Pas besoin de s'appeler Levi-Strauss pour remarquer que le Metal et ses dérivés prennent leur source dans la civilisation occidentale moderne, au sein de pays en crise post-industrielle, sur la voie de l'agnosticisme et en proie à de nombreux facteurs d'émergence qu'il serait un peu fastidieux d'énumérer ici. On constate toutefois, depuis quelques années désormais, la présence d'une scène vivante pour les musiques extrêmes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient dont Orphaned Land est un des représentants les plus célèbres.
En dépit d'une discographie modeste qui n'affiche que quatre albums -et deux EP- en quinze ans de carrière, le groupe israélien a toujours su conserver sa fan-base et susciter une attente fébrile autant par la qualité de ses productions que par l'affirmation sans cesse renouvelée de ses origines culturelles.

C'est même le fil conducteur de leur œuvre ; la présence toujours plus prégnante des éléments caractéristiques de la musique traditionnelle orientale dans son acception la plus large, puisant dans les répertoires folkloriques juifs et arabes mélodies, arrangements et une surprenante variété d'instruments exotiques. Ainsi, si « Sahara » proposait un album de death metal teinté de musique traditionnelle il en faudrait peu pour affirmer que « ORwarriOR » (pour faire court) est un pur album de folk orientale incorporant des éléments metal. Autre facteur décisif dans l'identité d'Orphaned Land : la portée spirituelle de leur musique, sous-tendue par cette volonté de réunir dans un même bouillon culturel orient et occident mais surtout les mondes Juif et Arabe -voir à ce sujet les magnifiques calligraphies du livret. Là où « Mabool » présentait une relecture du Déluge biblique, « ORwarriOR » s'articule autour du concept du guerrier de lumière du Talmud (si j'ai bien compris) dont la présence vertueuse repose au fond de chacun à l'état latent [note pour les nerds : c'est un Jedi en fait]. Je conçois que ça puisse paraître barbant mais il me semble difficile d'aborder le travail du groupe sans au minimum le mentionner.

L'album est tellement monolithique qu'on ne sait pas vraiment par quelle face l'aborder. Une heure vingt (!) de titres élancés alliant la puissance du heavy à la finesse des mélodies orientales. Exit les éléments les plus extrêmes dont ne subsistent que quelques lignes de chant en growl et des riffs un peu plus percutants ici et là. Le propos n'est plus là, Kobi Farhi, surnaturel de virtuosité, nous entraîne avec sa voix de Djinn pour un voyage inouï dans l'univers improbable d'Orphaned Land où les sourates du Coran se déclament sur des riffs burnés ("Disciples of the sacred oath"), où des titres épiques s'ouvrent sur des contes hébreux et finissent en interminables soli bourrés d'émotions ("The warrior"). Ça pourrait être du grand n'importe quoi mais c'est génial et cohérent du début à la fin.

Le DVD qui accompagne l'album est constitué d'un making-of pertinent où le processus de composition du groupe est éclairé, de la méticulosité maladive avec laquelle chaque morceau est mis en place au choix des instruments inclus dans l'accompagnement. Et là encore, on est pour la première fois en présence d'un groupe homogène où saz, shantur et autres shofar (cithares, luths, etc.) revêtent au moins autant d'importance que le travail des guitares mené d'une main de maître par Yossi sassi Sa'aron.
Les parties de chant sont également enrichies par la présence féminine de Shlomi Levi sur quelques titres dont le déjà culte « Sapari » basé sur une chanson folk yéménite. Pour autant et je me répète Kobi Farhi est impressionnant d'aisance dans les nombreux registres qu'il aborde ; l'intensité et la texture de sa voix donneraient des frissons à un guerrier hun. Chaque intermède acoustique allégeant par endroits l'écoute de l'album est loin d'être anecdotique et montre à la fois la maîtrise technique du sujet et la passion religieuse qui anime les musiciens.
Pour ceux qui en doutaient encore "ORwarriOR" démontre la parfaite miscibilité du metal avec des formes musicales qui lui sont a priori étrangères, y compris au niveau des thématiques faisant la part belle à la spiritualité, l'amour divin et le rejet du dogme (un peu comme Cynic tiens...).

Pour tous ceux qui ont comme moi grandi sur les bords de Méditerranée -et pour les autres j'espère- le disque portera les échos d'une communauté d'esprit bien réelle au sein de laquelle festoient musique extrême, poésie, passion et espoirs de paix. C'est très candide mais ô combien vivant.

« Break bread with us – nomad – hear our tale
How brother fought brother as fire burnt the sails »


Rédigé par : #Guillaume# | 18/20 | Nb de lectures : 16816