Vous le savez tous, depuis le milieu des années 90 la scène Death polonaise est particulièrement florissante. Bon nombre de combos sont apparus progressivement, avec souvent une uniformité de style et de sonorités qui en découle et que l’on peut, légitimement, déplorer. Certains groupes sont partis dans la course à la vitesse à tout prix, amorcée par VADER, quitte à se fondre dans la masse. Deux groupes sont, à mon avis, tombés pile dans ce cas de figure : LOST SOUL et NOMAD. Et chacun de ces deux groupes a, à sa manière, tenté de sortir des sentiers battus au bout de quelques années de carrière.

Et quand on y regarde de plus près, c’est la signature des deux groupes chez Witching Hour, qui est en passe de devenir un label de référence en termes de joyeusetés polonaises, qui a déclenché cette émancipation. Passons vite fait sur le cas LOST SOUL, qui après avoir sorti 3 albums très frontaux et efficaces mais pas très originaux et inoubliables, avait crevé l’écran avec le fantastique Immerse In Infinity (2009) en rendant son propos Death-métallique nettement plus subtil et technique bien que toujours über-brutal, bien que ce disque n’ait pas eu le succès qu’il méritait (et pas de chronique sur VS, snif). Intéressons-nous plus précisément au cas NOMAD : formé en 1994, ayant 4 albums à son actif avant Transmigration Of Consciousness qui nous intéresse ici. Jusque-là le groupe pratiquait donc un Death polonais frontal et sans compromis, juste aéré par quelques passages évoquant plus le Death satanique US façon DEICIDE. La recette fonctionnait plutôt bien sur Demonic Verses (2004) et The Independence Of Observation Choice (2007), mais encore une fois l’originalité n’était pas au rendez-vous. Et donc, tout comme LOST SOUL, la signature du groupe chez Witching Hour s'avère être porteuse d’une évolution musicale, et le résultat est plutôt bluffant.

Sur Transmigration Of Consciousness, NOMAD semble avoir décidé d’aller à l’encontre du concours de blasts propre à une certaine frange de la scène polonaise, ce qui est bien retranscrit par le jeu de batterie qui est ici très dépouillé mais qui contribue parfaitement à l’ambiance. Car oui, Transmigration Of Consciousness est un album « à ambiance » (ce qui est différent d’un album « ambiant », j’espère que vous saisissez la nuance). Plusieurs signes avant-coureurs se font remarquer avant même de presser sur la touche « Play » : la pochette, particulièrement fouillée et absolument superbe ; et la tracklist, chaque morceau étant précédé d’une intro. Transmigration Of Consciousness est donc à prendre comme un unique morceau de 40 minutes de Death polonais majoritairement mid-tempo (mais comportant quelques accès plus agressifs, rassurez-vous) porté par une ambiance mystique et très « evil », invitant au voyage de la conscience dans des contrées sombres et éthérées.

Pourtant l’ambiance occulte de Transmigration Of Consciousness ne se laisse pas facilement apprivoiser, loin de là. Surtout en partant dans une lecture de l’album en mode « recherche de tubes ». Et pourtant il y a du sacré bon tube là-dedans, voire du brûlot, de la pépite de première classe : "Dazzling Black" qui est un morceau délicieusement rampant, aux mélodies superbes et au solos magnifiques, "Identity With Personification" qui est un titre plus rentre-dedans absolument monstrueux, avec des riffs tranchant dans le vif et un chant agressif très accrocheur, et "Raised Irony" aux arpèges très ivôles et aux passages très incisifs, le tout dans une ambiance symphonique très sombre. Hormis ces trois hits de la mort, on aura donc tendance à trouver aux premières écoutes que les 5 autres morceaux (hors interludes) de Transmigration Of Consciousness sont un peu plats. Sentiment compréhensible et tout à fait justifié, mais au fil des écoutes on se rend bien compte que cet album a été pensé pour être écouté d’un seul bloc, sans chercher à en isoler une partie ou une autre.

Et c’est passé cet effort d’adaptation qu’on se rend compte que NOMAD a voulu nous pondre une ambiance evil prenante comme jamais. Les interludes, faits de bruits bizarres et de samples étranges, sont là pour poser les liens entre les différentes plages de Transmigration Of Consciousness et non pour aérer la galerie d’art noir. Une fois plongé dans l’œuvre, elle révèle alors son potentiel et certains morceaux, ennuyeux au premier abord, réussissent à finalement convaincre : "The Demon’s Breath" avec son côté symphonique décadent (les claviers sont particulièrement bien amenés) et ses couplets écrasants, portés par la voix éraillée de Bleyzabel Balberith (ce pseudo !) typiquement « polonaise » ; "Pearl Evil" avec ses mélodies hypnotiques, ses accès de riffs en rouleau-compresseur et ses breaks atmosphériques ; ou encore le plus « groovy » "Four Percent of Hate" (pourquoi seulement 4%, je ne sais pas…). Mais de toute façon, Transmigration Of Consciousness ne s’apprécie réellement que dans sa globalité, à condition de se laisser transporter par l’atmosphère à la fois noire et cosmique. Néanmoins, NOMAD réussit un vrai tour de force car l’album peut à mon avis être apprécié à deux niveaux d’écoute : en isolant les « tubes » pour headbanger comme tout bon métalleux qui se respecte ; ou en l’écoutant d’une traite et sans vraiment réfléchir aux riffs qui nous arrivent dans la tronche, pour participer au voyage onirique avec l’équipage du galion mystique présenté sur la pochette.

Enregistré dans des studios divers et variés mais parfaitement uniformisé par le mastering des inévitables studios Hertz, Transmigration Of Consciousness est pour moi une réussite totale, un album de Death ancré dans une tradition propre à sa scène d’origine qui est porté par une ambiance tout à fait unique, bardé de quelques morceaux terribles qui le rendent irrésistible. Pas facile d’accès car paraissant un peu naïf aux premières écoutes, mais j’encourage le tout-à-chacun à faire l’effort de rentrer dans l’atmosphère et de donner véritablement sa chance à ce disque en multipliant les écoutes, plutôt que de rester sur une impression « y’a des morceaux qui tuent mais sinon c’est tout mou », à moins que pour vous le Death polonais rime obligatoirement avec blasts à gogo. Quoi qu’il en soit, pour moi on tient ici un album purement génialissime, original dans son approche atmosphérique et absolument prenant qui figurera à coup sûr en bonne place dans mon top de fin d’année.


Rédigé par : ZeSnake | 17/20 | Nb de lectures : 13508