C’est marrant la vie d’un chroniqueur. Parfois, comme le disait Dan Aykroyd dans SOS Fantômes (à chacun ses références merde !) « Il y a quelque chose qui fait chboum là-dedans !» : certaines chroniques s’écrivent presque d’elles-mêmes, sans effort, comme si tel ou tel disque avait une résonance immédiate. Mais parfois, c’est l’inverse : impossible de faire comme avec les autres, de peser le pour et le contre, d’utiliser les arguments de base, style la prod est comme ci, les morceaux sont comme ça etc. Non, les galettes qui nous font le plus miroiter le spectre de la page blanche sont celles dont l’impact est avant tout une histoire de ressenti, quelque chose qui tient presque plus de l’instinct et qui, par définition, est difficilement quantifiable. Or justement, Portal fait partie de ces foutues savonnettes sonores qui nous glissent entre les doigts à chaque fois qu’on croit les tenir fermement.

Initialement sortis en 2003 et 2007 respectivement et précédés d’un buzz grandissant, les deux albums de ce mystérieux groupe australien sortent aujourd’hui officiellement en Europe. Ceux qui auront cédé aux sirènes de l’import n’y trouveront aucun bonus et c’est presque tant mieux car bien que tournant chacun autour des trente-deux minutes seulement, ‘Seepia’ et ‘Outre’ accusent déjà une telle densité que le moindre ajout risquerait de les faire basculer dans l’indigeste pur et simple, no man’s land qu’ils frôlent d’ailleurs à maintes reprises sans jamais vraiment tomber dedans.

Alors Portal, c’est quoi ? Ben justement, c’est là le nœud du problème. Eux parlent d’horror death/black-metal, moi j’y verrais, en gros hein, un croisement entre Gorguts dernière époque, Bestial Warlust, Immolation et… Plein d’autres choses bizarroïdes. Il fut un temps Portal pratiquait sûrement déjà un style mutant alliant la théorie du chaos propre au war-metal à la dissonance de la frange la plus extrémiste du techno-death. Sauf que ces types bizarres, dont on ne connaît officiellement pas le nom et qui apparaissent sur scène habillés comme d’étranges sorciers venus d’ailleurs, ont dû à moment ou un autre franchir je ne sais quelle porte ouvrant sur je ne sais quelle dimension parallèle (merci de rajouter le générique de ‘La Quatrième Dimension’ pour l’ambiance, merci). Et depuis qu’elle résonne filtrée via ce médium d’un autre monde, leur musique s’amuse à défier toute logique. En fait écouter Portal, c’est comme voir quelqu’un dessiner sur une feuille de blanche un simple carré en apparence mais dont les coins refusent de faire un angle droit, défiant toute logique, une impression renforcée par de multiples références occultes ou littéraires (HP Lovecraft en tête) pointues. Le pire reste ‘Seepia’ car sa production fauchée enterre la batterie dans un magma de distorsion suffocant. Or même si la mise en scène sonore s’améliore sur ‘Outre’, c’est pour encore plus casser la boussole interne du pauvre auditeur. En fait, plus le ton s’éclaircit et moins tout cela a de sens. Et si magnanimes, ces êtres d’un autre monde daignent de temps en temps un riff percer clairement ce ciel noir gavé de nuages, c’est pour mieux en souligner le caractère malsain, comme s’il était extrait d’un 33 tours diffusé à la vitesse d’un 45 tours tout en tripotant la fonction ‘pitch’ pour le désaccorder encore plus. Tout cela brouille donc la perception, mais contribue à rendre tout ce joyeux bordel diablement intriguant, à condition de ne pas trop chercher à comprendre. A moins que tout cela ne cache une gigantesque fumisterie peut-être ? Joker.

Misérable lâche que je suis, je profite de ce statut de rééditions pour squeezer la case ‘note’ de cette chronique car j’aurais bien été emmerdé si j’avais dû jouer au petit prof avec ce Portal, comme vous l’avez compris, difficilement cernable. Ce qui est sûr, c’est que sur l’échelle de Richter de l’original et du bizarre, ces types-là sont haut placés. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’essayer c’est l’adopter mais pour une fois, il y a peu de chances que vous ayez jamais écouté quelque chose pareil…


Rédigé par : Olivier ‘Zoltar’ Badin | rééditions/ | Nb de lectures : 12615