L’instrument cible en question ici n’autorisant ni l’amateurisme ni la redondance, l’une des qualités majeures d’un bon « gratteux » serait de se situer là où on ne l’attend pas. Et bien si l’on en juge par ses dernières productions, il semble que sieur Gilbert ait saisi l’importance de ce subtile détail qui distingue un soliste original d’un exécutant talentueux mais conventionnel.

Avec Vibrato, nous sommes en effet assez loin des précédentes créations plus orientées shredds et autres acrobaties digitales vertigineuses. Comme le furent dans un passé récent Silence Followed By A Deafening Roar en 2006 ou Get Out Of My Yard deux ans plus tard. Paul a choisi ici de titiller (donc de faire vibrer) la partie la plus fine de notre oreille musicale. Celle qui fait davantage appel à nos sens de gourmets friands de compos alambiquées - qui demandent de l’attention et du recul - que celle qui se noie sous les performances purement techniques et dénuées d’esprit. Vous trouverez également peu ou pas de connexion avec Fuzz Universe paru en 2010 qui faisait la part belle à des combinaisons instrumentales, prosaïques et répétitives.

D’un autre côté, ce 13e album paraitra moins accueillant aux admirateurs des albums cités plus haut. La raison principale tient en 2 locutions qui peuvent s’apparenter à des gros mots : rock progressif – fusion jazz blues/rock. Je vois déjà la mine de certains d’entre vous s’assombrir à la simple évocation de ces sous genres du rock abhorrés par les sectateurs de riffs plombés et de raids échevelés. Il est vrai que ces avatars du rock ont souvent alterné excellence et médiocrité avec une égale insouciance. Cette dernière étant illustrée par de longues et incompréhensibles mosaïques synonymes de migraines.

Fort heureusement, si Paul Gilbert emprunte ce parcours semé d’embuches où nombre de candidats y ont perdu leur chemin et leur âme, il le balise d’influences qui n’ont rien de gratuites ni de faciles -
Franck Zappa en étant l’une des figures les plus emblématiques. (Enemies In Jail).

Mais, Gilbert n’est pas complètement idiot. Et afin de rassurer les admirateurs du piqué de manche hyperbolique, immédiatement après cet hommage au démiurge trop tôt disparu, il ménage leur susceptibilité en décochant une banderille à double effet incluant une touche métalico-fulgurante des plus classiques ornementée de phrasés pianistiques fusion. (Rain & Thender & Lightning). Un régal pour les connaisseurs, une véritable poussé d’urticaire pour les réfractaires à cet amalgame un rien filandreux.

Mais ce n’est pas tout : groovy avec le titre éponyme, instrumental mais efficace sur Put It On The Char, basiquement rock avec Go Down, atmosphérique sur le bien nommé Atmosphere On The Moon, bluesy en diable avec I Want To Be Loved, Gilbert nous surprend par son interprétation survoltée de Roundabout, pièce mythique s’il en est du groupe Yes, chantre du progressif seventies.

C’est dit et confirmé Vibrato ne pourra pas plaire à tout le monde. Seuls les esprits ouverts, sensibles à l’art de pratiquer la révérence et le respect des anciens doublée d’une incontestable touche de modernité y trouveront leur compte. Cependant, le talent et l’honnêteté du bonhomme devraient suffire à convaincre les autres plus récalcitrants d’y jeter tout de même une oreille plus qu’attentive. Il se pourrait qu’ils ne le regrettent finalement pas tant que ça...


Rédigé par : karadok | 14/20 | Nb de lectures : 11921