MONOLITHE - Monolithe I (Appease Me/Adipocere) - 08/09/2003 @ 09h48
Depuis quelques mois, le microcosme d’ordinaire plutôt reclus qu’est le doom metal connaît un indiscutable renouveau. Dans le sillage de l’émergence triomphatrice d’un Shape of Despair, on voit de plus en plus revenir sur le devant de l’actualité les noms de dinosaures que l’on croyait éteints, tels que Morgion ou encore Skepticism. Quel meilleur contexte donc pour favoriser l’éclosion d’un projet nouveau qui porterait dans son organisme le patrimoine génétique du doom mais n’hésiterait pas à le conjuguer à des temps et modes tout à fait autonomes ? Ce projet inédit et ambitieux, on le doit à une clique bien de chez nous : Monolithe. Emmenés par leur chef de meute Sylvain Bégot (Anthemon), à qui l’on doit l’idée fondatrice et l’intégralité de la composition, ce sont en tout cinq musiciens qui constituent le poumon d’une œuvre panoramique dont l’atypie n’est pas le moindre caractère.
« Monolithe I » est le premier d’un nombre encore indéterminé d’albums pour autant de longs morceaux uniques censés s’emboîter l’un dans l’autre pour au final former un concept réflexif d’une très vaste portée, partant des origines de la vie - mais laissons retomber le voile sur l’avenir et penchons nous sur le berceau d’une première œuvre qui ne se résume pas à la pose d’un décor et aux premiers pas, mais s’affirme comme un chapitre abouti en soi, avec son histoire, ses rebondissements, son ossature…
L’expérience Monolithe prend naissance à la manière d’un fleuve : à la source. Le clapotis cristallin de l’eau sur le lit caillouteux d’un ruisseau sert en effet d’introduction toute en douceur, il invite l’esprit à se détendre pour mieux accepter le voyage, en même temps qu’il symbolise le courant fondamental ténu mais inexorable qui irrigue continuellement les racines de l’album. Lorsque les guitares expulsent leurs premiers rugissements souterrains, rejoints par une batterie économe de mouvements, on comprend que la visite guidée de l’univers Monolithique se fera sans aucun empressement, sans aucune fuite en avant. Les maître-mots seront la patience et la force d’observation. S’il demeure grave et lourd, le son n’a pour autant rien de particulièrement ultime dans le genre. On n’a pas l’impression que la guitare se liquéfie comme une limace prisonnière d’un caveau exigu. Au contraire, le regard de la composition semble en permanence pointer vers cette lumière au bout du tunnel, dont les faisceaux viennent frôler la surface de la musique et la rendre plus souple que celle de la plupart de ses congénères, abonnés aux catacombes. Le mérite en revient en grande partie aux guitares claires qui endossent fréquemment le rôle de traction avant, notamment au début de chaque segment du morceau. Elles déposent ainsi un sédiment mélodique très pur qui tire le cortège instrumental sur de longues distances et l’enveloppe d’un aspect « actif » plutôt que « passif » - Sylvain Bégot est un homme de riffs, il eut été surprenant qu’il n’en place pas tout un assortiment.
Le deuxième agent de clarté de « Monolithe I » est - presque en toute logique - le synthé. Les premières réactions de la presse font état de comparaisons avec Shape of Despair, ce qui bien entendu ne peut pas être pris au pied de la lettre car les objectifs et les moyens des deux groupes ne peuvent se confondre. D’un autre côté, l’utilisation du clavier en nappes mystiques et en conjonctions de transitions peut en effet évoquer le travail des Finlandais, bien que chez Monolithe, comme on l’a vu précédemment, ce sont les guitares qui emmènent le convoi, le synthé venant se greffer comme appoint atmosphérique - avec un bonheur indéniable, car le choix des sonorités et des harmoniques est ici une véritable affaire de goût.
Une autre singularité découle de la présence d’un trio de guitaristes dans le line-up : on assiste fréquemment à des passes d’armes à plusieurs guitares qui surpassent les ordinaires schémas lead/rythmique. Il n’est ainsi pas rare de retrouver deux lignes mélodiques différentes (naturellement complémentaires) avec une troisième guitare jouant un motif récurrent en filigrane, comme pour arbitrer de manière impartiale le duel des deux autres. Il faut y prêter attention car ce n’est pas le genre de détail qui saute aux oreilles lorsqu’on reste attaché à l’impression globale, mais lorsqu’on a cerné l’affaire, ce sont des scènes assez saisissantes de créativité et de tact qui se jouent.
Restent les vocaux, confiés à Richard Loudin de Despond - un autre fer de lance du doom national pour les non-initiés. Outre quelques passages parlés ou chuchotés (où l’on a le loisir d’apprécier un admirable accent franchouillard), le chant est de la famille du guttural, avec un petit côté désincarné du aux effets de réverbération qui y sont injectés. A moins que je ne me trompe, les lignes vocales ne sont pas censées insuffler une quelconque dynamique par elles-mêmes, mais épousent par leur parcimonie et leur langueur les mouvements de la musique. C’est un peu comme si les chroniques de Monolithe nous étaient récitées par le râle diffus d’un Behemoth accroupi au fond d’une tanière impénétrable. Si l’idée est alléchante, il existe un petit nombre d’endroits dans l’album où le chant ressort avec trop de soudaineté et de puissance par rapport au reste du mix. C’est juste histoire de pinailler mais quitte à encenser l’album, autant aussi mentionner les petits bémols par souci d’exhaustivité.
La boîte à rythmes est programmée de manière sobre mais largement suffisante. Elle suscite un certain temps d’adaptation, je n’en fais pas mystère, car le contexte de Monolithe fait ressortir sa sécheresse, en particulier lors des ersatz de roulements, assez pénibles à l'écoute. Mais une fois le pas franchi - et il se franchit sans difficulté excessive - on a tôt fait d’oublier le côté inorganique des impacts pour focaliser son attention sur des choses ô combien plus vitales.
Par exemple la certitude quasi dogmatique que « Monolithe I » n’est pas le genre d’album dans lequel on peut entrer et sortir comme dans un moulin. 52’00 ça peut paraître long pour une concentration soutenue, mais en définitive ça passe comme une lettre à la poste, car ici on ne parle pas de patchwork à la Frankenstein, de fragments indépendants collés bout-à-bout pour la forme (cf. Green Carnation sur « Light of Day, Day of Darkness »). On parle bel et bien d’une chanson évolutive, d’un bloc indivisible marqué par une multitude de relations et d’interactions pas uniquement chronologiques entre ses différentes étapes. En éluder une partie pour une raison ou une autre cause immanquablement la rupture du charme, et il faut alors s’astreindre sérieusement pour retrouver le fil, ce qui n’a pas grand sens dans la mesure où l’album est définitivement conçu pour être ingurgité cul-sec !
Et puis soyez conséquent… Les sensations qu’un tel album est à même de procurer peuvent être aisément décuplées si l’on fait l’effort de rechercher les conditions d’écoute optimales - sans doute propres à chaque individu. En clair évitez de confiner « Monolithe I » à un arrière-plan sonore pendant le visionnage d’un match de foot et la dégustation d’un sachet de chips… Essayez - ce n’est qu’une suggestion - d’attendre qu’il fasse nuit noire… passez le CD au casque… montez le volume au plus proche de votre seuil de tolérance… ouvrez la fenêtre sur le ciel nocturne… pensez à quelque chose de vertigineux… pensez au fossé temporel qui gît entre l’instant présent et la nuit des âges… pensez à la distance entre les étoiles… et puis ne pensez plus à rien… laissez la musique vous envahir progressivement… complètement… fermez les yeux… partez…



Rédigé par : Uriel | 17/20 | Nb de lectures : 8166




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Commentaire
Silenius
Invité
Posté le: 08/09/2003 à 16h11 - (5207)
Un album de métal maudit véritablement enthousiasmant,qui réussit à évité la redondence qui parfois peut faire défaut à ce genre qu est le Doom métal.Une pièce d un seul tenant ,sans félures apparentes qui absorbe l esprit et le relache pantelant mais heureux d avoir participer à une si belle démonstration dans ce créneau musical véritablement passionnant.Magnifique album.

Uriel
Invité
Posté le: 27/10/2003 à 14h48 - (5923)
Je fais remonter au cas où certains qui ont découvert entre temps auraient envie de poster un commentaire sur ce grand moment de doom novateur!

nico92
Invité
Posté le: 06/02/2004 à 10h04 - (7086)
Dur dur d'accès mais ce genre de disques ne peut qu'être bénéfique à la scène française. Vivement le prochain !!

Richard de Monolithe
Invité
Posté le: 19/03/2004 à 18h38 - (7779)
je remonte sur MONOLITHE pour vous annoncer que nous venons à peine de finaliser notre second album, qui s'intitulera simplement "Monolithe II".
Sortie prévue avant l'été !

Devin
Invité
Posté le: 20/03/2004 à 11h42 - (7788)
On en peut plus d'attendre :)

Richard de Monolithe
Invité
Posté le: 20/03/2004 à 18h13 - (7794)
hum... et à vrai dire moi non plus !!! j'ai pas encore écouté le mastering définitif, mais je pense que M2 va faire mal... en tout cas j'ai très hâte de l'écouter (début avril pour ce qui est des membres du groupe)

Richard
Invité
Posté le: 12/10/2004 à 20h02 - (10864)
Comme vous le savez sans doute, MONOLITHE a signé chez Candlelight Records (enfin notre label Appease Me l'a fait pour nous...) et donc un retard dans la sortie de "M2" s'en est suivi... mais patience la galette sera sortie cet hiver.

hallu
Membre enregistré
Posté le: 01/07/2005 à 17h01 - (16826)
Raté elle est sortie cet été lol, chronique sous peu =)

Clalire
Membre enregistré
Posté le: 27/01/2013 à 14h00 - (105717)
Jamais eu de chronique du II et pas encore celle du III...? dommage, cet album le mérite vraiment ! un vrai voyage ! pas encore tenté d'enchaîner la trilogie, mais ça doit être une expérience à faire !!! bravo, vivement le IV.

chronique que je n'avais jamais lue mais excellente (sacrée plume ce Uriel) !



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