Il est intéressant de réécouter “Pain Of Mind” aujourd’hui, au moment de la sortie de ce “The Eye Of Every Storm”. Peu à peu, irrémédiablement, l’accumulation des ans, comme des couches successives, atténue la révolte… sans jamais l’effacer. La presque vingtaine d’années qui sépare ces deux albums a bonifié le groupe tel un grand cru. Et cette année 2004 nous offre l’exceptionnel. L’essence, la nature intime de NEUROSIS.

Le chemin d’une vie.

D’abord hurler son identité à la face du monde. Puis trouver son chemin, accepter les concessions pour trouver sa propre liberté dans cet environnement. Sans jamais se renier. Toujours avec cette remise en question, ce besoin d’analyse autocritique pour mieux avancer, continuer à explorer et garder la fibre. Le développement des projets parallèles et personnels au sein de Neurot Recordings — TRIBES OF NEUROT, les albums solo des deux chanteurs/guitaristes Scott Kelly et Steve Von Till, la récente collaboration avec Jarboe, BLOOD AND TIME… — a nourrit l’entité NEUROSIS. Ce qui servait d’échappatoire hier devient un élément déterminant aujourd’hui. L’empreinte de la collaboration avec Steve Albini ne doit pas être oubliée non plus.

Force de la nature.

Même si le nihilisme perdurera semble-t-il éternellement dans l’œuvre commune de ces californiens, de plus en plus d’espoir vient s’y immiscer. La maturité, ou la foi en l’esprit de l’Homme, sans doute.
Sur “The Eye Of Every Storm”, NEUROSIS est aérien, atmosphérique, progressif, parfois psychédélique. Mais il reste désespérément noir. La Bête, virile, est fragilisée… devient mélancolique. Le feu brûle encore ses entrailles mais on la sent résignée. L’urgence s’estompe.
Autrefois si urbaine et industrielle, cette magnifique orchestration est aujourd’hui davantage reliée à la nature, aux éléments. Plus simple et subtile, ses mélodies forment un océan au flot langoureux. Une mer d’huile, sporadiquement contrastée par des tempêtes à la puissance toujours aussi dévastatrice. Puis l’horizon est à nouveau dégagé. Immense.
Et il y a ce chant : le grain des voix de Von Till et Kelly, leur intensité, leurs variations. Il rend l’animalité de NEUROSIS plus humaine. On ressent la réflexion, la recherche et le travail fournit pour renforcer son identité dans un environnement devenu plus spacieux, comme spécialement aménagé. Les textes, abstraits, poétiques, affinent encore l’édifice et invitent l’audience à une relation particulière, un échange d’émotion et de vécu.

L’emprise bénéfique du temps sur NEUROSIS, nouvel adepte de la philosophie “Less Is More”, ne cesse donc de le pousser à se sublimer. Cette nouvelle œuvre est une évidence, terriblement fluide, riche et prenante. On y découvre à chaque écoute une nouvelle subtilité, une nouvelle facette. Un grand album, un de plus dans une discographie quasi sans faille.


Rédigé par : Napalmus | 18/20 | Nb de lectures : 20428