Etrange symbolisme que celui de ce visuel monochrome, de ces énigmatiques géants aux mimiques d’automates mutilés dont les jupes de metal emprisonnent une multitude d’âmes blafardes et dénudées. De quoi alimenter un chaudron de perplexité et de conjectures avant même d’avoir inséré le CD dans sa platine. Un flou esthétique qui ne risque pas de se dissiper avec l’arrivée de la musique, tant la résurrection de ce groupe d’un album (le culte « In Absentia Christi ») que fut MonumentuM entraîne l’auditeur dans une parodie de labyrinthe végétal biscornu et démesuré où ladite végétation est toute enchevêtrement de ronces métalliques et de feuillages à la chlorophylle métastasée de rouille acide.
« Ad Nauseam » est un album polaire qui capitalise sur ses résurgences trip-rock gothique pour filtrer dans les limites de l’évidence et du tolérable un épanchement massif d’informations soniques hantées par d’inquiétants échos et murmures synthétiques, comme une armée de poltergeists androïdes faisant constamment pression pour envahir le canal musical. De véritables récitals électro-ambient structurés sur plusieurs étages, du genre à transformer le système nerveux en une rivière de chair de poule avec la sensation tenace qu’une main invisible s’échine à vouloir vous punaiser une lame de rasoir dans la carotide. Voilà le genre de médication que MonumentuM se mettent en devoir d’administrer, ou comment soigner la schizophrénie par une overdose d’hallucinations glauques et de stimuli corrosifs défoncés à la réverb’. Et pourtant que ces chansons sont envoûtantes… C’est bien simple, j’en perds mon latin. Il faudrait presque écrire un livre pour raconter – et analyser – tout ce qui se passe d’un bout à l’autre d’« Ad Nauseam », et on s’approcherait déjà plus du format encyclopédique que de la Bibliothèque Rose, croyez-moi ! Néanmoins je vais essayer de décrire avec le plus de clarté possible ce que je considère comme les grandes lignes de l’album.
Le tempo se larve dans les grandes lenteurs, gardé en éveil par un arsenal de percussions sourdes ou tectoniques qui contribuent grandement à établir une atmosphère chargée d’oppression. La grosse alternative que propose « Ad Nauseam » au doom noir de tradition, c’est la proportion plutôt restreinte de la guitare comme instrument phare de la base rythmique. Même si quelques courts embrasements saturés se chargent d’encadrer la trame des morceaux, une multitude de sonorités de toutes origines se mêlent aux avant-postes, créant un synchronisme hétéroclite inouï qui démultiplie l’écoute en sections révolutionnaires au gré des clashs industriels utilisés comme des dance-beats, des loops de séquenceur en réfraction, et de tant d’autres sortilèges miniatures au profil plus ou moins organique (moins que plus la plupart du temps). Cette caractéristique accouche d’un album dual, que l’on peut écouter comme un ensemble semi-relaxant mais tendu de mystères, ou bien en s’attachant à percer la mosaïque de détails, auquel cas il est conseillé de s’y coller au casque sans aucune distraction externe. MonumentuM transcendent ainsi l’approche toujours un peu minimale ou secondaire de l’habillage éléctronique, en lui insufflant une âme et d’authentiques sautes d’humeur, une véritable intelligence artificielle. Roberto Mammarella et sa bande préservent tout de même quelques apparences avec un trio basse/guitare/batterie parfois activé dans sa configuration ordinaire sans du tout rider l’enveloppe post-moderne des morceaux, tout comme un synthé qui pose des nappes légères et sidérales comme sur une bonne vieille ballade traditionnelle de rock alternatif, un peu à l’instar de leurs excellents compatriotes de Canaan d’ailleurs. De même, le chant ne se départit pas de ses gammes terrestres avec des refrains qui oscillent entre le flegme tantôt stentorien, tantôt interdit du vocaliste masculin et les mélodies accentuées d’une charmante prima donna qui n’est pas sans rappeler Anneke de The Gathering.
S’il est en définitive plus fiévreux et déroutant que dépressif, le MonumentuM cru 2002 dissimule tous les stigmates du mal-être et des phobies qui rongent son créateur, comme cette communication grésillante samplée tout au fond de « Angor Vacul » qui prend une signification toute particulière lorsque l’on sait qu’il s’agit d’un authentique enregistrement des dernières paroles d’un pilote d’avion avant un crash mortel… En album mûri depuis plus d’une demi-décennie, « Ad Nauseam » se pose en passerelle entre une fin de siècle sombre, prophétique, et le nouveau design auditif d’une ère où l’avant-gardisme jusqu’au-boutiste commence à faire figure de parangon. S’ils avaient vu le jour vingt ans plus tard, The Cure n’en auraient pas fait plus…


Rédigé par : Uriel | 17.5/20 | Nb de lectures : 9735