J’ai plusieurs fois été tenté de démarrer cette chronique par une référence à la nationalité d’ORAKLE et d’en profiter pour en remettre une couche sur le caractère exceptionnel de voir un groupe français évoluer à un tel niveau de qualité. Cependant, ce serait d’une part oublier que la France n’a plus à rougir de sa scène extrême depuis longtemps et d’autre part nier le talent d’ORAKLE qui ne vient pas de sortir l’un des albums les plus sympathiques de ce premier semestre parce qu’il est français mais bien parce que « Tourments Et Perdition » est un putain de bon disque, tout simplement.

ORAKLE avait déjà interpellé les amateurs de black sophistiqué avec son premier album « Uni Aux Cimes », dont les références à EMPEROR étaient aussi évidentes que prometteuses pour l’avenir. « Tourments et Perdition » poursuit dans cette voie, toujours en français, et prouve que les bonnes réactions suscitées par le précédent album étaient amplement justifiées. Nous entrons dans l’univers torturé du groupe par un instrumental, « Tourments », qui monte doucement en puissance à partir de quelques arpèges mélancoliques pour basculer au bout de 3 minutes 30 dans un enfer black metal qui n’est pas sans rappeler l’enchaînement « Alsvartr (the oath) » - « Ye entrancempirium » sur le « Anthems To The Welkin At Dusk » d’EMPEROR ou plus généralement quatre-vingt-quinze pour cent des productions du genre. Pas révolutionnaire mais, et ce sera le fil rouge de l’album, très bien fait.

Cette entrée en matière violente ne reflète pourtant pas l’ambiance générale qui est plutôt aux tempos lents, aux passages atmosphériques comportant leur lot d’arpèges et autres sonorités évoquant tour à tour désespoir, terreur, colère et tourments bien sûr. Mais ces ambiances ne seraient rien sans la voix d’Achernar dont les hurlements rappellent ceux de Hreidmarr (ex-ANOREXIA NERVOSA) et le chant clair celui de Vortex (DIMMU BORGIR). Il n’est déjà pas simple d’avoir une bonne voix black, mais quand en plus on peut comme lui poser un chant clair que pas mal de « chanteurs » métal paieraient cher pour avoir, le potentiel devient énorme. D’habitude réfractaire aux paroles en français, et sans adhérer totalement aux tournures parfois obscures, je dois avouer qu’ici et pour une fois, on ne verse pas dans le pompeux et le pseudo littéraire. ORAKLE a créé une œuvre cohérente et solide qui, si elle ne restera peut-être pas dans l’histoire du black en raison de références trop marquées (EMPEROR, ARCTURUS, DIMMU), n’en est pas moins une grande réussite.
Malgré la tonalité particulièrement noire de « Tourments et Perdition », on y revient en effet très facilement, découvrant à chaque fois ou presque un passage auquel on n’avait prêté attention. Parce que cet album est riche (mais jamais pompeux), bien produit par Fernando Pereira Lopes (MISANTHORPE) et ORAKLE et tout aussi bien construit : avec des morceaux oscillant entre six et neuf minutes, on pourrait craindre quelques longueurs pourtant ce n’est jamais le cas, chaque seconde étant utilisée au mieux pour faire passer toutes les émotions véhiculées par les textes et la musique.

Un petit mot sur l’artwork, magnifique, avant d’en terminer : le visuel est un élément important d’un album, en ce qui me concerne presque autant que la prod. Disons qu’ils vont de pair et que quand les deux sont bons, l’album part sur de très bonnes bases. Celui de « Tourments et Perdition », sur lequel on devine la silhouette lointaine d’un bateau en pleine tempête est à l’image des chansons qui le composent ; peut-être pas la meilleure façon d’attirer les regards dans les bacs des disquaires avec ses tons ocre et ses formes indistinctes, mais fourmillant de détails pour peu qu’on s’y attarde. A découvrir.


Rédigé par : Dungorpat | 16/20 | Nb de lectures : 16313