Sont-ce ses études en philosophie ou ses origines qui l’ont vu naître dans le capitalisme stérilisé d’une Confédération Helvétique irritante de neutralité, toujours est-il que Vladimir Cochet n’est pas un musicien comme les autres. Si ses congénères métalliques prônent, pour une majeure partie, l’ambiance moite des locaux de répet miteux ou l’aventure humaine et complexe de jouer dans une formation avec d’autres gus tout en réussissant la prouesse de ne pas se foutre sur la gueule dans une overdose de promiscuité, lui préfère ne s’entourer que de sa seule compagnie pour accoucher sporadiquement d’albums d’une qualité souvent égale. « Me, myself and I » cette formule semble parfaitement convenir au personnage qui assure donc des talents multiples de chanteur, guitariste, bassiste, organiste, programmateur, producteur, ingénieur du son et concepteur graphique dans chacun de ses groupes. Alors il y a deux possibilités : soit ce type est autiste, soit il s’emmerde ferme dans son petit coin de Suisse.

On peut dire d’ailleurs que l’année 2008 aura été source d’inspiration pour Vladimir puis qu’après ce troisième album de MIRRORTHRONE et la sortie du deuxième WEEPING BIRTH dont je vous parlerai très bientôt, le nouveau UNHOLY MATRIMONY nous est arrivé avec l’automne.

L’inspiration, les idées et le talent étant hautement solubles dans la musique quand on la déverse en proportion trop généreuse (et les détracteurs de Sin Nanna ne me feront pas dire le contraire), on serait en droit de craindre qu’il en soit de même pour le « cas Cochet » et c’est pourtant tout le contraire. Pourtant cette réussite trouve facilement son explication dans le choix déterminé d’exprimer des textures, des facettes, des ambiances bien distinctes dans chacun de ses projets et si l’on retrouve toujours le « style Cochet », il ne se traduit jamais exactement de la même façon d’un groupe à l’autre. Mais, trêve de psychologique de comptoir et penchons-nous plutôt sur le successeur du grandiose « Carriers of Dust » qui avait marqué les esprits début 2006. Vladimir Cochet avait peut-être enfanté là son album le plus abouti, le plus ambitieux, le plus disproportionné, son plafond de chapelle Sixtine à lui. Il va de soi que la gageure de lui accoler un successeur à la hauteur n’était une mince affaire. Mais la plus grande erreur serait peut-être d’aborder « Gangrene » avec une pensée trop appuyée pour son prédécesseur.

Si « Gangrene » est un nouveau chapitre pour MIRRORTHRONE, il n’est pas pour autant la suite de « Carrier of Dust » et certains trouveront peut-être en cela une source de déception. Cela n’enlève rien aux qualités prodigieuses explorées tout au long des quelques soixante-quatre minutes de ce petit bijou. On retrouve toujours cette alternance de black metal grandiloquent émaillé de death avec ces blasts de bar diaboliquement bien programmés et ces phases orchestrées –même si elles sont désormais plus apaisantes, plus aériennes, plus mélancoliques ; ces textes d’une noire poésie en anglais et en français dépeignant toujours tristesses, dérives ou paraboles de la décadence. « Gangrene » se veut pourtant moins agressif que ne l’était « Carriers » car plus chargé d’émotions, de sentiments. Si les sonorités d’instruments à vent sont nettement moins manifestes, les claviers, sous diverses formes (piano, clavecins) sont omniprésents sur un album aux arrangements définitivement plus lyriques et progressifs que symphoniques. Il y a aussi cette forte influence de la musique classique qu’on retrouve ici dans des proportions plus marquées. Au point même qu’on se surprend parfois à imaginer un album purement classique émergent de la caboche de notre Helvète hyperactif. Du côté des progrés, on notera la qualité de production de l’album et du caractère cristallin donné à chaque instrument, chaque nuance d’une musique aux atmosphères tristes et désabusées.

Alors « Gangrene » n’est peut-être pas le successeur à « Carrier of Dust » que tout le monde attendait mais on s’y plonge volontiers, se laissant bousculer par les déferlantes colériques et se laissant bercer par la simple beauté enivrante de certains passages sans réellement déceler de longueurs sur des morceaux qui dépassent parfois la quinzaine de minutes.
Qu’il est difficile de faire le tour de ce disque complexe aux multiples ramifications par une simple chronique. A coup sûr on oubliera quelques détails, certaines nuances, certains ingrédients qui façonnent l’écheveau de « Gangrene » et qui lui confère une aura propre.

Le crépuscule des idoles n’est pas encore pour aujourd’hui et « Gangrene » n’est, qu’une fois de plus, la manifestation des facilités et du talent du sieur Cochet.


Rédigé par : Tonton | 17/20 | Nb de lectures : 11537