Joli coup de pub pour le label américain. Comme c’est le cas pour Dream Theater, les Anglais ont rejoint RoadRunner, le nouveau refuge des formations en mal de reconnaissance. L’une et l’autre se sont plaintes du peu d’enthousiasme et d’implication de leurs anciens labels pour leurs derniers disques respectifs (Octavarium et Deadwing) et plus largement pour leur carrière. Normal tout ça finalement. Pour les grandes majors et leurs filiales, tout comme le rock prog, le métal – en tout cas celui-là - n’est pas vendeur, alors imaginez le métal prog !

Signer chez Roadrunner pour DT, pas de problème ! Sa présence est légitime car il s’agit bien d’un groupe de métal. Par contre, il peut sembler déplacé qu’un groupe plutôt estampillé rock prog atmo signe chez un label aussi marqué heavy. Mais à y regarder de plus près, pas vraiment. D’abord parce que depuis In Absentia, Porcupine Tree a nettement franchi le Rubicon et que, ce faisant, il s’est rallié une frange appréciable de fans dont les goûts sont aux frontières des genres. D’autre part, Steve Wilson, par ses récurrentes participations dans le milieu s’est taillé une excellente réputation. Demandez aux fans d’Opeth ce qu’ils en pensent…

Les 2 parties ayant l’air ravi du contrat qui les unit, voyons par quelles agapes s’est conclue pareille alliance.

Avec le recul, Wilson n’est qu’à demi satisfait de Deadwing! Il dit avoir fait trop de compromis dans sa production en tentant de ménager la chèvre et le chou, autrement dit, en offrant des titres directs et accessibles, d’autres plus ambitieux tout en essayant de préserver une dynamique de concept album. Ouais, bon, moi je veux bien mais c’est un peu pareil à chaque fois. Malgré le succès, on s’auto - flagelle ici ou là, on laisse entendre que ceci aurait pu être mieux mixé ou cela mieux arrangé… etc. !

Ça laisse songeur sur le degré d’exigence du personnage. Même si perso, je le trouvais plutôt réussi ce Deadwing, je veux bien croire qu’on puisse toujours mieux faire. Et ça veut donc dire que le prochain va être irréprochable à tous points de vue. En tout cas, c’est comme ça que je comprends les propos du leader de P.T. Pas vous ? Mais à vouloir trop bien faire ne risque -t’il pas d’étouffer spontanéité et fraîcheur ? Avec leur cortège de maladresses et de faiblesses qui font finalement partie intégrante de ses 2 paramètres? Souvenons-nous que « tout ce qui est excessif, est insignifiant. »

C’est sans doute pour cette raison que Fear Of A Blank Planet - autre concept album - se présente dans un format plus court (comme le dernier Marillion). Plus court, oui mais uniquement dans la durée (50’) car individuellement, les 6 titres s’ étalent de 5’07 pour My Ashes à 17’42 pour la suite Anesthetize.

Wilson annonçait un album plus prog et plus métal, réservant ses inspirations « pop rock sucrées» pour le très adapté Blackfield où il peut se laisser aller à la mélancolie et au léger. Après plusieurs écoutes de FOABP, ce fameux virage métal, entamé avec In Absentia et confirmé sur Deadwing n’est plus aussi évident qu’il n’y paraît. L’atmo a repris du poil de la bête.

Fear Of A Blank Planet, le 1er titre semble tout droit sortir des cessions du précédent. Il possède la même force, la même urgence dans l’exécution que Deadwing le titre, une construction et une architecture proche de Start Of Something Beautiful. Et la guitare y est tout aussi rageuse que lumineuse. La machine est donc bien lancée.

Pour contredire ce que je disais plus haut, Ashes nous fait glisser dans l’univers onirique de Blackfield et comme d’habitude, cette ballade aux arrangements sublimes et la voix de Wilson font mouche une nouvelle fois.

Anesthetize est la master piece de l’album. Avec 17 minutes, elle est depuis un bon moment déjà ce que PT a composé de plus long. Une pièce que l’on peut aisément diviser en 3 parties tant elles sont perceptibles dans leurs différences.
Souvenez-vous de Arriving Somewhere. Son intro qui monte en puissance, son passage musclé et sa conclusion comme un retour au source et sa fin en fading.

Anesthetize est sensiblement identique dans sa construction. Ce n’est pourtant pas l’introduction qui est la plus réussie. Elle manque de ce petit quelque chose qui nourrit l’impatience et fait monter la fièvre. On ne sent pas vraiment venir l’avalanche qui va suivre comme avec Arriving Somewhere.

La partie 2 ou centrale ( de 5’ à 12’).
Celle qui nous tombe sur la tête aux environs de la 5e minute est par contre exceptionnelle. Une nouvelle fois, Wilson nous montre son savoir faire en matière de métal prog de haut rang. Et l’occasion est belle de rendre une fois de plus un hommage appuyé au batteur - Gavin Harrison - qui fait parler la poudre pour donner à ce passage toute la puissance et l’énergie dont il est capable. Breaks, redoublements, double pédale, toute la panoplie y passe pour faire de cette partie 2 un MONUMENT de heavy prog ! Portnoy n’a qu’à bien se tenir, il a trouvé son maître !

L’autre surprise est la présence à la guitare d’Alex Lifeson de Rush. Pas identifiable sur le coup je vous l’accorde. Ceci pour nous rappeler que s’agissant de métal prog, le groupe canadien en est l’un des précurseurs incontestable. Un must du morceau et de l’album. Quels riffs, quelle péche ! Rarement P.Tree n’aura atteint un tel degré de puissance ! Ajouté à la prestation d’Harrison décrite précédemment, voilà sept minutes véritablement « monstrueuses » au sens patate !

Enfin la partie 3 ne se termine pas heureusement en fading. Si elle diminue d’intensité, elle ne perd pas en route toute émotion notamment grâce aux superbes arrangements vocaux et à une guitare tout en slide confirme le talent inégalable de son géniteur.

Sentimental est le titre le plus « lent » de l’album. Accords de piano et montée en gerbe d’une instrumentation douce mais bien présente. On pourrait se croire une nouvelle fois en contrée « Blackfieldienne ». La durée et le contenu le démentent. Il s’agit plutôt du versant soft rock ballade de Porcupine Tree. Le meilleur il va sans dire et supérieur à Ashes.

En dehors de Lifeson, Wilson s’est « offert » la participation de Robert Fripp, le génial guitariste de King Crimson. Il est donc présent (mais méconnaissable) sur Way Out Of Here qui nous ramène à des formations comme Anathema ou un Opeth soft tout autant qu’aux albums plus anciens comme Stupid Dream et Lightbulb Sun.

Sleep Together avec sa rythmique lancinante confirment le versant atmo de FOABP. On y apprécie une nouvelle fois l’alternance des passages qui « blastent » et d’autres tout en réserve dont PT s’est fait une spécialité tout autant qu’une image de marque. Il va sans dire que pour l’ensemble, arrangements et production sont du très haut de gamme.

Puisque de concept album il s’agit, parlons un peu du thème choisi. On a souvent raillé la naïveté des textes de Wilson. D’apparence « engagés », ils prêtent parfois à sourire dans leur naïveté et leur simplicité. Certes Wilson n’est ni Dylan ni Cohen mais à défaut d’être hautement philosophiques ils n’en demeurent pas moins marqués d‘une certaine intelligence. Frappés au coin du bon sens en tout cas et jamais démagos.

Or, donc, un gamin d’une dizaine d’années se forge une personnalité au dur contact des réalités du 21e siècle : télévision poubelle, drogues, pornographie, solitude, abandon etc.. De ce fait, peut-on traduire le titre de l’album par « peur d’une planète vide ou vierge » ? Peut-être, sans doute, peu importe finalement. Chez P.T, la musique l’emporte toujours sur le reste.

Honnêtement, à la différence de Marillion, il est rare d’être déçu par un nouveau disque de P.Tree. Certains sont évidemment meilleurs que d’autres mais, dans l’ensemble, depuis Signify, on peut affirmer sans se tromper que la courbe de qualité est largement ascendante. Je vous laisse mettre en bon ordre vos préférences pour vous laisser apprécier FOABP. Je pense qu’il aura sans problème sa place entre In Absentia et Deadwing se présentant comme une bonne synthèse de ses deux références.


Rédigé par : Karadok | 15+/20 | Nb de lectures : 12996