Écouter de la musique nous confronte à un objet qui ne saurait se soustraire au temps. Dans un double mouvement contradictoire, l'œuvre d'art ancre l'acte fugace de l'artiste dans la permanence mais demeure elle-même en perpétuelle mutation.
Loin d'être figé, le travail de Roberto Mammarella au sein de MonumentuM ne cesse d'évoluer vers des formes qui refusent la cristallisation ; dans son essence mais aussi dans son expression. En effet, « In abstentia christi » nous est présenté ici dans sa troisième édition sur laquelle les amateurs de musiques sombres et de gothic metal ne devraient pas faire l'impasse.
La genèse de l'album est en elle-même assez chaotique et s'inscrit en creux dans les vicissitudes de la scène extrême au début des années 90. La sortie initiale du disque était prévue sur le label norvégien Deathlike Silence Productions, propriété d'un certain Oystein Aarseth plus connu sous le pseudo d'Euronymous. Ce dernier voit sa carrière de producteur interrompue par Varg Vikernes en 1993 (vous savez comment) et laisse donc le groupe sans label. Composé entre 90 et 95 et enregistré cette même année, « In abstentia christi » voit finalement le jour sur le label britannique Misanthropy records... créé initialement par une fan de Burzum pour distribuer les albums de Vikernes depuis sa cellule.
Remasterisé en 2006, l'album connaît les honneurs d'une édition limitée en 2007 avant la sortie qui nous intéresse aujourd'hui chez Displeased Records. Quid de cette dernière/ultime version?

Outre un nouvel artwork et le travail de dépoussiérage effectué au studio Altamira, l'album jouit d'un titre bonus enregistré en 1997 auquel ont été greffées en 2008 les lignes vocales de Niklas Kvarforth -Shining (Swe)- c'est d'ailleurs le seul titre en écoute sur la page Myspace du groupe.
Curieux travail d'un groupe à la réputation plutôt confidentielle qui ne cesse de muer depuis quinze ans au gré de ses connections avec la sphère black européenne. Roberto Mammarella, leader et principal compositeur du groupe est lui-même un acteur de cette scène puisqu'il crée à Milan Obscure Plasma records, première mouture du label italien Avantgarde Music ayant compté dans son catalogue de grands noms du black ou du doom (Mayhem, Shining, Taake, Ulver etc.) - en outre, Mammarella a officié comme guitariste au sein de Cultus Sanguine jusqu'en 97.
Pourtant la musique de MonumentuM évolue dans un style assez différent, bien plus proche de Fields of the Nephilim et des groupes de gothic flirtant avec le post-punk. Longues plages instrumentales, chant éthéré, mélodies sépulcrales ou minimalistes composent un tableau étrange et pénétrant -pour reprendre l'onirisme à la Verlaine- d'où émergent les voix envoutantes de Andrea Zanetti (Iconoclast) et Francesca Nicoli (Ataraxia). Les compos de l'album alignent avec bonheur les références à la poésie de Paul Valery et de l'auteur italien Giacomo Leopardi dans une ambiance globalement dédiée aux multiples figures de la mélancolie.
L'ensemble ne manque ni d'inspiration ni de souffle et pourtant le morceau qui retiendra le plus mon attention est une prodigieuse reprise du tube « Fade to grey » enregistré par le groupe pop Visage dans les années 80 (même les plus jeunes connaissent forcement). Le titre est absolument magique, porté par le chant de Francesca N. dont les mélodies surgissent désormais dans mon esprit aux moments les plus inattendus.

Même si le groupe est réputé encore en activité, MonumentuM n'a rien proposé depuis assez longtemps pour qu'on s'interroge sur son statut actuel. Cette réédition, si elle ne comporte en soi rien d'exceptionnel, possède au moins le mérite de sortir de l'ombre la vraisemblablement meilleure production du groupe. Entre dark, doom et gothic « In abstentia christi » devrait suffisamment enténébrer votre esprit pour que vous n'en regrettiez jamais l'acquisition.


Rédigé par : #Guillaume# | Reedition/ | Nb de lectures : 12400