Lors du processus de composition de l'album qui devait faire suite à "The Fragile", Trent Reznor avait déclaré au journaliste d'un magazine spécialisé être ultra inspiré et travailler sur deux projets: un organique et un très électronique, arguant même pour deux sorties consécutives. Au final, 2005 n'aura vu la sortie que d'un seul album, "With Teeth", très belle réussite bien que controversée où Reznor conservait les éléments NINE INCH NAILS en les fondant dans des structures plus rock. Puis vint le temps des tournées et l'idée de cette deuxième réalisation aux oubliettes... jusqu'à une annonce fin 2006: un nouvel album de NINE INCH NAILS serait en cours de mixage pour une sortie en 2007. Une nouvelle qui en aura réjoui plus d'un, moi le premier, même si, vu le délai si inhabituel pour Reznor entre deux opus, on pouvait craindre la bouse... Quelques semaines plus tard, "Survivalism" déboulait en grande pompe sur MySpace et après une écoute discrète sur des enceintes toutes pourries, j'en concluais que ce prochain méfait n'allait pas être de mon goût: morceau sans gros potentiel à mon goût se terminant sur un riff Reznorien éculé... Snif snif! Mais, car il y a un mais, l'adage "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis" cher aux Flanbys de notre jeunesse m'aura touché de plein fouet sur ce coup-ci.

Prenez 5 minutes et posez-vous. Prenez en compte tout ce qui se passe dans notre monde, l'actualité politique, écologique, économique, etc... Comment imaginez-vous notre monde dans 15 ans? Voilà la grande question que s'est posé Reznor et "Year Zero" est sa réponse, un concept fouillé dont vous trouverez de nombreuses explications sur le net (allez faire un tour sur http://www.ninwiki.com/Main_Page), notamment les fameux sites fictifs. In fine, cet opus est une synthèse des points de vue imaginaires de plusieurs personnes disposées aux quatre coins du globe et qui donne une vision apocalyptique d'un monde où rien n'ira plus à ce rythme.

On ne prétendra pas que "Year Zero" est l'opposé de "With Teeth" ou "The Fragile", il s'inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs mais en passant à la vitesse supérieure. Reznor renoue ici avec son génie, son talent de sound designer, au lieu de se laisser porter par une vague mainstream qui en avait déçu certains dernièrement (les titres "The Hand That Feeds" ou "Every day Is Exactly The Same" pour ne citer qu'eux n'avaient pas été du goût de tous). Partant souvent sur des structures rock connues et rassurantes, l'artiste nous malmène pourtant en triturant ses sonorités au maximum jusqu'à en faire ressortir une essence bruitiste qui avait marqué les albums de remixes du groupe, rappellant par la même le travail d'un APHEX TWIN ou d'un RA. Si les mélodies sont toujours présentes et d'une efficacité certaine, elles côtoient les ambiances les plus étranges qui en laisseront plus d'un sur le carreau à l'image du break final scotchant de "The Great Destroyer", dont le travail de dynamique et de destruction sonore pourra vous coller des migraines à volume trop élevé. Rien n'est évident ici et la prise de risque est certaine. L'ombre d'un "With teeth 2" est bien loin et NIN a repris la forme d'un monstre électro-indus capable de vous laminer les oreilles à coup de gros beats dociles ("The Good Soldier") ou saturés ("Vessel", "Meet your Master'), de synthés stridents ("My Violent Heart") et de samples mécaniques ("In this Twilight"). Le piano, pourtant instrument de prédilection du maître d'oeuvre, se voit ici même quasiment oublié si ce n'est sur l'instrumentale poignante "Another Version of the Truth" et sur le final "Zero Sum", une sorte de pardon de l'humanité qui n'aura (hypothétiquement?) pas su réagir à temps ("Shame on us / Doomed from the start / May God have mercy / On our little hearts / Shame on us / For all we've done / And all we ever were / Just Zeros and ones"), comme si toute trace de douceur voulait être mise à l'écart. D'ailleurs, un rapide coup d'oeil aux textes suffit pour vous coller le bourdon et vous donner envie de réagir le plus vite possible.

On sent sur "Year Zero" un Reznor remonté jouant sur les contrastes au maximum pour faire passer un message douloureusement visionnaire. Si sa voix se veut souvent rassurante sur ce flot de décibels électroniques débridés, c'est pour donner plus de sens à un discours alarmiste. Côté chant, on remarquera d'ailleurs que le sieur s'essaye à quelques nouveautés comme sur "Capital G" où l'accent pris par Reznor surprend, comme s'il habitait un nouveau personnage pour l'occasion.

Schizophrénique, ambivalent, "Year Zero" est un album magistral qui se loge immédiatement dans le trio de tête de ses meilleures réalisations, aux côtés de "Pretty Hate Machine" et "Downward Spiral" sans, je trouve, atteindre la supprématie du dernier cité. Gros point positif, le travail sur la pochette n'a pas été oublié cette fois et on a droit à un superbe digipack doublé d'un livret bien dense, auquel vous ajouterez un CD original puisque réagissant à la chaleur. Une manière de contrer le téléchargement en proposant un vrai objet, d'autant que "Year Zero" est entièrement écoutable sur le MySpace du groupe. Le seul défaut de cet opus réside à mon sens dans la linéarité des tempos. Mais il s'agit clairement d'un détail et le travail sonore est si dense qu'on oublie toute notion de bpm en se laissant porter par un ensemble cohérent et surtout par l'émotion d'un homme qui dévoile au grand jour une vision futuriste à laquelle on se refusera (à tort sûrement) de croire. Un album majeur de 2007 à coups sûrs proposé par un personnage dont on a pas fini d'entendre parler... et tant mieux.


Rédigé par : Foofur | 18,5/20 | Nb de lectures : 13577