Code666 s’est fait une spécialité étonnante de relooker les outsiders en leaders potentiels. Un nouvel exemple tombe avec Negura Bunget. Ce trio de black-métalleux, respecté jusqu’alors dans les milieux underground, voit avec cet album se décupler la superficie de son champ de visée et ceci, il faut le placarder en gros caractères en en-tête de la biographie du groupe, sans brader en aucune façon que ce soit l’âme et l’intégrité de leur musique. Negura Bunget est originaire de Roumanie et plus précisément, messieurs les aspirants-vampires astiquez vos incisives, de Transylvanie. Une position géographique qui pour d’autres retentirait déjà comme un argument marketing tout trouvé, mais Negura Bunget ne sont pas de la vile race des cironstancistes, pas question de corrompre leur image en se retranchant derrière une gamme de gimmicks éculés. C’est une vision naturelle et épurée de leur région qui est ici mise en avant, une vision réaliste d’attachement indéfectible à cet environnement modeste où plongent leurs racines, une antithèse des guides touristiques, à l’image des panoramas escarpés, lunaires et stériles, pourtant fascinants, qui ornent un très beau livret.
Être à l’écoute de la Nature est d’ailleurs également une des clés de l’album, qui joue énormément sur la profusion de minuscules détails sonores et d’ambiances délayées reproduisant de façon très crédible le panel des impressions tactiles, des extases prolongées ou des angoisses soudaines que l’on peut traverser à l’occasion d’une flânerie dans les sous-bois vers la tombée de la nuit. Loin d’être décourageante ou ennuyeuse, la longueur de certaines ouvertures ou transitions consacrées à la transcription de ces instants figés dans le vent et l’écorce propose à l’auditeur une immersion en temps réel dans cet univers identitaire, berceau de légendes. C’est au hurlement du loup, à l’érosion de la pierre et au tassement de la terre humide sous les pas que s’élèvent les premières révoltes électriques de l’album, dont les quatre longs morceaux ne portent d’autre dénomination que leur ordre d’apparence, une façon de consacrer avec sobriété leur caractère fugitif et intemporel.
Dès la première écoute on hume quelque chose qui distingue « ‘N Crugu Bradului » des productions black metal d’usine tout en le positionnant en chef de meute. Sans entrer dans les détails de cette spécificité, on dira qu’il s’agit d’un excellent album avec un travail de production minutieux qui privilégie une approche crue et acide sans pour autant édulcorer la puissance assez marquante de l’ensemble. Le chant black en roumain, bien que relativement rationné en comparaisond’une étendue exclusivement instrumentale dominante, est convaincant, avec une pointe « terreuse » pas dégueulasse dans l’accent. Mais le meilleur réside bien entendu dans l’écriture elle-même et ses rebondissements perpétuels qui alternent avec aisance les geysers d’agression et les plongées en apnée dans le mystère et la peur. Negura Bunget réveillent et subliment un style racé et épique à la Enslaved (période « Frost »), avec des riffs forts qui soulèvent la poitrine, des larcens ondoyants qui perforent les gencives, et surtout de longues charges sans temps mort qui déchaînent une véritable impression de plein air et de chevauchées belliqueuses au cœur de steppes venteuses avec l’horizon pour seule limite. Néanmoins la redoutable violence lycanthropique de ces parties s’accouple parallèlement avec un jeu – de batterie notamment – prompt à s’enflammer de circonvolutions techniques fort intéressantes à démêler, en cela qu’elles apportent de la durée de vie et du tempérament aux morceaux, sans jamais ralentir leur progression. Vraiment très, très bien tourné, tout ça… Aucune partie qui ne soit pas parfaitement équilibrée, aucun embrasement qui déborde dans l’inutile. La présence de multiples passerelles acoustiques cimente le tout avec notamment des lacis à deux guitares sèches de toute beauté et du… xylophone, instrument utilisé avec un discernement qui en fait une composante viscérale de la musique lors de ses rares emplois. Et, pour finir de démontrer l’intelligence dans la construction de morceaux à la tension et au relief graduel, le synthé est réservé pour les zéniths, lorsque ses arpèges mélodieux et dynamiques viennent ponctuer les pics d’adrénaline en en rajoutant une couche. On est ainsi emmené de force (mais aussi de gré) dans une farandole de sons à l’amalgame prééminent, au meilleur d’un metal noble et enfiévré dont le miroir naturel serait l’apparition soudaine d’une infinie fresque étoilée révélant sa majesté au déclin définitif du disque solaire derrière de la cime des arbres. Alors les décors ambient typiques peuvent redéployer leur lourdeur menaçante lardée de plaintes et d’une inéluctable odeur de mort pour nous traquer jusqu’aux portes d’une nouvelle aube de sang, vers un autre carnage au pied des rochers saillants. A vrai dire la seule chose qui empêche une note encore plus élevée (au moins deux points de plus) est la trop grande opacité de certaines parties dont on a du mal à percevoir le rôle dans le flux de la musique, ce qui trouble un peu la fluidité de l’écoute, heureusement jamais dans les phases majeures ; mais c’est un mal pour un bien puisque cela confirme que Negura Bunget ne sont pas un groupe qui fonctionnent selon le déprimant stéréotype du couplet-refrain. Original, riche, atmosphérique en diable et indomptable, sans doute le meilleur album de black metal total depuis le « Over Bjoergvin graater Himmerik » de Taake.
Rédigé par : Uriel | 16/20 | Nb de lectures : 9601
Petit complément d'information sur cet album dont on parle beaucoup trop peu à mon goût:
- Le CD comporte une plage multimédia qui vaut vraiment le coup d'être vue. Le design et les sons crépusculaires mettent dans l'ambiance, c'est gavé d'informations, de photos, et la philosophie du groupe y est exposée de long en large. De plus il y a une excellente vidéo d'un titre qui n'apparaît pas sur le CD.
- Les 3000 premières copies sont livrées sous la forme d'un très joli digipack format A5 (pour le prix normal), qui contient une petite brindille de conifère authentifiée 100% Carpathes (c'est le groupe lui-même qui les a récoltés dans les bois). OK c'est tout con, mais c'est un gadget symbolique intéressant, ca change des stickers... Ecoutez la musique, reniflez la plante et fermez les yeux: vous êtes parti ;-)
solarfall Invité
Posté le: 18/06/2003 à 10h48 - (4083)
Arf... Excellent le coup du conifère des carpathes ! ^^
Dis moi Uriel, on dirait que tu es un die hard fan des productions de Code666 ? :o) (Faut avouer qu'il a du tout bon...)
Hallu Invité
Posté le: 11/02/2004 à 20h34 - (7233)
yeah j'ai acheté l'album sur amazon, 22 euros, mais le digipack est superbe et j'ai aussi eu droit à la branche de bois :p Très beau packaging et album énorme aussi. Vivement leur 2è vrai album.
Devin Invité
Posté le: 12/08/2004 à 23h09 - (9927)
Leur deuxième vrai album? Sala Molksa et Maiastru Sfetnic sont presque aussi bons (surtout le premier que je préfère aux autres)
Devin Membre enregistré
Posté le: 21/05/2005 à 13h40 - (15805)
Quelle claque cet album .. et le mini qui suit promet de belles choses pour l'avenir !
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Être à l’écoute de la Nature est d’ailleurs également une des clés de l’album, qui joue énormément sur la profusion de minuscules détails sonores et d’ambiances délayées reproduisant de façon très crédible le panel des impressions tactiles, des extases prolongées ou des angoisses soudaines que l’on peut traverser à l’occasion d’une flânerie dans les sous-bois vers la tombée de la nuit. Loin d’être décourageante ou ennuyeuse, la longueur de certaines ouvertures ou transitions consacrées à la transcription de ces instants figés dans le vent et l’écorce propose à l’auditeur une immersion en temps réel dans cet univers identitaire, berceau de légendes. C’est au hurlement du loup, à l’érosion de la pierre et au tassement de la terre humide sous les pas que s’élèvent les premières révoltes électriques de l’album, dont les quatre longs morceaux ne portent d’autre dénomination que leur ordre d’apparence, une façon de consacrer avec sobriété leur caractère fugitif et intemporel.
Dès la première écoute on hume quelque chose qui distingue « ‘N Crugu Bradului » des productions black metal d’usine tout en le positionnant en chef de meute. Sans entrer dans les détails de cette spécificité, on dira qu’il s’agit d’un excellent album avec un travail de production minutieux qui privilégie une approche crue et acide sans pour autant édulcorer la puissance assez marquante de l’ensemble. Le chant black en roumain, bien que relativement rationné en comparaisond’une étendue exclusivement instrumentale dominante, est convaincant, avec une pointe « terreuse » pas dégueulasse dans l’accent. Mais le meilleur réside bien entendu dans l’écriture elle-même et ses rebondissements perpétuels qui alternent avec aisance les geysers d’agression et les plongées en apnée dans le mystère et la peur. Negura Bunget réveillent et subliment un style racé et épique à la Enslaved (période « Frost »), avec des riffs forts qui soulèvent la poitrine, des larcens ondoyants qui perforent les gencives, et surtout de longues charges sans temps mort qui déchaînent une véritable impression de plein air et de chevauchées belliqueuses au cœur de steppes venteuses avec l’horizon pour seule limite. Néanmoins la redoutable violence lycanthropique de ces parties s’accouple parallèlement avec un jeu – de batterie notamment – prompt à s’enflammer de circonvolutions techniques fort intéressantes à démêler, en cela qu’elles apportent de la durée de vie et du tempérament aux morceaux, sans jamais ralentir leur progression. Vraiment très, très bien tourné, tout ça… Aucune partie qui ne soit pas parfaitement équilibrée, aucun embrasement qui déborde dans l’inutile. La présence de multiples passerelles acoustiques cimente le tout avec notamment des lacis à deux guitares sèches de toute beauté et du… xylophone, instrument utilisé avec un discernement qui en fait une composante viscérale de la musique lors de ses rares emplois. Et, pour finir de démontrer l’intelligence dans la construction de morceaux à la tension et au relief graduel, le synthé est réservé pour les zéniths, lorsque ses arpèges mélodieux et dynamiques viennent ponctuer les pics d’adrénaline en en rajoutant une couche. On est ainsi emmené de force (mais aussi de gré) dans une farandole de sons à l’amalgame prééminent, au meilleur d’un metal noble et enfiévré dont le miroir naturel serait l’apparition soudaine d’une infinie fresque étoilée révélant sa majesté au déclin définitif du disque solaire derrière de la cime des arbres. Alors les décors ambient typiques peuvent redéployer leur lourdeur menaçante lardée de plaintes et d’une inéluctable odeur de mort pour nous traquer jusqu’aux portes d’une nouvelle aube de sang, vers un autre carnage au pied des rochers saillants. A vrai dire la seule chose qui empêche une note encore plus élevée (au moins deux points de plus) est la trop grande opacité de certaines parties dont on a du mal à percevoir le rôle dans le flux de la musique, ce qui trouble un peu la fluidité de l’écoute, heureusement jamais dans les phases majeures ; mais c’est un mal pour un bien puisque cela confirme que Negura Bunget ne sont pas un groupe qui fonctionnent selon le déprimant stéréotype du couplet-refrain. Original, riche, atmosphérique en diable et indomptable, sans doute le meilleur album de black metal total depuis le « Over Bjoergvin graater Himmerik » de Taake.
Rédigé par : Uriel | 16/20 | Nb de lectures : 9601