Si je me fiais uniquement au nombre de joyaux qui ont frayé leur chemin jusqu'à ma boîte aux lettres récemment, il y aurait matière à affirmer que la qualité générale des nouveautés black metal a tombé le parachute et s'en va percuter le sol à la vitesse de la diarrhée après une coloscopie. Heureusement je sais qu'il n'en est rien (frères, ne gobez pas tout ce qu'on vous raconte), reste qu'une cure de daubicine comme celle que je m'inflige depuis une dizaine de semaines aurait de quoi ébranler les convictions les plus fermes. Dernière escale en date: Mord, trio allemand composé exclusivement de membres ou ex-membres de Zorn. Ce qui invite déjà à se demander, en ayant à l'esprit le niveau respectable du dernier opus de Zorn, à quoi on a exactement affaire ici. Du rebut de studio? Un projet largement antérieur? Une expérience avortée à mi-conception? Peu importe la cause, c'est la conséquence qu'il faut se taper. Et quand je dis “se taper”, c'est le premier degré qui parle. Le groupe a beau faire sien un champ lexical explicite (Mord = meutre), leur black à l'armure transparente et à la démarche de pachyderme sclérosé ne risque pas de trucider grand monde. En faisant le choix de la répétition et du dépouillement sur des tempos exécutés de manière extrêmement rigide, Mord se devaient d'accorder une attention redoublée à l'échafaudage d'atmosphères abstraites propices à revêtir l'auditeur d'une sorte de camisole hypnotique. En fait de quoi toutes les pistes qui composent la musique ont un visage bien trop “terre à terre” qui conduit à buter sur le détail plutôt que se noyer dans le tout, comme devrait le permettre un album de black metal accomplissant une bonne synthèse d'émotions épidermiques et d'ondes maléfiques. Le mix du chant, qui plus est, est une catastrophe: propulsés bien trop en évidence au premier plan, les râles grumeleux (et loin d'être incontournables) pleuvent sans cohésion de facto avec l'instrumental. Lequel se partage entre de vastes monologues sans rebondissement à la Nargaroth (l'effet Kiss-Cool en moins, naturellement) et, sur la seconde moitié de l'album, des titres plus énergiques dont l'empreinte mélodique en double-rideau, ponctuellement assimilable à du Dark Funeral préhistorique, s'efface sous une production sèche et uniformisante qui, encore une fois, refuse aux instruments l'obole d'une âme, et à l'auditeur toute porte d'entrée dans un “trip”. Et ce ne sont pas les quelques mini-highlights éparpillés ici et là comme des oursins sur un fond sablonneux – notamment sur “In the Forest of the Dead Souls” (accélération progressive et efficace vers une rythmique dark metal) et “My Godless Ways” (globalement le morceau le plus en jambes avec son matraquage couillu et ses riffs carnassiers) – qui pèseront lourd dans la balance au final. Tout au plus peut-on en retirer un mince halo d'espoir pour l'avenir (?) du groupe. On ne peut vraiment pas reprocher à Mord de ne pas y mettre tout leur coeur, où tout au moins toutes leurs tripes, mais le résultat tel qu'il se présente est beaucoup trop limité musicalement et perclus de crampes dans sa finition pour survivre longtemps au capital indulgence alloué à tout album dont les premières impressions sont coincées à mi-pente entre le décevant et le passable. S'il vous faut à tout prix un groupe de black à tendance dépressive en provenance d'Outre-Rhin, choisissez entre Wigrid et Mord. Choisissez entre la mort par le froid et la mort par l'ennui.


Rédigé par : Uriel | 06/20 | Nb de lectures : 8307