Dans cette période de consommation rapide et souvent éphémère, 10 ans, c’est un bel âge pour une formation. L’âge de raison ou de maturité ou l’âge de continuer à faire de la bonne musique, point. Et bien oui, ça fait 10 ans (depuis Entropia) que les trublions suédois nous malmènent les neurones à chaque album avec leurs visions décalées ou en tout cas borderline du métal progressif moderne. Ils sont devenus incontournables ou référentiels au comptoir du café du commerce. En ce sens, ils ont pris le relais de Dream Theater qui, lui, affiche le double d’age au compteur. Un vénérable à qui il ne reste plus qu’à gérer sa carrière en grand-père tranquille, n’ayant plus rien à prouver à personne et se moquant bien des avis divergents.
Un nirvana que les nordiques n’ont pas encore atteint dans sa plénitude. Car il y eut l’épisode « Be », que nombre d’entre nous ont diversement apprécié ou compris. On verra si dans dix ans les certitudes des uns et les doutes des autres étaient figés. En attendant, Gildenlow désire refermer le chapitre Be qui l’a occupé pendant 4 ans (tournées incluses) et nous promet que POS est revenu à ses racines, celles qui ont le plus de chances de rassurer la base. Ce dont, bien entendu, la plupart d’entre vous devraient se réjouir. Si la musique proposée est en adéquation avec le visuel (et non, Golum n’a pas posé pour la pochette!) et le titre accrocheur mais énigmatique, on peut raisonnablement espérer qu’il en sera ainsi. Non pas torturée et obscure mais « franche et directe ». Ce n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Explication.
Certains s’attendaient (enfin !) à The Perfect Element Part 2. Si tel était le cas, il se nommerait ainsi, n’est-il pas ? J’y reviendrai plus loin. Mais c’est Scarsick, donc on fera avec. Scarsick qui est un concept album délaissant l’introspection existentielle pour se consacrer à un sujet plus socio-politique.
Frustré et en colère ! C’est ainsi que Gildenlow et sa bande ont entamé le processus de création et d’enregistrement. Et c’est dans le même état d’esprit qu’il désire nous placer à l’écoute de ce 6e album. Deux sentiments que l’état délabré du monde (sic !) ne manque pas de nous procurer. Et notamment en raison de l’attitude du gouvernement américain. C’est d’ailleurs l’occasion de rectifier un certain nombre d’idées reçues. Gildenlow n’a jamais caché son antipathie pour l’administration Bush. Je dis administration Bush et non pas peuple américain. La nuance est de taille en ces temps de diplomatie internationale quelque peu brouillonne. Un sentiment qui l’empêche par exemple de se rendre outre atlantique afin de ne pas se soumettre aux lois sur les contrôles d’identités aux frontières qu’il juge paranoïaques. (Cf la kro du dernier Flower Kings). Gildenlow n’éprouve aucune espèce d’animosité envers le peuple américain. C’est contre leur gouvernement qu’il peste ; un gouvernement qui, sous prétexte de protéger les intérêts de son peuple, se permet de déstabiliser l’équilibre déjà précaire de la planète. Et de conclure que finalement, la seule vraie menace du peuple américain, c’est son gouvernement !
Cependant, la vindicte à l’encontre de Bush et ses sbires n’est pas le seul moteur de Scarsick, loin de là. Critique du consumérisme tous azimuts, hyper productivité, difficultés de communiquer, etc.. Il faut donc lever le voile. Scarscik est bien le successeur direct de The Perfect Element, et ce malgré le peu de reprises thématiques musicales communes ou en tout cas moins que l’on ne croit.. Le groupe n’a pas souhaité l’intitulé The Perfect Element Part 2 car les fans se seraient jetés dessus sans même réfléchir. Une attitude que Gildenlow redoutait. Il préférait que les auditeurs découvrent par eux-mêmes de quoi il retourne afin de leur permettre de rassembler les pièces du puzzle. Avec TPE Part 1, P.O.S développait le thème d’une personne brisée par la société qui tentait de se reconstruire tant bien que mal tout en se dirigeant inexorablement vers le point de non-retour, illustré par Kingdom Of Loss. Scarsick, donc TPE Part 2 montre la même personne qui découvre le monde par le prisme déformant de la télévision pour atteindre un final tout aussi désespérant. La leçon à tirer de ces deux cheminements étant que les mêmes dysfonctionnements frappent aussi bien l’entité sociétale que l’individu qui la compose.
Après cette entrée en matière un peu longue, il est temps d’aborder le corps du sujet. Comme vous l’avez sans doute déjà lu sur le net ou dans les canards concernés, l’accueil est unanime : POS a une nouvelle fois accouché d’un chef-d’œuvre fait de retour aux sources et d’innovation assez déroutante. Dont acte !
Pourtant, n’imaginez pas un instant pénétrer les méandres et les circonvolutions de Scarsick du premier coup. Prenez votre temps, laissez reposer, puis revenez-y en d’autres occasions, l’esprit pleinement attentif sur ce concentré de jus de cerveau en ébullition.
En tournant le compact, on a l’impression de revenir au bon vieux temps des vinyles. Les titres sont présentés sur deux hypothétiques faces A et B. Une mode qui se propage…
Face A. (ou première partie)
Scarsick et Spitfall renouent avec le métal prog (?) convulsif et urgent que POS maîtrise le mieux. Riffs nerveux, chant « rap » à la Clawfinger - peut-être un peu trop, on se rapproche du trip Entropia ou OHBTCL.
Cribcaged est une ballade et quand je dis ballade, attention, pas de sirop ni de mièvrerie, c’est du POS, quoi ! Malgré l’émotion dégagée, je préfère néanmoins Second Love de Remedy Lane.
America est la première surprise de l’album; si vous connaissez Leonard Bernstein et son West Side Story, vous identifierez immédiatement l’esprit de cette comédie musicale mythique des années 50. Attention, les Sharks et les Jets déboulent sur fond de gros riffs et du célèbre chorus revisité par Gildenlow. Allez, tous en cœur : * I like to be in America! / O.K. by me in America! / Ev'rything free in America / For a small fee in America! (extrait des paroles de America/West Side Story). Voilà, vous avez compris que tout ceci est du second degré. Car là où les immigrés latinos des années 50 encensaient et enviaient le style de vie US, Daniel lui en profite dans sa version pour allumer l’American Way Of Life de Bush.
Seconde surprise, Disco Queen vous donnera l’occasion d’entendre chanter Gildenlow comme jamais il ne l’a fait. C’est à dire, très haut, très très haut, plus haut que Labrie et Andy Gibbs réunis. Le final est d’ailleurs de ce point de vue assez « zygomatiquement » éprouvant. Et le groupe entame un mixte de disco et de riffs métal. C’est sans doute le titre le plus original et le plus décalé composé par les Suédois. Certains diront déroutant, gênant voire incongru…
Face B. (ou seconde partie)
Cette seconde partie nous rapproche du POS habituel avec des titres plus accrocheurs. D’abord Kingdom Of Loss, suite (!) du thème abordé dans The Perfect Element Part One. Début avec voix off, solo ciselé et final enlevé.
Idiocary (au nom qui se passe de commentaires) propose une construction familière et tant appréciée par les fans. Sombre, mélancolique, progressivement intense avec une fin débridée. Une fureur paroxystique qui se prolonge sur Flame To The Moth avec moins d’artifice cependant.
Mrs. Modern Mother Mary est un titre plaisant sans être tout à fait convaincant aussi ne m’y attarderai-je pas. Tout au plus puis-je préciser que nombres de formation au talent inférieur s’en serait contentée. Mais est-ce vraiment un bon argument ? Je vous laisse vous faire votre propre jugement.
Enfin, l’album se termine sur Enter Rain, la pièce la plus longue avec ses 10’. Dix minutes qui synthétisent l’album, le style et la carrière des Suédois et achèvent en apothéose un concept qui va bien au-delà de 10 titres engagés envoyés au presse-purée toutes tendances confondues.
Conclusion : comme annoncé plus haut, ce n’est pas en une seule fois que l’on peut juger de la qualité d’une telle œuvre. S’agissant de P.O.S, je serais tenté de crier immédiatement au génie. Mais, n’ayant pas encore fouillé tous les recoins, trouvé toutes les clés, percé tous les mystères (s’il y en a !), je préfère prendre mon temps. La (pro) fusion des thèmes, le malaise voire la « malignité » qui en émane, la complexité de la personnalité de Scarsick et de son géniteur exigent de la patience et de la retenue. Près d’un mois et demi après sa sortie, j’en suis encore dans la phase réflective. Mais, ne voulant pas vous proposer la kro en juillet prochain, fraîcheur de l’actualité oblige, je vous livre celle-ci, imparfaite, incomplète et advienne que pourra. Certains commenteront la note, la trouvant soit trop faible, soit trop haute. Je les laisse seuls juges de ces critiques. Quand il s’agit de POS, de DT, de toute façon les opinions sont souvent tranchées et versatiles en fonction de l’humeur et des rumeurs. J’assume.
Une fois l’album en boîte et lancé sur les rails de la distribution et au seuil de la tournée, POS a concentré tous ses efforts à la recherche d’un nouveau bassiste. C’est Daniel Gildenlow lui-même qui a assuré les parties de basse sur Scarsick. A l’heure où paraît cette kro, 3 prétendants sont sur les rangs mais le choix semble s’être porté sur Simon Anderson, enfin pour ce qui est de la tournée. Le groupe décidera plus tard s’il peut l’intégrer définitivement ou non.
Le livret porte la mention : « to be continued » signe que POS envisage donc une suite – The Perfect Element Part 3 – à cette série en cours. Il est vrai que les raisons de se lamenter sur notre triste monde ne finissent pas de remplir les colonnes de journaux, les JT du 20 heures et des pages et des pages de web. Guildenlow a encore de la matière à développer. Rendez-vous est donc pris pour le prochain épisode.


Rédigé par : Karadok | 18/20 | Nb de lectures : 15438