Quand on écoute de la musique extrême depuis longtemps, et a fortiori quand on a le plaisir d’en chroniquer, il y a un moment où l’on prend conscience du fait que le terme “brutal” ne signifie plus grand-chose. Cela ne veut bien évidemment pas dire que cette musique a perdu son caractère agressif, loin de là, mais que l’oreille s’habitue à cette sensation, aux batteurs inhumains, aux vocaux décomposés, et qu’elle trouve son plaisir autrement, dans une analyse plus fine des subtilités qui se dissimulent souvent derrière ce genre rébarbatif au premier abord.
Qui cependant n’aimerait pas retrouver LA sensation initiale, celle de la découverte? Souvenez vous de votre premier contact avec le Death Metal... au détour d’une cassette de Maiden sur laquelle un ami facétieux a glissé quelques morceaux d’Arise, peut-être. L’impression d’entrer en territoire interdit au son des gonds métalliques qui se referment; de fouler les pavés brûlants d’un sentier qui ne devrait pas être exploré. Qui possède encore cette crainte mêlée de fascination à l’écoute d’un disque extrême? Le Death Metal: un art transgressif...

“Informis Infinitas Inhumanitas”, lors de sa sortie, était l’un de ces albums marquants, qui remontent la moelle épinière pour stimuler les régions obscures du cerveau où se tapissent ces sensations troubles et origin-elles. Ce deuxième effort du quintet kansan était un nexus sonore nihiliste et inextricable; épuisant. “Echoes Of Decimation”, son successeur repoussait peut-être encore un peu plus les frontières de la célérité, de l’intensité et même du supportable, mais... victime de l’inévitable habituation, il s’est à mes yeux montré coupable d’une certaine routine dans la brutalité. Plus de surprise, une violence systématique et au final un disque qui paraît bien plus plat qu’il n’est réellement: “Echoes Of Decimation” était une déception sensorielle.

Avec “Antithesis”, ORIGIN est porteur de grandes espérances. Certains pourraient lire en ce titre, l’annonce d’un changement, d’une évolution bienvenue. D’autres, la confirmation d’une volonté, celle de se démarquer un peu plus de la masse et de s’enfoncer plus profondément encore dans les abîmes. Spéculations toujours, ORIGIN aligne le même line-up que sur “Informis Infinitas Inhumanitas”. Exit King et Appelhanz, le génie Longstreth et Jeremy Turner sont de retour...
Alors quoi? Si on cessait de gloser deux minutes pour parler d’”Antithesis”? Changement ou continuité, ce quatrième album est tout à la fois.

Extrême. Intense. Technique. Tout est dit, ou presque. ORIGIN produit une fois encore un maelström de décibels infranchissable, guitares, basse et batterie formant une masse compacte lancée à des tempos hallucinants. ORIGIN, ou le hurlement d’un ouragan dans les haubans d’un navire en perdition.
Au fil des morceaux, et des écoutes, une légère évolution se fait néanmoins sentir. Changements de rythmes, batterie plus aérée, mélodies... comme si le groupe avait compris que l’impact de sa musique serait plus important encore s’il variait les sévices. Ainsi, James Lee se montre enfin moins bavard. John Longstreth ne se livre pas à des blasts non stop, chose que l’on pouvait plus ou moins reprocher à James King, mais préfère un travail au corps, tassé dans les cordes, alternant les directs au foie et les crochets dans les reins avant de prendre ses distances, de virevolter sur les cymbales pour mieux recommencer. Les guitares de leur côté, mettent le bémol sur la technique outrancière d’”Echoes...” au profit de mélodies plus directes, enlevées (la très NILE “Wrath of Vishnu” par exemple) et de riffs martiaux. S’il reste une large part de sweepings-nintendo, de legato-slides, tappings et autres démonstrations, ils s’intègrent au point de passer pour des riffs à part entière. On regrettera peut-être la production des mêmes guitares, un peu nasillarde et brouillonne, mais elle laisse la possibilité au bassiste fou Mike Flores d’exprimer un peu plus son talent.
“Antithesis” est l’album le plus brutal, le plus varié et le plus mélodique qu’ORIGIN ait enregistré... Gigantesque, massif et épique comme les neuf minutes du titre éponyme qui résument et concluent le disque. Les Américains se renouvellent brillamment sans risquer de décevoir les fans de la première heure.

ORIGIN a inventé un brutal death technique, hystérique et surpuissant avec “Informis Infinitas Inhumanitas”, ils parviennent aujourd’hui à surclasser ce monument et à lui insuffler une atmosphère nouvelle. Un paradoxe sonore qui ressemble à l’effondrement gravitaire d’une étoile, aux éructations plasmatiques d’ions grésillants qui agitent ses dernières convulsions et qui s’enfuient irradier un univers neuf.


Rédigé par : La Myxine | 17/20 | Nb de lectures : 16246