Steven Wilson est un observateur attentif du monde qui l’entoure. Et c’est en assistant à une scène apparemment anodine de la vie de tous les jours – un accident de la route - que l’idée générale de "The Incident" a germé. « Il y avait un panneau avertisseur qui disait “police-accident” et tout le monde se tordait le cou pour tenter d’apercevoir ce qu'il se passait. Ensuite, j’ai soudain été frappé par le sens très détaché du mot « accident » (incident) et à son impact traumatique et destructeur sur les personnes concernées. Et j’ai aussitôt eu la sensation que l’esprit de la personne décédée dans l'accident était entré dans ma voiture et s’était assis à mes côtés. L’ironie d’une si froide expression et les dégâts considérables qu’elle entraîne m’ont interpellé et j’ai commencé à relever dans les médias d’autres « accidents » identiques. J’ai donc écrit sur l’extraction mouvementée d’une adolescente d’une secte du Texas, sur une famille qui terrorisait ses voisins ou à propos d’un corps flottant dans le cours d’une rivière et récupéré lors d’une partie de pêche mémorable etc. etc. Chaque chanson est écrite à la première personne et tente d’humaniser ces infos détachées. »

Voilà le cadre de "The Incident", pièce conceptuelle de 55min découpée en 14 tableaux et qui raconte comment une vie peut basculer en un quart de seconde.

Aborder un tel sujet annonce, vous vous en doutez, un univers sombre, surréaliste, un brin dépressif. Logique mais rien de nouveau sous le soleil voilé de Wilson qui continue l’exploration des malheurs et autres déconvenues de ses contemporains.

Quant à la musique, pas de doute, c’est du Wilson dans le texte. Mais, évidentes dès la première écoute cependant, 2 sensations gênantes émergent : l’aspect décousu et l’absence de réelles nouveautés. C’est du bon Wilson, certes, mais du connu, j’allais presque dire du commun. Nous ayant habitués à une évolution régulière de son style d’album en album, poursuivant une quête d’absolu, "The Incident" semble marquer le pas. Comme si le Maître avait voulu arrêter le temps sur une séquence de sa vie. Faire un zoom sur trois photos principales et immédiates: "In Absentia" (surtout), "Nil Recurring" (parfois) et "Insurgentes" (à de nombreuses reprises). C’est en effet autour de ce triptyque qu’il faut chercher le ton général de "The Incident".

Ce coup d’arrêt dans la progression par rapport aux précédentes productions peut engendrer une déception bien compréhensible ou, pour le moins une interrogation à l’heure du bilan. Fût-ce concernant une nouvelle œuvre de P.TREE. Eh bien oui ! Comme quoi, tout peut arriver. Certains ont eu le jeu de mot facile en désignant ce 10ème album comme « The Incident de parcours » dans la discographie des Anglais. Et même si cela est un peu abusif, désappointement et frustration sont au bien rendez-vous. Je pensais que cet album allait être « énorme » à tous points de vue. Je sentais Wilson dans une phase extrêmement riche de créativité. Et puis le thème annoncé et conceptuel, le format étendu (2 CD) pouvaient donner quelque chose de très très grand. Et la montagne accoucha d’une souris…

Voyons par le détail les motifs de cette déconvenue. Outre le phénomène de tautologie qui n’est pas qu’une impression, "The Incident" semble dénué de cohésion. Les 14 titres d’une durée inégale - de 1min27 ("Great Expectations") à 11min40 pour la version étendue de "Time Flies" - manquent de fluidité et parviennent difficilement à harmoniser l’ensemble. Et pour une fois, le binôme chéri « riffs énervés/phases acoustiques » est bien moins réussi que par le passé.

Bien sûr on le redit, la patte Wilson est bien présente et pris individuellement, certains titres - mais pas une majorité - sont excellents et conformes à ce que l’on attend de lui.

Par exemple, on appréciera la mélancolie qui se dégage de "Drawing the Line" (beaucoup moins son refrain énervant), la majesté chorale de "The Yellow Windows of the Evening Train" ou la phase expérimentale et planante au milieu de "Time Flies". Sur celui-ci, après un début assez conventionnel, P.Tree s’émancipe enfin du carcan « besogneux » d’autres compos beaucoup moins inspirées comme "Great Expectations" - "Kneel And Disconnect" - "The Séance". Ce sont là 3 pièces faciles peu en rapport avec le haut degré d’exigence auquel nous a habitués Maître Wilson.

Dans le même ordre d’idées, on peut ou non aimer "The Blind House". Mais, force est de constater qu’il n’apporte pas grand-chose de frais. Il n’est qu’un copié collé de l’architecture de "Blackest Eyes" : riffs électriques succédant à d’autres riffs de nature acoustique. Certes efficace mais déjà trop entendu. Même critique sur la forme pour "Time Flies" qui au demeurant est un bon morceau ; et si vous avez l’impression d’écouter "Trains", n’y voyez aucun défaut de vos organes auditifs. Car sur les 5 minutes environ d’intro et les 3 ou 4 qui ferment la marche il est le jumeau de son prédécesseur. Et il ne doit son originalité qu’à la fameuse partie centrale dont je vous ai parlé plus haut.

Autre renvoi à "In Absentia" décidément valeur refuge de circonstances, le morceau donnant son nom à l’album. Impossible que vous ne reconnaissiez pas un schéma identique à "Strip The Soul" ; guitares désincarnées, chants redoublés et ambiances blafardes.

Au registre des réussites je place d’emblée les dynamiques "Octane Twisted" et le déjanté "Circle Of Manias", réminiscence salutaire du court mais intense "Nil Reccuring".

Dans ce lot de récriminations mi-figue mi-raisin, y a-t-il au moins quelque chose à sauver ? Bien sûr. Même désenchanté, le fan lambda que je suis ne peut objectivement considérer "The Incident" comme un album complètement raté. De plus, si comme moi vous avez flashé sur le 7ème album des Anglais, vous allez largement y retrouver votre compte. Et après tout, "In Absentia" est un excellent cru qui de plus a marqué un bénéfique tournant dans leur style.

Le vrai problème (s’il doit y en avoir un) tient plutôt dans la sensation de désordre qu’induirait une construction hasardeuse dans la succession des titres. Or, il s’agit d’une œuvre conceptuelle et la moindre des exigences pour atteindre l’objectif indispensable de cohésion d’un tel projet, c’est précisément le savant mais délicat équilibre entre chaque phase dudit concept. Ici, on peut parler de demi échec. (Ce n’est qu’un avis personnel).

Que l’on se rassure toutefois ! Si "The Incident" déçoit par certains côtés, il possède tout de même une forte valeur ajoutée en tant qu’entité globale et j’en connais beaucoup qui auraient aimer « se fourvoyer » de la sorte. Servi par des musiciens aguerris et un sens aigu des arrangements de son géniteur, il trouvera à n’en pas douter grâce auprès de la majorité. Et à condition de lui en laisser le temps, je reste même persuadé qu’il finira par vaincre l’épreuve du temps. Nous verrons bien…

Quant au second CD, il est présenté comme complètement hors concept. Il est constitué de 4 titres de bonne facture sans pour autant atteindre la qualité du CD bonus d’"In Absentia" ou du mini "Nil Reccuring". Ma préférence va à "Bonnie The Cat" et son trip saccadé ou à la mélodie accrocheuse de "Remember Me Lover", 2 titres susceptibles de donner du relief à cette extension presque superflue.


Rédigé par : Karadok | 15/20 | Nb de lectures : 19947