« Majestas Leprosus » semble célébrer le couronnement d’un curriculum qui, au cours des douze dernières années, a pas mal tourné en rond au fil des rééditions et des retours à la case démo. En tout cas, il donne l’impression de vomir un une seule gerbe toute la mauvaise bile emmagasinée depuis 1992 et la fondation du groupe – originellement un trio, doublement amputé entre-temps. Car la généreuse débauche d’énergie qui caractérise cet enregistrement n’est rien tant qu’un adieu aux frustrations, la revendication bouillante d’un soldat réserviste resté attaché aux convictions inculquées pendant son service, qui a vu bien des batailles se gagner et d’autres se perdre autour de lui, et qui sent que, à l’heure où la ligne de front menace de se désagréger, c’est le moment ou jamais de placer une charge, histoire de repeindre la bannière avec du sang frais. Et force est de constater qu’on découvre à Mütiilation, autrefois second-couteau pas assez affûté, l’âme d’un chef de meute ayant compris à point nommé que faire partie des légions du black metal peut supposer davantage que l’allégeance à un code d’honneur ; on peut par exemple tout à fait y associer un arsenal musical aux dents longues – et du même coup déplacer le focus des à-côtés provocateurs vers le contenu.
Un contenu qui fait à bon escient la part belle à des mélodies glaciales en intervalles mineurs, placées (comme sur le tumultueux « Tormenting my Nights ») en début de section pour insuffler au morceau un élan neuf et impulsif. Souvent d’ailleurs, la partition néglige la transition et emboîte les segments à la force du poignet, une façon de faire qui en ferait hurler certains mais ne devrait pas désorienter les habitués du genre qui en voient des vertes et des pas mûres en matière de cohérence mutilée. La batterie (programmée), quant à elle, s’acquitte de ce schéma décousu avec les honneurs, se reposant sur des changements de peau ou de tact pour s’adapter au ton de l’instant – pas que l’ambiance générale saute du coq à l’âne sans prévenir, remarquez, d’où le fait que le levier de vitesse reste la plupart du temps bloqué entre, dirons-nous, la quatrième et la cinquième…
Verdict global, il y a du très bon et du un peu moins bon sur « Majestas Leprosus ». Le très bon ce sont en priorité les trois premiers titres (hors intro), truffés de riffs bien profilés et empreints d’une haleine nocive particulièrement pénétrante. Le un peu moins bon, c’est la disparité du reste, qui ne parvient que plus sporadiquement à fixer le même climat de possession, même si la rancœur sans limites de l’ensemble ne se dément pas. Mais ce qu’il est impératif de retenir de cet album, c’est que Mütiilation a su avancer d’une obédience initiale assurément (logiquement) norvégienne vers une traduction largement individuelle du langage maudit. La monotonie et la grisaille marécageuse, qui sont d’ordinaire l’apanage du style, gagnent ici plusieurs galons dans le dynamisme, et les vocaux sympathiquement faisandés insufflent une résolution autoritaire au lieu de s’en tenir à un hurlement de misère prisonnier des neiges éternelles. Je situerais à cet effet Mütiilation quelque part entre Darkthrone et Antaeus, à savoir une connexion bien identifiable aux racines nordiques couplée à la crudité vénéneuse et à l’immoralité spécifiques à « l’école » hexagonale.
Un artwork abject à souhait et une production estampillée chambre de torture sont autant de munitions à la cartouchière d’un groupe qui peut espérer (s’il l’espère) quitter la sphère du confidentiel pour, à l’instar d’un Nehëmah, planter sa griffe perfide sur un rayon de reconnaissance bien plus étendu. « Un des meilleurs albums de black metal underground jamais réalisés… », clame la fiche bio dans une effusion de zèle de bonne guerre. Sans aller jusque là, on peut rapprocher cette déclaration de la vérité en lui accolant l’extension « … en France ».


Rédigé par : Uriel | 13/20 | Nb de lectures : 9201