait qu'il soit à mi-parcours, "The Mouth Of Judas" se révèle être une véritable ballade irlandaise à la fois lancinante et langoureuse dynamisée par un break Folk d'inspiration celtique tout simplement magnifique. Le troisième titre étonnera aussi avec ses riffs très aériens. Le dernier titre s'engagera lui dans un Folk plus acoustique avant de s'aventurer dans des paysages plus atmosphériques. Une petite surprise nous attendra sur "God's Old Snake" via ce lead hispanisant. Et puis, il y a le morceau titre à l'amorce lancinante et déprimée qui prendra peu à peu de l'ampleur dans les méandres d'un Black/Folk très siècle dernier (j'ai pensé à Storm !) pour choir dans la complainte des trémolos.

Alors, chef-d'œuvre ou pas ?
C'était tout simplement impossible d'égaler la perfection du précédent. Je rapprocherais un peu ce nouvel album au "Storm Before Calm". En effet, l'un comme l'autre jette un œil vers leur passé plus brutal, plus Black. D'ailleurs, le sentiment éprouvé lors de cet album est sûrement le plus sombre, le plus désespéré de leur discographie. L'espoir de voir la chute de l'empire s'éloigne et la tombe devient l'unique refuge des opprimés. Alors qu'habituellement une mélancolie héroïque nous étreignait afin de nous exhorter au combat, ce nouvel opus lui nous plonge dans une sombre résignation où la révolte ne peut se finir qu'au cimetière. Malheureusement, la prise de risque n'est pas complètement récompensée.

Ainsi, il arrive de buter sur quelques longueurs notamment lorsque les riffs se montrent moins émouvants. Par exemple, la ballade placée en plein milieu n'était pas forcément une idée judicieuse surtout que cette dernière a un peu de mal à décoller. J'ai une fâcheuse tendance à décrocher arrivé à ce stade de l'album. De plus, le titre suivant est ce bloc d'agressivité ne permettant pas forcément une accroche salvatrice pour rattraper l'auditeur un peu perdu dans ces lignes sombres et répétitives.
Des défauts donc mais aussi des instants d'une force inégalable et surtout la satisfaction de voir que ce très grand groupe ne s'est pas laissé piéger par la réussite incroyable du précédent. Non, ils osent encore nous surprendre en revisitant leur histoire et leur style unique. Maintenant, le problème est qu'ils appartiennent dorénavant à cette catégorie rare des combos qui n'ont d'autres références et concurrence qu'eux-mêmes. Ils sont tout en haut de la montagne, complètement seuls, isolés du reste de la scène.
Une musique unique pour un groupe unique !

« And Isay to my people's master : beware of the thing that is coming, beware of the risen people, who shall take what ye would not give. »


Rédigé par : Dark Rabbit | 16,5/20 | Nb de lectures : 15640