Voici inévitablement un disque qui va faire parler de lui. La carrière bien remplie d'un des plus grands groupes de death de l'histoire est déjà un sujet de discussion à elle toute seule et force est de constater que chaque petit évènement qui a ponctué la vie du groupe a donné lieu à d'interminables discussions souvent sans grands fondements. Le seul évènement vraiment digne d'importance a bien sûr été le départ de David Vincent et l'arrivée de Steve Tucker aux vocaux. Ce changement a indubitablement formé un grand fossé entre deux catégories de fans. Si personnellement, je me situe parmi les adorateurs de l'époque Vincent, je conçois parfaitement que l'arrivée de Tucker ait pu réjouir certains d'entre vous. Si le bon David aimait donner une image sulfureuse qui ne plaisait bien évidemment pas à tout le monde, l'arrivée de Steve a calmé quelque peu les esprits et Morbid Angel est devenu -est-ce un bien ou un mal ?- un groupe plus rangé, peut-être plus homogène, mais dans tous les cas beaucoup moins médiatisé. Même les quelques modifications dans le line-up n'ont pas fait parler beaucoup d'elles. La portion congrue Tucker/Azagtoth/Sandoval a d'ailleurs amplement suffit pour composer ce disque, comme c'était d'ailleurs déjà le cas pour "Formulas fatal to the flesh", Erik Rutan ayant fait le yoyo depuis "Domination".
J'ai pas mal réfléchi sur le sujet et je me suis demandé pourquoi Morbid Angel avait à ce point divisé ses fans entre ses deux périodes. J'ai émis la supposition suivante qui est à prendre avec des pincettes : Morbid Angel n'est plus un groupe de death traditionnel depuis un petit moment. Les guitares qui deviennent de plus en plus lourdes et sombres, les rythmes ralentis qui se généralisent, la production qui se densifie, les morceaux qui sont moins facilement assimilables font qu'on pourrait aisément cataloguer le disque dans un dark-metal qui leur est propre. J'aimais beaucoup la clarté de leur interprétation et de la production sur les premiers disques et j'avoue avoir été déconcerté plus d'une fois par leur nouvelle orientation. Et ce n'est pas ce "Heretic" qui va changer la donne. C'est toujours aussi lourd, aussi malsain et cette alliance de sonorités brutes et de musicalité dépouillée est une fois de plus renforcée par un mixage délibérément ténébreux et qui frustrera à coup sûr les aficionados des grosses productions actuelles. Pourtant, ce son convient très bien aux compositions. Le premier extrait "Enshrined by grace" apporte une touche groovy rare et sa structure est à la fois brute et raffinée, prenant d'entrée l'auditeur à contrepied en lui faisant miroiter une accélération qui ne s'éternisera jamais bien longtemps et qui ne constitue pas l'ossature principale du morceau. La voix de Tucker se pose comme une incantation diabolique sur des notes au goût étrange ponctuées par des riffs toujours aussi typiques du groupe et je reconnais que le vocaliste a véritablement trouvé son créneau et qu'il maîtrise bien mieux son organe qu'auparavant. Parmi les autres morceaux intéressants, on peut noter "Praise the strength" et "Stricken arise" qui auraient aisément pu figurer sur "Covenant" et qui se plaisent à cultiver insidieusement l'habituelle ambiance torturée à l'extrème. On trouve quand même des titres globalement rapides comme "Within thy enemy" dont les roulements de double de Sandoval feront danser la samba à vos poumons dans votre cage thoracique. Si les soli sont dans la tradition du distordu à souhait, on constate agréablement que certains riffs sont comme toujours bien trouvés et que le le groupe peut s'auto-congratuler d'une belle coquarde "label morbidien d'appelation d'origine contrôlée". Les meilleurs exemples sont à chercher dans l'intéressante progression instrumentale de "Beneath the hollow" ou dans l'aspect plus modéré et contrôlé de "Curse the flesh".
Pourtant, car il faut toujours un pourtant, ce disque n'est peut-être pas le chef d'oeuvre que l'on attendait (qui a dit encore ?). Si la plupart des morceaux sont bien foutus, assez complexes pour retenir l'attention quelques temps et forcément un niveau au-dessus d'une grosse majorité de suiveurs, "Heretic" ne laisse pas un souvenir impérissable. Est-ce la faute à des parties parfois un peu trop tarabiscotées, à des breaks au goût furtif d'inachevé, à un sentiment qu'aucune surprise n'arrivera ? Même si ce disque est très correct, je reste persuadé qu'il ne figurera pas au panthéon des grandes oeuvres de Morbid Angel comme le sont devenues les quatre premières réalisations du groupe (j'élude volontairement "Abominations...", mascarade promotionnelle par excellence). On a affaire ici à de fabuleux musiciens, à une formation qui possède une réelle identité mais qui semble produire le minimum syndical. J'en veux pour preuve les cinq (oui 5 !) instrumentaux qui n'apportent pas tous le surplus d'ambiance que l'on adorait chez un "Desolate ways", un "Doomsday celebrations" ou un "Nar Mattaru". De plus, le placement un peu étrange de l'aérien "Abyssous" après le chaotique "Place of many deaths" laisse la sensation d'une pause un peu trop prolongée de presque six minutes dans le cheminement de l'album. Vous me direz que je fais la fine bouche, mais je pense qu'un album aussi attendu aurait certainement mérité un peu plus de soin dans l'agencement de ses morceaux. Ajoutez à celà les deux derniers "titres" (qui figurent sur le promo, je ne sais pas si des changements auront lieu sur la version du commerce) qui consistent pour le premier "drum check" en une démonstration du talent de Sandoval -épatante de surcroît mais qui n'a rien à faire ici- et pour le second "Born again" en une branlette de manche toute aussi dispensable et qui rappelle le maxi onanique "Love of lava". Mais que peuvent bien faire ici ces deux pièces inutiles qui terminent l'album sur une queue de poisson magistrale ? Bref, ce sont des détails, mais certains détails irritent.
En conclusion, je dirais que Morbid Angel sur ce coup là ne surprend pas, ne déçois pas et ne se renouvelle pas vraiment. Sans parler de stagnation, je pense que face à une concurrence de plus en plus pléthorique, face à des jeunes loups souvent aussi talenteux qu'opportunistes, Morbid Angel aura du mal à se faire respecter à moyen terme. La note sera donc attribuée non pas pour casser bêtement un groupe mythique, mais pour chercher un début d'explication à une inspiration qui ne me satisfait plus pleinement depuis un petit moment. Bien, mais pas très bien.


Rédigé par : Loufi | 14,5/20 | Nb de lectures : 12248