Le voici enfin, l’album qui devrait lancer la scène « Djent » dans la bataille. Djent ? Késako ? C’est le terme utilisé pour classifier toute cette scène, qui a émergé récemment, de Metal polyrythmique (ou encore « Math-Metal ») élevée aux sons de MESHUGGAH, aux guitares 7 cordes, aux démonstrations de riffs devant la webcam (et postées aussitôt sur YouTube), aux morceaux démos enregistrés dans la chambre et proposés en téléchargement libre, et le tout teinté de délires geek/nerd sur Twitter et MySpace (ce n’est pas pour rien qu’un morceau démo de PERIPHERY se nomme « Epic Fail » et qu’on peut voir sur leur MySpace la mention « Add us to your top frenz plz!! »). « Djent » serait d’ailleurs l’onomatopée faite par le son des guitares syncopées et sous-acordées typiques du genre polyrythmique… Bien qu’il ne sorte son premier effort longue durée que cette année, PERIPHERY, formé en 2004, est un des plus anciens groupes du circuit. On a longtemps cru que les Anglais de TESSERACT allaient lancer le bal (formé en 2003), mais leur premier album est sans cesse repoussé depuis deux ans et PERIPHERY vient donc de leur damer le pion. Quoique si on creuse bien, le premier véritable disque de Djent est The Hidden Words de feu-FELLSILENT sorti en 2008, groupe qui était un projet parallèle de membres de… TESSERACT ! Mais cet album n’a pas bénéficié de l’ébullition en amont autour (à la périphérie ?) de PERIPHERY, et donc ce sont bien ces 6 Américains qui ont la lourde tâche de faire exploser la scène Djent au grand jour.

Mais un album de Djent, ça ressemble à quoi ? Disons que ça ressemble surtout à du TEXTURES, à savoir du groove polyrythmique mélangé à des envolées progressives à chant clair. Mais alors que les Bataves s’étaient contentés de reprendre là où MESHUGGAH s’était arrêté avec Destroy Erase Improve, PERIPHERY est allé plus loin en modernisant le tout. Si au départ on fera une fixette sur le fait que ça ressemble un peu trop à MESHUGGAH, au final on se rendra compte qu’à part l’utilisation poussée de la polyrythmie, ça n’a plus grand-chose à voir (il ne faut pas confondre repompe et inspiration). PERIPHERY ne se veut pas complexe et chaotique, mais accrocheur et atmosphérique. Toute la musique des Américains se base sur les riffs du surdoué de la guitare qu’est Misha Mansoor, plus connu sous le pseudonyme de BULB, qui a monté son petit buzz (pardon, son petit ramdam) en postant pléthore de morceaux et d’idées sur la toile (plus de 140 !). Alors bien sûr, ceux qui suivent le projet BULB depuis ses débuts seront amputés de l’effet de surprise de Periphery, car les 12 titres qui le composent font tous partie du répertoire déjà existant de BULB, certains morceaux existaient d’ailleurs en version démo avec du chant (BULB étant à la base un projet instrumental). Periphery est donc plus une compil de démos réenregistrées qu’un véritable premier album. Mais vu la qualité des morceaux, on ne boudera pas le plaisir de déguster leurs versions définitives. D’autant que Misha n’a pas hésité à taper dans les morceaux les plus alambiqués de son répertoire, j’en veux pour témoin les très percutants "The Walk" et "Buttersnips", ou les furieux "Totla Mad" et "Zyglrox". Mais globalement l’album est très équilibré, passant des riffs syncopés ultra-efficaces dont Misha a le secret, à des leads lumineux ou à des passages plus épiques et atmosphériques, hérités de l’autre projet plus mélodique et introspectif de Misha, ANIMALS AS LEADERS. Il y en aura donc pour tous les goûts, et malgré le fait que ce genre de style très technique soit souvent décrit comme de la « musique pour musiciens », le talent de PERIPHERY a fait le nécessaire pour rendre le tout très accessible et accrocheur. On aura donc des morceaux passants par tous les états ("Insomnia", "Letter Experiment"), des tubes en puissance ("Light", "Icarus Lives"), ainsi que des plages de folie pour ceux qui veulent se trémousser ("Buttersnips", "Zyglrox"). Le groupe n’y va pas à l’économie, l’album allongeant 72 minutes, album qui se termine par un époustouflant "Racecar", le titre le plus progressif de l’album qui atteint 15 minutes et enchaîne les états de grâce (riffs mortels et passages superbement épiques), et qui se paye le luxe d’inviter Jeff Loomis (NEVERMORE) pour un solo. Tout au long de Periphery, les musiciens n’hésitent pas non plus à nous gratifier de petits interludes électro-acoustiques à la fin des morceaux, et de nous faire part de divers éléments qui font toute la différence (un court passage ambiant, un peu de vocoder au début de "Letter Experiment", des petits sons Drum’n’Bass ici et là), bref malgré l’uniformité de son et des riffs, Periphery est un album pourtant étonnamment varié, bourré de petites et de grosses accroches qui le rendent irrésistible de bout en bout. Le groupe fait aussi preuve d’un peu d’humour, en balançant sans prévenir une description délirante des membres du groupe à la fin de "Icarus Lives" (« And Look, up in the sky : It’s a bird ? It’s a plane ? Nooo ! It’s Jake Bowen and his seven-strings of wonder! »), tout en nous remerciant d’avoir acheté l’album. Original et sympa !

Une des qualités, qui est à la fois un défaut de Periphery, c’est le traitement fait au chant. Déjà, il faut avoir de la bouteille pour chanter sur une musique si alambiquée tout en étant cohérent avec, ce qui est réussi chez PERIPHERY. A ce titre, le groupe a eu du mal à se trouver un chanteur permanent, et a opté pour Spencer Sotelo, arrivé juste à temps pour l’enregistrement de l’album. Et je pense que ce n’est pas le meilleur choix possible. Non pas au niveau de son chant clair (majoritaire ici) qui est superbe et un peu plus personnel que celui de Eric Kalsbeek (ex-TEXTURES), vraiment talentueux et illuminant les morceaux les plus éthérés comme "Jetpacks Was Yes". Non, bien que ce chant clair ne plaira pas à tout le monde, le problème vient plutôt de son chant plus hurlé qui est malheureusement assez poussif. Certes, le but de PERIPHERY n’est pas d’être agressif avec un chant rentre-dedans, mais je trouve que certains passages sont assez plombés par sa voix assez anecdotique, et notamment le titre "The Walk" dont la version démo avec Chris Barretto décollait le papier peint. Les problèmes de chant sont donc le principal (et seul) handicap de PERIPHERY, d’autant que les deux précédents chanteurs (Chris Barretto et Casey Sabol) sont restés proches du groupe et ont participé à l’élaboration de l’album, les deux ayant écrit des paroles, Casey (dont le chant clair est également excellent) ayant pour sa part participé à la production du disque et joue même les guests sur "Racecar" ! Spencer est donc un peu le maillon faible du groupe, mais cela n’enlève rien à la qualité de l’album, et au reste du groupe (comportant 3 guitaristes !) dont l’exécution ne fait preuve d’aucune faille (à noter que le disque est disponible en version limitée accompagné de la version entièrement instrumentale de l’album). La production est énorme également, faite par le groupe lui-même, et le tout est mixé et masterisé dans la chambre de Misha (je vous le jure, c’est écrit dans le livret !).

Au final, PERIPHERY frappe fort pour son premier album et se confirme donc en tant que meneur de la scène Djent. Pour celui qui n’est pas allergique à la polyrythmie, Periphery est une perle, et un album déjà appelé à devenir culte, si la scène parvient à exploser lors des années à venir. Ne reste qu’à proposer de nouvelles compos encore plus rafraîchissantes (pour avoir un véritable effet de surprise) et à améliorer un peu le facteur chant, et PERIPHERY deviendra véritablement énorme. EPIC WIN !


Rédigé par : ZeSnake | 16/20 | Nb de lectures : 16547